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L'Atelier d'écriture de Villejean

7 avril 2020

La Mère et ses trois enfants / Jean-Paul

 

La mère aux trois enfants dont un qui pleure)

Il n’a pas le sens de l’humour, ce gamin ! Par contre il a du coffre quand il fait ce genre de grosse colère !

Il n’a pas le sens du décor, le père qui prend la photo ! Ce tas de pierres devant ce champ à l’abandon envahi d’herbes folles ! Peut-être qu’elle est jolie la forêt à l’horizon mais elle est loin et les deux poteaux télégraphiques, devant, franchement, c’est trop tout moche !

Il aurait mieux valu montrer la maison en briques neuves, ses volets à l’encadrement blanc. S’approcher plus. Choisir entre les gens et le paysage. D’ailleurs, c’est peut-être ça qu’il éructe, le môme ?

- T’es trop loin ! Elle va être ratée, ta tof ! Quand on photographie des enfants on s’accroupit pour être à leur hauteur !

La mère semble excédée elle aussi. Pourquoi l’a-t-il fait mettre à genoux ? Pourquoi la pose dure-t-elle si longtemps ?

Il n’y a que le grand frère et la grande sœur qui s’amusent de la farce, de la situation ou de la colère du cadet.

- La chance qu’on a ! semblent-ils penser. Grâce à la photo bonus découpable on va pouvoir montrer à quelqu’un d’autre que l’album comme on a passé des bonnes vacances à… en…

A vrai dire, on ne le saura jamais, où et quand ni qui c’était. Rien n’est écrit au dos de la photo. Elle a juste été prise à une époque où on achetait les mêmes fringues aux deux frangins.

Est-ce que c’est cette similitude dans la vêture qui a fait chanter au père « Bzz ! Bzz ! Bzz ! Les abeilles » et provoqué l’ire du blondinet ?

Non, c’est sûrement autre chose !

La mère aux trois enfants dont un qui pleure (détail)

- Je ne suis pas colérique ni coléreux ! T’es qu’un méchant, papa ! Et pis d’aboreuh, je sais même pas qui c’est ou ce que c’est qu’un Jodaltonne !

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7 avril 2020

Le Communiant / Jean-Paul

Le premier communiant inconnu

Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour l’obtenir, cette montre !

Ce jour-là, passe encore ! On l’avait habillé en dimanche, chemise blanche, cravate, pochette et jolie veste. Il avait fait comme si c’était le carnaval, qu’on avait décidé de déguiser les enfants en hommes, un peu comme, autrefois, on habillait les mômes en costume de marin. Ca viendrait assez vite, d’ailleurs, qu’on leur fasse endosser le costume de soldat. Il était trop jeune pour ça pendant la guerre de 39-45 mais il aurait pile-poil l’âge pendant « les événements ». Mais on n’en savait rien encore de l’Algérie en ce temps-là dans ce coin-là.

La cravate lui serrait un peu le kiki, les gants blancs étaient un peu trop grands et ce chapelet, franchement, comment le tenir, qu’en faire… Le pire c’était ce brassard énorme dont Cédric Villani dont on ne parle plus beaucoup se serait volontiers servi comme d’une lavallière.

Voilà, le petit chrétien angélique avait été immortalisé par P. Martin, photographe à Carvin (Pas-de-Calais). Il y avait de l’innocence dans le portrait, toute une porte ouverte dans le regard sur un avenir aux normes, bien encadré par les rites de passage, la communion, la première clope, la conscription, le premier bal, les fiançailles, le mariage à l’église, le «Croissez et multipliez», l’épouse, les enfants, le travail, la messe, les enterrements…

La montre mesurerait tous ces temps-là. Il faudrait juste oublier qu’avant de l’obtenir on s’était déguisé en fille, on avait enfilé une robe ! La honte de sa vie !

- On appelle cela une aube, Guillaume ! avait dit l’abbé Mouret comme s’il avait entendu ce que le petit garçon taciturne pensait dans sa caboche de Ch’ti.

***

Oui, je vais l’avoir, la montre. On va tous en avoir une, même les cousins Hervé et Pierre, dont le père est pourtant syndiqué à gauche, mais moi j’ai prévenu papa :

- Ce sera une Rolex ! Ou sinon…
- Sinon quoi, espèce de petit « trop de gueule » ?
- Sinon je vous explique pourquoi je suis toujours le dernier à sortir du catéchisme !
- Eh bien dis-le pourquoi tu arrives toujours en retard !
- Et j’aurai une Rolex ?
- Abats ton jeu et je te dirai si ton coq a les pattes cassées ou pas !
- L’entraîneur, au foot, Monsieur Zola, il nous a dit de faire sanctionner toutes les fautes. Carton jaune, carton rouge, coup franc, penalty.
-  Je ne vois pas le rapport entre le football et l’abbé Mouret ?
- Quand il y a faute, moi je fais comme monsieur Zola, j’accuse !
- Ca veut dire quoi, ça, Guillaume ?

***

Je l’ai eue, ma Rolex !

L’abbé Mouret va être muté à Aix-en-Provence. En attendant il ne me caresse plus les cheveux. J’ai horreur qu’on me décoiffe quand je suis bien peigné.

7 avril 2020

H comme Henryk / Adrienne

L'inconnu par Hauchard de Lens

A la fin de la guerre, Henryk a décidé de ne pas rentrer en Pologne. Sa ville avait été ravagée deux fois, par les Allemands et par les Russes. Plus rien ne l’appelait là-bas.

Pas une vieille maman.
Pas une petite amie.

Il resterait en France. Il travaillerait. Comme maçon ou comme mineur, tout ce qu’on voudrait, tout ce qu’il trouverait.

Mais rien n’est simple en ce pays.

Ses derniers sous, il a dû les consacrer à de la paperasserie administrative et à des photos d’identité.

Au numéro 13 du boulevard des Ecoles, il est entré chez Hauchard. Ça lui a crevé le cœur de ne même pas avoir de chemise blanche et de cravate à mettre pour la photo. Il a vérifié sa raie, s’est recoiffé et a pris la pose.

Sans sourire.

Avec cet air déterminé qui ne le quittera plus.

***

J’étais devant le type du guichet, nom et prénom, qu’il m’a dit, alors évidemment quand je lui ai répondu Wieczorek Henryk, ça l’a fait flipper, je commence à avoir l’habitude, je peux m’estimer heureux si on reste poli, vous pouvez épeler ? il a dit en soupirant, alors j’ai épelé du mieux que j’ai pu, j’aurais pu lui expliquer qu’on n’a pas le même alphabet, en polonais, mais je me suis retenu, ça aurait encore tout compliqué, ce qui fait que quand il m’a remis le papier à signer, j’ai vu que désormais je m’appellerais Henry Vizorek, et je me suis dit qu’aucun compatriote ne me retrouverait plus dans ce pays, si l’un d’entre eux en éprouvait l’envie un jour.

7 avril 2020

Madame Numérosept / Maryvonne

La lectriceBonjour Madame, nous avions rendez-vous mardi soir assez tard et je n'ai pu encore honorer cette rencontre car elle est pour moi assez énigmatique. Enfin aujourd'hui je me décide sans hésitation à faire le choix de mon interlocutrice. Sur la photo votre visage de bonne maman, un peu à la Françoise Dolto, m'a tout de suite attirée. Face à votre petit bureau éclairé par le soleil, vous lisez un long courrier de 3 pages.

A votre sourire je suis certaine que c'est votre fils Jean Paul qui vous écrit, Les mères aiment par-dessus tout les lettres de leurs fils. Allez-savoir pourquoi ? Peut-être parce qu'elles sont rares.

Après de brillantes études il a quitté votre giron, Vous souriez parce qu'il écrit bien, le bougre, et moi qui aime tant les relations épistolaires, je vous envie. Tous ces mots étalés là et enveloppés comme des bonbons vous les savourez des yeux. L'enveloppe justement n'est pas déchirée à l'arrache comme je le fais parfois avec mon pouce, elle est soigneusement découpée aux ciseaux, ils sont encore sur la table, et vous avez tellement raison. Ce moment d'ouverture, ce rendez-vous intime est tellement délicieux. Il faut le soigner.

Oh ! Ce n'est pas que du sucre, quelques dragées au poivre vous rappellent que vous n'êtes pas une mère parfaite et quelques caramels mous colleront à la dent que vous avez contre lui quand il se fâche. Mais le reste de la journée vous sucerez les compliments en forme de fleurs, bonbons coquelicot ou violette qui se vendent en bocaux à l'épicerie et que vous mettrez en conserve (les compliments) dans votre panthéon des meilleurs moments.

Il vous dit regretter votre riz au lait que vous portiez dans le four du boulanger. Il est bien serviable, le boulanger. A la ville où il est maintenant c'est impossible, d'ailleurs le pain n'est pas aussi bon. La confiture « Bonne Maman » est une appellation mensongère, ce sont les vôtres qu'il aime, surtout la rhubarbe. Le matin quand il se lève personne ne lui a fait son café ni n'a réchauffé une tranche de brioche. Voilà un bon fils n'est-ce pas ?

Passons à la réalité :

Je m'appelle Germaine Marette et, bien qu'originaire d'Auvergne, je vis dans le Nord. J'ai 60 ans et je les porte bien. Je viens de recevoir une longue lettre mais ne vous trompez pas ce ne sont ni ma fille, ni mon fils qui m'écriraient si longuement. Ces ingrats se contentent de quelques lignes de temps en temps et souvent pour des banalités. D'ailleurs je n'ai jamais de « Chère maman ». C'est pourtant le plus joli mot dans toutes les langues. Quand j'étais « la femme à deux cœurs » comme on appelle ici les femmes enceintes je rêvais de me faire appeler maman à tout vent et que l'écho le répétait à loisir.

De leurs amours ils ne me parlent pas non plus, sans doute une pudeur extrême entre nous. Pourtant je brûle de leur parler de ce courrier qui pourrait incendier ma vie. Apparemment le boulanger n'est pas insensible à mes miches et j'en souris intérieurement, même, disons-le, ouvertement. Il a remarqué que j'étais allée chez le coiffeur et que cela était bien seyant. Il a du vocabulaire, notre maître en boulange. Il y a longtemps que je n'avais pas eu tant d'éloges sur mon physique et sur mon humour, ça fait un bail que mon mari ne rit plus de mes blagues. Lui, mon nouvel amoureux, il s'en tape sur les cuisses à en faire voler la farine de son pantalon.

AEV 1920-25 Maryvonne affiche-du-film-de-marcel-pagnol-la-femme-du-boula

Physiquement il n'est pas mal non plus, il a une petite brioche de bon vivant qui le rend sympathique alors que chez moi il y a une planche à pain : sèche comme une baguette rassie.

Il me rend souvent des services ; dans son four je porte à cuire mes rôtis et mon riz au lait, la teurgoule. Mes tartes sont parfaites ; même s'il en vend il n'en prend pas ombrage.

Quand je lui porte les plats, je traîne un peu dans la boulange, je caresse sa chatte Pomponnette, il adore les animaux comme moi mais mon mari est allergique.

Maintenant c'est vous qui devez me trouver un peu tarte à mon âge. Mais on n'a qu'une vie et maintenant que mes enfants sont partis j'ai envie de la dévorer par les deux croûtons.

1 avril 2020

Consigne d'écriture 1920-24 du 31 mars 2020 : Les objets confinés se confient

Les objets confinés se confient

 

C'est entendu, vous êtes confiné·e chez vous. Mais vous n'êtes pas seul·e. Tous les objets qui vous entourent le sont eux aussi et depuis plus longtemps que vous. Faites-les parler ! Que peuvent nous raconter votre réfrigérateur, le fétiche arumbaya à l'oreille cassée offert par votre oncle Augustin, le miroir magique, le canapé ou la pendule du salon, l'étagère à rouleaux de papier hygiénique (non, quand même pas !) à propos de votre maison, de leur propre vie et de votre tournage en rond "sous leurs yeux" ? Objets inanimés, avez vous donc une âme ? La réponse, cette semaine, sera définivement "oui" !

 

AEV 1920-24 Consigne Snow_White_Mirror_3

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31 mars 2020

Réanimation-maison / Dominique H.

Troisième semaine !

Félix, mon voisin, célibataire, veuf, divorcé, septuagénaire donc vulnérable est à sa troisième semaine de confinement et ça ne va pas fort. Moi je suis Bénédicte, sa voisine. Nous nous entendons bien et nos clôtures légères nous permettent de converser de jardin à jardin et de garder le lien ; parfois même il se laisse aller à quelques confidences. Je l'aime bien, mon voisin, même si chacun garde ses distances, surtout en ce moment. Mais je suis un peu inquiète : il m'évite visiblement depuis trois jours.

Il se morfond et tourne en rond dans sa maison. Voilà près de quarante ans qu'il habite dans ce pavillon de lotissement. C'est la scène de crime des deux tiers de sa vie ! Ah, si les murs pouvaient parler ! Ils en auraient à dire. Et les objets donc ! Les objets justement, parlons-en ! Quarante ans d'amoncellement ! Félix enrage d'être confronté et confiné au milieu de ces strates de barda et autres fatras, sans parler des fanfreluches et falbalas à l'étage dans les penderies des chambres de ses deux filles. Au début du confinement, il s'était senti plein d'énergie à la perspective de faire un grand ménage de printemps, une razzia des rossignols et autres ramasse-poussière. Il m'en avait parlé joyeusement. Pas de chance, les déchetteries sont confinées. Le confinement est vraiment contre lui. Sale virus ! L'humeur de Félix fait les montagnes russes.

Ce matin il a le moral dans les chaussettes. Pourtant avec ce prénom il devrait être heureux mais depuis le confinement tout va de travers. Déjà qu'il ne peut plus fréquenter le restaurant de ses copines, qu'en plus il se voit frustré des divertissements qui y étaient attachés, voilà qu'il est condamné à errer comme une âme en peine dans sa maison, à supporter le paysages des reliques de sa vie. Sa vie... Il voudrait ne pas y penser mais les souvenirs envasés remontent. Il a essayé de s'extraire de ce magma collant qui l'englue en allant dans son jardin écouter les oiseaux, mais c'est encore pire. Même en se concentrant avec application, la méditation en pleine conscience, loin de lui apporter la zénitude annoncée, ne marche pas chez lui. Au contraire, il déprime et je l'ai même vu écraser deux larmes en cachette.

Alors, il erre d'une pièce à l'autre comme du coq à l'âne, en traînant ses babouches et son vague à l'âme. Par moments, il remplit sans aucune méthode un grand sac en papier de vieilles revues, de boites à chaussures contenant de jolies petites boites vides conservées depuis des années. Heureusement Il y a encore un peu de place dans sa poubelle jaune et aussi dans la mienne que je lui ai proposé de partager.

1920-24 Dominique 5b58e67705be986e4889b4fb

Dans la chambre bleue qui sert un peu beaucoup de débarras, il a remarqué ce matin le vieux vélo d'appartement, 4000 Mg de la marque Domyos, cadeau de Noël de sa femme, voilà plus de trente ans. Quand sa femme l'a quitté, il a mis le vélo de côté, histoire de tourner la page. Il était arrivé que les petits enfants s'amusent avec. Il se souvient maintenant de la crise qu'il avait piquée le jour où ils avaient cassé la console branchée sur le guidon qui enregistrait les kilomètres, les calories, les RPM. Il ne vient pas souvent dans cette chambre et avait complètement oublié cet engin. Il se souvient maintenant que jadis il l'a pourtant utilisé assidument, surtout l'hiver pour préparer son cœur et ses mollets à la montée du col du Lautaret et de quelques autres. Eh oui, Félix en a grimpé des cols. C'était le bon temps. Même que dans leur groupe, les femmes les grimpaient aussi les cols. Elles y mettaient le temps bien sûr en passant le petit plateau et le grand pignon. Et le soir à l'étape, c'était la joyeuse ambiance avec la bande du Minotour. D'ailleurs sa belle bécane, un Bianchi, blanc, fringant, neuf kilos, est toujours suspendu dans le garage. Celui-là il ne le donnera pas au Secours populaire. Peut-être qu'un petit-fils s'y mettra. Ou peut-être lui, Félix, après le confinement. Quand le Coronavirus nous aura lâché la grappe.

Voici notre homme tout ragaillardi. Il pose son grand sac papier et entreprend de débarrasser le vélo-porte-manteaux des hardes et frusques diverses qui l'habillaient. Mais le transporter au rez-de-chaussée va être une autre paire de manches. Félix qui a retrouvé son énergie descend vite chercher sa boîte à outils et remonte les marches quatre à quatre. En quelques minutes, le vélo est désossé, guidon, cadre, selle, socle et se retrouve en pièces détachées en bas dans le salon. Pour réfléchir à l'endroit où l'installer, notre cycliste nostalgique, clique dans sa playlist sur « La vie en rose » de Souchon, (Foule sentimentale). Voilà, c'est décidé, il pédalera devant la baie vitrée grand-ouverte et face à l'écran plat. Il va pouvoir pédaler en se cultivant. Félix est de nouveau joyeux. Il va zigouiller le marasme, cesser d'être morose et mélancolique, se muscler les cuisses et les neurones, stimuler son système immunitaire ; il pressent que le confinement va pouvoir devenir intéressant. Il a enfourché sa monture ressuscitée, chante en même temps que Souchon et lui trouve un prénom : Yolanda.

Sitôt nommée, Yolanda va s'animer et lui parler, avec la voix de Yolande Moreau : 

AEV 1920-24 Doùminique le-plaisir-entre-les-jambes__nevsiw- Félix chéri, tu me comble ! Depuis des années j'attendais désespérément ce jour de félicité. J'ai très mal supporté que tu me mettes au rebut après ton divorce : comme si j'y étais pour quelque chose, moi ! Tu as alors fait de moi un bouc émissaire, tu m'a même frappée, oui, oui, pas de déni je t'en prie. Heureusement que ma carcasse est coriace, mais j'ai encore la trace sur mon flanc gauche de ton coup de godasse. Je ne suis pas rancunière et ce souvenir me fait même sourire. C'est vrai qu'entre nous deux, « tout le monde sait ça » dirait Mino , comme entre chaque cycliste et sa petite reine, c'est une relation à tendance S.-M. J'ose dire, n'en déplaise à certains accros, qu'il faut être un peu maso pour faire du vélo, avoue-le. Ah ! C'était la belle époque, celle des Deschiens, tu t'en souviens ? ».

Félix est abasourdi, estourbi, il a le tournis. Il a juste le temps de tomber sur le Poltronesofa jaune et noir. Il vérifie le tableau de bord de son corps, se pince : Aïe ! Il se touche le front : 37°. Il va se regarder dans le miroir : c'est bien lui, Félix. Seraient-ce des hallucinations ? Il en parlera peut-être à Bénédicte, sa voisine, psychiatre en retraite.

Mais voici que Yolanda l'interpelle et interrompt ses interrogations :

- D'ailleurs, Félix chéri, je te le dis gentiment, mais tu me dois réparation pour ces longues années d'abandon et la première des choses à faire pour que je m'envoie en l'air serait que tu me chevauches ardemment comme au bon vieux temps, souviens-t-en !».

Félix se surprend à répondre « OK, OK Yolanda ! On y va ! Juste le temps de me mettre en tenue, un peu de patience, ma belle, j'arrive ! ». Il grimpe direct dans la chambre bleue, ouvre le coffre à vélo, une vraie malle à trésor dont il sort son beau cuissard d'été à bretelles, turquoise, noir et jaune. Il dévale les marches et là, devant Yolanda, Félix, pressé d'enfiler sa tenue commence à se mettre nu et une idée pas saugrenue du tout lui vient de jouer le grand jeu : il prend le temps de lancer le « Boléro » de Ravel comme Bo Derek dans le film "Elle" (1979) puis commence à s'effeuiller lentement pour faire monter le désir à la manière du striptease dans le film « Full Monty » en 1997. Il s'y croit et, d'un geste qui se veut élégant, pas de danse et petit doigt relevé, il balance aux quatre coins du salon, sur le rythme de la musique, chemise, tee-shirt, pantalon et slip en dernier. Avant d'enfiler le sexy cuissard dans l'intimité de sa maison sans vis-à-vis,il s'autorise à onduler du bassin devant Yolanda imperturbable. Puis il ajuste le bas du vêtement de sport, et alors sa main droite plonge et retrouve instantanément le geste automatique du cycliste précautionneux qui sait prendre soin de ses roupettes et seulement après il ajuste les bretelles. 

Les préliminaires ont aidé Félix à se huiler les articulations et enfin arrive le moment de se mettre en selle, délicatement. Il est plein de prévenance pour Yolanda qu'il a enfourchée avec lenteur et langueur. C'est qu'elle n'a plus l'habitude elle non plus. Alors il reste un moment en danseuse, toujours sur le boléro de Ravel, puis se rapproche petit à petit de la selle. C'est une selle large et rembourrée, rien à voir avec la selle Italia, dure et profilée de son Bianchi. Yolanda est une bonne pâte et sa selle est moelleuse. Félix prend tout son temps pour s'ajuster doucement à l'anatomie de Yolanda au poil près. Il faut être cycliste pour saisir l'intensité délicieuse de cet instant suspendu. Et voilà que se déclenche le premier tour de pédales. C'est alors que sa monture émet un petit couinement que Félix, en spécialiste, reconnaît aussitôt : c'est la réponse physiologique de la résistance magnétique au démarrage et c'est la preuve d' une prise en main réussie.

AEV 1920-24 Dominique 0006__pd41t5

Et maintenant roule ma poule ! La baie vitrée est ouverte, le jardin est inondé de soleil, le boléro de Ravel s'est tu, les oiseaux chantent. Félix gère avec tact les vingt minutes d'échauffement recommandées, autant par souci de ses muscles un peu rouillés que pour les roulements à bille de Yolanda. Il tourne progressivement la molette de résistance d'un cran toutes les cinq minutes, et monte en RPM en résistant cependant à ses penchants S.M. (gare à l'infarctus, il n'a plus vingt ans !). Il est content de Yolanda elle suit bien le rythme et répond bien aux accélérations. En remerciement il lui caresse le guidon.

Ce sont des retrouvailles vraiment réussies, une lune de miel commence, la vie est de nouveau belle. Félix dirait presque merci au Coronavirus !

Un peu plus tard il vient me saluer avec la banane derrière le grillage.

1920-24 Dominiqueveloappartement

31 mars 2020

Voyage vestibulaire (au sens de "vertiges vestibulaires") / Josiane

AEV 1920-24 Josiane appia - entre les trous de la mémoire

Bon, se dit le mur de la chambre, rester planté là depuis des lustres à regarder passer toujours les mêmes bobines ou presque, c’est un peu monotone. Pour être tout à fait honnête il y a bien quelquefois un peu de cinéma et même des scènes torrides, mais… de moins en moins.

C’est ainsi qu’un matin, le susdit mur décida d’aller faire un tour. Alors que je me tournais sur le côté gauche, côté mur, là où se trouvent mes charentaises pour démarrer une belle journée activement confinée, il partit en balade.
Et hop le plafond, et hop le mur de droite pour aller admirer le tableau de Dirosa.

Hop, hop, hop un petit tour vers la couette, puis retour au point de départ et hop on repart, nouveau tour de manège pour moi, puis deux, puis trois. Comme je ne savais pas que le confinement venait de rendre fou un mur centenaire, je me dis :

- Voyons, ton dernier apéro, il date bien au moins d’une semaine…

C’est vrai, je le confesse, en ce moment mon co-confiné et moi nous nous réconfortons un peu plus souvent que d’habitude avec une larme de whisky, enfin deux, peut-être même trois. Mais les effets de ce breuvage ne durent tout de même pas une semaine !

AEV 1920-24 Josiane Haddock

Sauter du manège en marche, pas question ! C’est qu’il est rapide, le centenaire !

Voyons voir :

- Solution un, je me recouche et je profite du spectacle ; solution deux, j’appelle à l’aide pour calmer le fugitif ; Solution trois, je ferme les yeux.

AEV 1920-24 Josiane vestibule

J’opte pour la dernière puis attends un peu. J’ouvre un oeil, courageuse mais pas téméraire. Le centenaire semble fatigué. J’ouvre le deuxième : il doit être essoufflé après cette épopée. Il bouge juste un peu, entraînant avec lui l’armoire et la bibliothèque. Vont-ils partir en voyage eux aussi ? Après tout ils ont bien le droit d’aller faire un petit tour, mais une heure, une heure seulement et avec un mot d’excuse. Non mais, il ne manquerait plus qu’ils partent comme ça sans rien dire !

Surtout la bibliothèque, c’est qu’elle est précieuse en ce moment car si je ne me trompe pas, les librairies ne contiennent pas de denrées de première nécessité.

Tout ça pour vous dire que prendre un stylo pour écrire sur une toupie en pleine action, c’est chaud, comme ils disent les jeunes.

Cette semaine le mur a repris sa place ainsi que l’armoire et la bibliothèque. J’ai pu reprendre mon stylo sans risquer un tour de manège gratuit. Vertiges vestibulaires ça s’appelle.

31 mars 2020

Complainte d’un tapis fatigué / Brigitte

En ces temps de vilain virus
Je m’attendais à une période de rebut ;
Dans un coin de bureau bien rangé
Je rêvais à un temps de méditation mérité.

J’observais le peu d’agitation :
Finis, randonnées et départs réguliers,
Maintenant que tout dans la maison est rangé
On se recentre sur yoga, méditation, relaxation.

J’ai quitté le bureau pour le salon :
Matin, midi et soir on me déroule,
Petite ou grande séance, mantras ou respiration,
Sans cesse sur le tapis on s’écroule.

Je suis littéralement épuisé d’être ainsi exploité :
Je suis passé de deux séances hebdomadaires
A trois séances journalières !
Je vais arriver au bout du confinement exténué !

Une petite lueur d’espoir :
Au bout du couloir
Des vacances, ils vont vouloir !
Chic ! Au moins deux semaines de placard !
Pourvu qu’ils m’oublient !

Namaste !

31 mars 2020

Ras la tasse ! / Raymonde

Bonjour !

J 'en ai ras la dosette
Ma pauvre Josette !

Depuis le confinement
- Quel drôle de nom ! -
Ils sont là à plein temps !

Café à toute heure !

Je n'ai jamais autant travaillé !
Et puis café allongé
Ou café serré
Il faut assurer
Et j'ai tendance à m 'encrasser
Alors il faut me détartrer
Au vinaigre blanc.

Aïe ! Ça pique le fondement !

De plus, elle met la dose
Voire l'overdose
Pour bien désinfecter :
Plus un microbe ne doit résister.

Je les entends parler
D' un virus, le Covid,
Qui rime avec morbide !
Un truc invisible
Qui met le monde à genoux.
Ce serait risible
Si le monde n'était pas aussi fou !

De prétendre tout dominer,
Être les maîtres du monde…
Un virus et tout s' effondre
Et voilà ces petites choses
Bien tristes, bien moroses !

Plus de dîners entre amis,
Plus de projets de sorties !
Lui travaille sur son ordi
24 heures sur 24 à la maison,
Il faut se faire une raison. 

AEV 1920-24 Raymonde A Cafetière

J'ai intérêt à tenir le coup
Pour qu'ils gardent le moral !
Pas droit au coup de mou,
Pour eux ce serait fatal :
Plus de café
Dépression assurée !

PS : J'ai cependant une pensée
Pour mes copines les machines à café
Qui dans les entreprises à l' arrêt
Vont déprimer
De ne plus se délecter
Des ragots au sujet d' Henri
Et sa calvitie
Ou de Raymond
Et son air con
Ou de ... (à vous d' en rajouter, 
Vous avez bien une petite idée !)

AEV 1920-24 Raymonde B Cafetière

31 mars 2020

Des rumeurs dans le garage / Raymonde

Voilà maintenant trois semaines que je suis
oubliée,
ignorée,
abandonnée !

Alors ? Que se passe-t-il ?
Que leur est-il arrivé ?
Ils se sont fait sucrer leur permis ?
Ils sont devenus gâteux ?
Ils ont eu un accident ?
En tout cas pas avec moi !

Je sens que l'ambiance a changé :
Elle est comme cloîtrée,
Lui va faire les courses en vélo !
Ah ! Ils sont devenus écolos ?!

Ça ne rend pas joyeux !
Ça rigole un peu
Mais p!us d'éclats de rire heureux
Des deux marmots
(marmottes pour les filles ?), 
Plus de virée à St Malo, 
Plus de voyage à Paris, 
Ou en Normandie.

AEV 1920-24 Raymonde 2CV Normandie
Image empruntée à https://www.balades-2cv-normandie.com/

On venait de changer ma batterie :
Elle va se décharger 
À force de ne pas être utilisée !

Je ne connais pas la raison
De cette situation
Mais de trop m'ignorer
Je vais leur faire payer !

Le jour où ils voudront m'utiliser
Je refuserai de démarrer !

P.S. : Vous avez remarqué que le prix du carburant a baissé
Et ils ont décidé de ne plus rouler !!
Ils sont complètement ...... (à vous de compléter) !!AEV 1920-24 Raymonde 2CV Jicéher
La 2CV du bonheur a été empruntée à Jicéher

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