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L'Atelier d'écriture de Villejean

14 avril 2020

Retour au château / Josiane

traviata-hotel

Maintenant je savais ce que valait la gloire : un piédestal de sable, voilà ce que c’était ! Rien de plus ! Je venais d’en faire l’amère expérience, me retrouvais nu comme un ver, financièrement parlant, et j’avais dû me résoudre à retourner chez ma mère, habiter le sinistre château que j’avais quitté à grands fracas après une mémorable dispute avec l’auteur(e) de mes jours.

Pour réintégrer ce haut lieu de l’hypocrisie, de l’avarice et de la méchanceté gratuite, j’avais dû faire « l’Allemande honorable ». Pas question de retrouver les miens sans mettre genou à terre. Ma mère, une opulente mégère aux mains toujours gantées - ce qui resterait toujours pour moi un mystère - faisait régner la terreur à la maison. Personne n’avait jamais osé la défier, pas même mon père à l’heure de sa mort.

Ce soir-là, elle s’en était pris à lui sous un prétexte futile, la violence de ses propos aurait fait « sortir de ses gongs » le plus doux des époux. La femme de chambre raconte :

- Le pauvre monsieur émet quelques bouts de râle et se fout aux abonnés absents, il n’avait dû trouver que cette issue pour échapper à son épouse !

En rentrant au port, je franchis des Himalaya de réprobation, j’annapurnassai dans le désenchantement, d’autant que ma cousine Clotilde avait pris ses quartiers au château sous le prétexte de veiller sur la harpie. Elle s’était installée avec un clébard presque aussi mauvais que la vieille et qui passait son temps soit à l’admirer, soit à me mordre les mollets.

Il faut dire qu’elle savait y faire pour mettre les nouveaux venus dans sa poche au détriment des plus anciens. Même ce pauvre docteur Toinet. Quand il arrivait pour sa consultation hebdomadaire, elle lui faisait servir avec ostentation par Félix, notre majordome, un vieux cru sorti de ses chais dont il se délectait tout en lui prodiguant ses conseils d’abstinence.

un-soir-a-la-fenetreJ’avais quitté ma chambrette au dernier étage d’un immeuble parisien que je regrettais amèrement mais comment faire ? Mes BD ne se vendaient plus. Pour couronner le tout, la belle Angélique qui partageait ma vie avait quitté les lieux quand je m’étais retrouvé raide comme un passe-lacet. Sans doute avait-elle alpagué un autre pigeon pour intégrer un autre pigeonnier. Le sexe masculin est ce qu’il y a de plus léger au monde, une simple pensée le soulève et Angélique avait des atouts à faire rêver plus d’un quidam.

« L’an dernier j’étais un peu prétentieux, l’an prochain je serai parfait » me disais-je pour accepter mon sort. Ce qui fut vérifié l’année d’après.

Au château j’observais tout ce beau monde et ces lieux plus qu’étranges et étrangers à moi-même. Petit à petit des images venaient au bout de mon crayon. Je tenais les nouveaux personnages de la BD qui me redonnerait des ailes et par là-même ma revanche sur le vieux dragon, le clébard acariâtre et la cousine opportuniste.

Ah ! Ils allaient voir ce qu’ils allaient voir et tant pis si je ne retrouvais pas la gloire, seulement un peu de monnaie sonnante et trébuchante pour, tout simplement, gagner ma croûte et ma liberté.

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14 avril 2020

Road trip / Célestine T.

Toute ressemblance avec la vraie vie est parfaitement plausible.

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En ces temps troublés comme une anisette par de l'eau d'Evian, où le mot d'ordre est de rester chez soi, on en est réduit à voyager par procuration, en s'inventant des roads trips de calebasse. 

En un sens, c'est pas plus mal : on a l'hydrocarburogramme plat, ça nous coûte peanuts, et les piafs nous disent merci. Les voilà qui réinvestissent les parcs, faisant frétiller les frondaisons de leurs trilles guillerettes. Tu m'étonnes ! Cinquante ans au moins que le ciel n'avait pas été si bleu.

Guillerette, je le suis tout autant quand, profitant d'un petit zeph printanier, je décide de troquer mes pelures d'hiver contre la seule chose qui tourne sur terre : une robe légère version Souchon. J'ai un rencard de première, à ne pas louper. La lumière du soir est plus rasante qu'un discours électoral.

Soudain apparaît en pétaradant comme de juste, une splendide torpedo Panhard et Levassor, magnifiquement surmontée d'un bel homme tirant sur le blond et sur une cibiche qui volute comme dans les films des années 50. Je reconnais Bleck.

- Allons boire le dernier de la journée, je crève de soif depuis le temps que je m’aiguise la menteuse sans mouiller la meule ! lui dis-je en souriant.

- Attends, ma libellule, attends, j’ai des projets plus ambidextres pour toi, qu'il me répond.

Et nous voilà embarqués sur la route de Madison, via le boulevard du Rhum.


- Il me faut faire Allemande honorable, dit-il en souriant. Ça fait cinq ans que je te dois un resto, alors cette fois, je me suis dit ne reculons plus, sautons. Enfin si je puis me permettre cette expression hardie autant qu'osée... Ça fait cinq ans que je me dis que je vais franchir des Himalayas de réprobation, et annapurniser dans le désenchantement... Alors aujourd'hui : alinéa jacte à l'aise ! Je t'emmène chez Eugène manger des frites.

Au carrefour des Etoiles, deux clampins traversent devant lui sans regarder. Il pile.

- Toujours pareil, quand on algarade en ville, les badauds pullulent comme cellules en tumeur ! s'écrie-t-il.

Et je vois bien que ça le met furinx. Il émet quelques bouts de râle, il ferre de lance, il abordage... puis reprend son sourire ultra brite. Tout en gouaillant, je fais gaffe parce que si cet olibrius prenait la fantaisie de m’aligner un taquet, sûr et certain que ça ferait travailler mon dentiste.

Je pourrais avoir peur, s'il s'agissait de Jojo la Défouraille, un loustic pas fréquentable, condamné à mort par accoutumance qu’on m’avait dit espadrillé en Amérique latoche.

Mais là, il s'agit du type le plus réglo de la blogosphère. Un chic type du genre de mon oncle Joe Krapov, qui dit toujours que « quand le respect de la gonzesse s'effiloche dans une nation, la débâcle n'est pas loin.»

Et c'est ainsi que, de fil en conversation, nous sommes arrivés chez Eugène, après une cinquantaine de bornes de décoiffage décapoté (contrairement aux films des années 50 où pas un cheveu ne bouge malgré la vitesse).
 

Il passe ses mains sur ma chevelure, blêmit, rougit, jaunit, verdit, violit, marronit (comme Saint-Laurent du), orangit, arc-en-ciélit puis reprend tant bien que mal sa couleur initiale.

- Bon on se le fait ce resto ? demande-t-il d'une voix gris clair.

- Vamos, amigo ! réponds-je, le palpitant en capilotade. Et je franchis le seuil de la caverne alibabesque, en pensant au pont de Noirmoutier.

14 avril 2020

Triumph / Marie-Thé

Quand il avait une idée en tête, Félix n’était pas fainéant. De nature marginale, il trouvait toujours un petit turbin pour affurer son minimum vital.

Une année à trimer comme un forçat. Doué en mécanique, il avait passé des semaines sans rechigner à réparer les voitures des voisins, des amis des voisins, des cousins germains, des cousins issus de germains et même la deudeuche verdâtre du couvent des sœurs grises d’à côté de chez ma copine Maryvonne.

A la fin du mois de juillet, triomphe, il avait réuni la somme suffisante pour s’acheter la voiture rouge qu’il reluquait depuis plusieurs mois dans le garage du père Juju. Il s’appelait Julien mais tout le monde au village l’appelait Juju parce qu’il ne buvait que du jus d’orange, «avec un fond de gnôle pour chasser le coronavirus» disait-il ces derniers jours.

Mais revenons à Félix.

- Alinéa jacte à l’aise ! Le 1er août, je pars dans le Finistère !
 

la-triumph-de-mademoiselle-rydenCoffre plein, Pompon, son chien, près de lui, le voilà sur les petites routes bretonnes, désertes à cette heure matinale. Soudain, dans un virage, une auto-stoppeuse lui fait des signes.

Tellement ravissante, elle semblait tout droit sortie d’Hollywood avec sa jolie robe au large décolleté, ses cheveux relevés en chignon désorganisé. Tombé en pamoison, il embarque la fille, la valise et se dirige vers sa location.

Ce qui devait arriver arriva, le voilà perturbé, maladroit séducteur, se disant qu’elle avait de l’allure dans sa belle Triumph et que les vacances seraient bien sympa en sa compagnie.

En arrivant, d’emblée il réalise que la lumière est plus rasante qu’un discours électoral. Saisi par le ciel bleu parsemé de petits nuages blancs, cotonneux, il pense à un tableau d’un certain Américain dont il a oublié le nom. Le peintre n’aurait sûrement pas hésité à les inclure, lui, sa compagne et sa belle automobile, dans un tableau qui se serait vendu à prix d’or.

Pompon, jaloux de la nouvelle compagne de son maître, saute de la voiture et s’éloigne en boudant.

***

Trois semaines plus tard, ils sont repartis ensemble. Personne n’a su ce qui s’est passé dans la maison. Ce qui est sûr c’est qu’ils sont restés confinés pendant toutes les vacances, ne sortant qu’une heure par jour pour s’aérer et pour les achats de première nécessité.

14 avril 2020

Le P'tit caoua de l'aube / Raymonde

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Le commandant Lormont et son acolyte Jules Lemoux rentrent d'une mission hasardeuse où, une fois de plus, ils ont fait chou blanc. Quand tout à coup !

- Eh ! Commandant ! Dans le rade, là, derrière la baie vitrée, ce serait-y point notre olibrius que l'on recherche depuis des mois ?

- Qui ? Quoi ? De qui tu causes ?

- Là, prenez les jumelles ! Visez un peu cette paire...euh ! Cet individu assis de dos, bien propre sur lui !

Lormont blêmit, rougit, jaunit, verdit, violit, marronit (comme Saint Laurent du), orangit, arc-en-ciélit puis reprend tant bien que mal sa couleur initiale.

- Nom d'un ver à soie déplumé ! Il s'agit bien de John la Défouraille, un joystick peu fréquentable, condamné à mort par accoutumance je crois bien et qu'on m'avait dit espadrillé en Amérique latoche. Bon, pas de panique ! A bâbord, matelot !

- Ne brûlons pas la chandelle par les bouts, c'est un coriace, ce John la Défouraille !

- Et puis il faut attendre l'arrivée de notre nouveau chefaillon qui doit débouler de Paname en grandes pompes

- Il a des grands panards ?

- Mais que t'es inculturé ! En grandes pompes ça veut dire avec tout le tintouin, fanfare et compagnie !

- En attendant qu'est-ce qu'on fait ?

- Repasse-moi les jumelles ! J'ai la braguette qui me démange !

- Eh ! Oh ! Quand le respect de la gonzesse s'effiloche dans une nation, la débâcle n'est pas loin, mes fils ! Alors remets-toi les idées d'aplomb et tout le reste ! Et prenons des initiatives, faisons un coup d'éclat, montrons notre talent !

- Ce John la Défouraille ! On dirait qu'il a maigri et puis… cette couleur de cheveux ! Il s'est teinturé le capillaire avec du jus de carotte ? Tout ça pour pas qu'on reconnaisse sa bobine ! Mais on est des fins limiers !

- Toi, Lemoux, tu vas passer par devant comme un client lambda, ordinaire quoi ! T'auras pas de mal à passer pour quelqu'un d'ordinaire, de banal ! Et moi, je passe par le fond de la boutique et c'est plié ! On le neutralise, l'anéantit et à nous les honneurs et les promotions !

- Et les jolies gonzesses !

- Défouraille pas trop vite, il faut qu'on l’ait vivant !

- Tu regardes trop les ouaisternes !!

Lemoux s'avance nonchalamment vers la porte du troquet pendant que Lormont longe le bâtiment en catimini.

- Haut les mains, John la Défouraille, t'es fait comme un rat !

- Que ! Quoi ! Qu'est-ce qu'il vous prend ?

La serveuse pousse des cris de souris piégée, renverse son plateau et va se réfugier derrière le bar, elle a vu ça dans le film avec Blier, Constantin et Ventura !

- Commandant Lormont et mon sous-fifre Jules Lemoux !

- Enchanté messieurs ! Je suis votre nouveau chef arrivé discrètement hier soir par le train de 23 h d'où un abruti est tombé en voulant prendre l'air ! Je prends mes fonctions dès ce matin, vous passerez à mon bureau !

Adieu veaux, vaches, cochons, couvées ! Ils se sont retrouvés à traquer le braconnier au fin fond de la Lozère !


P.S. Scoop sur BFM TV, le fleuron de l’info livrée avec intelligence par les plus grands spécialistes : Joël Dubois dit Joe la Défouraille aurait été vu en Lozère accompagné de Ducon de Ligonnès. Nos deux fins limiers vont reprendre du service !

14 avril 2020

Complainte d'un·e confiné·e / Raymonde

Dans le texte qui suit, je parle au nom de tous et toutes les confiné·e·s qui traversent cette période avec des hauts et des bas (de contention) !

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- Marabout ! J’en ai marre, je suis à bout !

- Bouh ! Regarde plutôt le bout du tunnel !

- Je ne vois aucune lueur d'espoir,
Rien de bon
À l’horizon !
Que du noir !
Le monde est à genoux
Devant un invisible ;
Ce serait risible
Si ce n'était pas fou !
Quand sortirai-je de ma maison ?
À la mauvaise saison ?
C’était marrant,
Au début, le confinement !

- On peut enfin de nos enfants profiter !
On fait des crêpes pour le goûter,
De la peinture pour les amuser !
Écoutons les oiseaux chanter,
Regardons les fleurs pousser,
L’insecte butiner !

Ces piafs, ils semblent nous narguer
Ils volètent en toute liberté
En pépiant comme jamais !

Belle vengeance de les avoir ignorés,
De les avoir empoisonnés
De tous ces gaz d’échappement rejetés.

Et puis, à Emmanuel, combien les parents ont donné
Pour annoncer que l'école va recommencer ?

- Un billet ?
- Pas assez !
- Deux billets ?
- Pas suffisant !
- Trois billets pour chaque enfant ???
Vous êtes gourmand,
Monsieur le président !
Mais je suis prêt·e
À tout donner
Pour que de mes enfants vous me débarrassiez !

Et mon abruti·e de conjoint·e
À combien puis je le (la) négocier
Pour qu'il (elle) retourne à l'atelier ?

Un billet ?
- Pas assez !
- Deux billets ?
- Pas suffisant !
- Mais je vais être ruiné·e !
- C’est le prix à payer
Pour votre tranquillité
Retrouver !
- Je suis prêt·e à tout donner :
Mon compte en banque est renfloué
Mais je ne peux rien dépenser !

psychologieC’est quand que je pourrai sortir de chez moi ?
Dans un mois, deux ou six mois ?

Bout ! Marabout, je suis à bout !
J'en ai marre
Ça fout le cafard
Ça vire au cauchemar !

Ah ! Mais c'est ça !
Je suis endormi·e
Dans mon lit,
Je vais me réveiller !

 

Eh ! Bien non !
Tu as les mirettes
Bien ouvertes :
C’est la triste réalité !

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14 avril 2020

A l'EHPAD épatant / Maryvonne

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J'étais encore un enfant, je portais même encore des culottes de golf. Au bord de la mer, il y avait le couvent des sœurs qui était en réalité un hospice de vieux. Tout le monde était vieux là-dedans, même les sœurs. Leur peau avait viré au gris cendre de cigarette ; on les appelait les sœurs grises.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cet endroit ne nous était pas interdit. Il suffisait de dire que nous allions aux vieux, comme on dit « on va aux framboises », et le tour était joué, on pouvait disparaître. Parfois ce n'était qu'une excuse pour échapper à la surveillance de nos parents. Mais il y avait là aussi des vieux tout à fait intéressants.

Nous croisions un ancien capitaine de marine particulièrement inventif en matière de jurons et pour nous qui étions bien élevés c'était un régal. Nous évitions par contre une ancienne cantatrice qui serinait toujours le même air à nous faire friser les oreilles.

On nous avait expliqué que les vieux aimaient la compagnie et que la visite d'un enfant qui leur faisait un dessin ou leur chantait une chanson avait un effet thérapeutique.

Il y avait un vieux savant, un peu lunaire, devenu mutique, qui avait une grave maladie ; il semblait s'affaisser des méninges, le birbe se débattait dans le yaourt. Sauf quand il regardait les infirmières ; ses prunelles enflammées semblaient dire alors: « Attends, ma libellule, attends, j'ai des projets plus ambidextres pour toi ». Mais ce n'était que mon interprétation.

Avec mon copain on allait tous les matins lui chanter « Au clair de la lune ». On avait transformé les paroles pour la rendre moins ennuyeuse : des histoires de portes fermées, de chandelles mortes, de pénurie d'allumettes et de zouaves pas foutus d'avoir un stylo pour écrire un mot, ça ne convenait pas pour un mourant. Notre version toute gaie avait le don de le mettre en joie.

Ce matin-là il avait la figure en coin de rue sinistrée, ses paupières étaient gonflées comme des valises d'ambassadeur au moment d'une rupture diplomatique et avec la couche de mélancolie qui lui couvrait le visage on aurait pu goudronner la nationale 7. Alors nous chantions :

Au clair de la lune, j'ai pété dans l'eau
Ca faisait des bulles, c'était rigolo
Ma grand-mère est venue avec des ciseaux
Elle me coupa les fesses en quatre mille morceaux.

Le vieux professeur retourné en enfance ne pouvait plus parler mais il pouvait encore rire. Il se tordait. Avant de partir, on pissait dans sa bassine pour que la sœur Gisèle lui fasse un compliment. Une bonne pisse bien claire et notre professeur avait droit à un verre de vin rouge au dîner.

***

vacances-en-buick-roadmasterÇa, ce sont mes souvenirs, Pas plus tard que la semaine dernière j'ai voulu y retourner voir mon vieil ami chinois, Tchang, qui y réside. Je lui apportais un bouquet de lotus bleu. L'entrée était interdite à cause d'un virus venu, comme mon ami, de la Chine ; comme quoi il y a des hasards qui font mal. Je franchis des Himalayas de réprobation, j'annapurnisai dans le désenchantement. Mais rien n'y fit, tous les EHPAD(S) étaient fermés.

Plus que déçu je suis allé prendre l'air sur les marches de l'entrée où se trouvait assise une créature de rêve. Elle s'appelait Cheyenne et avait des yeux noirs comme des lacs profonds pour se noyer. Qui est-elle venue voir, une grand-mère, un vieux tonton ? D'emblée je m'assure qu'elle n'est pas trop craignos. La belle voiture garée sur l'avenue a des reflets argent douteux. De toute façon moi les filles ce n'est pas mon truc. Je préfère parcourir le monde et ce qui me tente c'est la belle américaine, la voiture bien entendu, et je ferais bien une petite enquête avec comme associée cette Cheyenne : pour une fois je côtoierais le monde féminin. C'est fou comme un virus tout petit peut faire changer votre vie !

14 avril 2020

Psychose sur la voie ferrée / Jean-Paul

psychose-sur-la-voie-ferree

Ce matin-là, Manu M. avait la figure en coin de rue sinistrée. Ses paupières étaient gonflées comme des valises d'ambassadeur au moment d'une rupture diplomatique et avec la couche de mélancolie qui lui couvrait le visage, on aurait pu regoudronner la Nationale 7.

Bref pas très en train, le bonhomme, du genre tombé du wagon ou assommé par le résultat du match de la veille : Toulouse-Lautrec, score final 42-0 ! On l’a alpagué au pied des rails, de l’autre côté de la maison Lawton, et il avait les stigmates qui avaient coûté cher à Gaston :  ceux du gars qu’a perdu l’esprit !

- Vous avez votre attestation dérogatoire de déplacement ? que lui a demandé Thompson.

Il semblait s’affaisser des méninges, le ziguche. Se débattre dans le yaourt.

- Ma quoi ?

- On peut voir vos papiers, citizen Ken ? Vous avez eu un accident de luge ?

- Ils sont restés dans le compartiment du train, je retourne les chercher.

- Où est-ce que vous voyez un train, M’sieu ? Et qu’est-ce que vous faites en robe de chambre dans ce coin paumé de l’Iowa ?

- Iowa ? Iowa ? Mais on m’attend à Paris ! J’ai une allocution à faire à la télévision ! Je n’ai rien à faire en Iowa !

- Mon cher Thomson, je crois qu’on est encore tombé sur un chtarbé de première ! Vous vous appelez comment, M’sieu ?

- Je vais faire Allemande honorable, messieurs les policiers : d’habitude je réponds Oscar de Tours à cette question mais là, j’ai un méchant blème : je ne sais plus comment j’m’appelle. Peut-être qu’on m’a filé un coup sur la cafetière pour me piquer mon larfeuille ?

- Il porte une cravate de soie, Thompson, c’est pas forcément un rolling stone. Vous avez quoi sous votre robe de chambre, M’sieu, un pige-moi-ça en chachlik mercerisé ?

Le gars écarte les pans de sa robe de chambre, tout surprisi de voir qu’il n’est pas à loilpé dessous.

- Ah ben non, je suis descendu avec mon veston, dites donc. J’ai juste le bas de mon pyjama. Tiens il est là mon portefeuille. Tenez, les voilà mes papelards !

- Paul…Deschanel. Vous êtes parent avec Coco, la gagneuse du numéro 5 ?

- C’est drôle : ce nom ne me dit rien du tout !

- En plus vous trimballez un vrai faux passeport ? Et en attendant, l’attestation de déplacement dérogatoire n’y est pas. Alinéa jacte à l’aise, M’sieu ! C’est pas que vot’ trogne de rubicond nous revienne pas mais on va vous emmener au poste, histoire de débrouiller les œufs de tout ça !

- Attendez, ça me revient ! Je suis le président de la République française. Je m’appelle Emmanuel Macron ! Il y a trente-sept millions de Français qui m’attendent comme le messie. D’ailleurs je suis le Messie, aussi ! Et Jupiter en même temps !

- C’est celaaaaaa, oui, a rétorqué Thompson en lui passant les menottes.

Il est sympa Thompson avec ses imitations d’acteurs français mais son répertoire n’est pas très étendu : Depardieu, Thierry Lhermitte, De Funès, Bourvil, Stop. Il manque juste Lucchini en fait mais ici, aux Zuhesses, ce gugusse nous fait le même effet que Woody Allen. On préfère ignorer.

- On va vous dresser contravention, allez, allez ! Pas d’discussion, allez allez ! J’connais l’ métier !

- Encore une journée faste, collègue. Un frappadingue dès le petit déj’, ca va donner, je sens, aujourd’hui ! Et qu’est-ce que ça serait si on exigeait que l’attestation soit tamponnée !

- Mets ton masque !

- J’ai mon masque !

- Mets ta ceinture ! Et toi derrière, le Frenchie, boucle-la aussi !

*** 

AEV 1920-26 JK Jours heureux

Dans sa cellule de dégrisement, Manu M. déprimait sévère.

Maintenant, il savait ce qu'elle valait, la gloire ! Un piédestal de sable, voilà ce que c'était ! Rien de plus ! Les hommes juchés sur ce promontoire se croyaient des élus éternels mais au premier coup de vent, ils s'écroulaient !

En regardant au-dehors par la petite lucarne de sa cellule, il vit que la lumière de l’été était plus rasante qu’un discours électoral. Il ne savait pas du tout, mais alors pas du tout comment se terminerait ce cauchemar. Y aurait-il seulement encore des jours heureux ?

P.S. Et comme disait la môme Jeannine, ami lecteur, amie lectrice, «Et en plus, c’est vrai» ! Tu peux vérifier ici de tes propres châsses la véracité du pitch :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chute_du_train_de_Paul_Deschanel

Enfonce-toi bien ça dans le caberlinche, mon pote : Quand des gens passablement évolués te donnent pour vérité des abracadabrances, c’est que ces abracadabrances se sont bel et bien produites !

8 avril 2020

Consigne d'écriture 1920-25 du 7 avril 2020 : Les Inconnu·e·s sur la photo

Les Inconnu·e·s sur la photo

 

Que faire des photos ratées ? Des photos sur lesquelles vous ne reconnaissez personne ? Deux solutions : soit les mettre à la poubelle, soit les donner à un atelier d'écriture avec la consigne suivante :

Vous choisissez une personne sur une des photos ci-dessous. Vous parlez d'elle "de l'extérieur" en utilisant le pronom "il" ou "elle" pour parler d'elle et raconter où elle se trouve, à quelle époque, et pourquoi elle figure sur la photo.

Puis vous reprenez votre texte et vous le réécrivez une seconde fois "de l'intérieur", à la place de la personne, en disant "je".

Facultatif : Vous pouvez, si ça vous aide, insérer dans votre texte les mots ou noms de personnes ou de lieux suivants :

- brillantine, château, champignon, pont, harmonie, concorde, pleurs, masque, policier, dérogatoire, girafe ;

- Boutilliez, Moneyron, Tardy, Carpentier, Caron, Masqueliez, Hauchard, Félix, Laure Manaudou ;

- Lens, Hongrie, Pologne, Carvin, Auvergne.

Cliquez sur les photos pour les agrandir et naviguez dans le diaporama
avec les flèches en bas à gauche jusqu'à l'image 24.

 Boutilliez, chef de l'harmonie La Concorde 1

 Cueillette de champignons (détail)

 Jeune inconnu devant la porte

 Joueurs de boules à la Faisanderie (peut-être) détail

 La lectrice

 La famille Moneyron chez Pierrette

 La mère aux trois enfants dont un qui pleure (détail)

 La photo de groupe du chien dans la cour du 73

 Le premier communiant inconnu

 Les enfants sur le matelas (peut-être en Auvergne)

 Les enfants sur le matelas (peut-être en Auvergne) détail

 Les Inconnus brillantinés

 L'inconnu par Hauchard de Lens

 Les inconnus du vieux pont

 Les inconnus du vieux pont (détail)

 Les Masqueliez en Pologne (peut-être)

 Louise, Françoise et Edmund

 Louise, Françoise et Edmund (verso)

 Moumoune, chat siamois

 Pêcheurs à Tence

 Classe de garçons de Guy Lecorne (M

 Classe de garçons de Guy Lecorne (M

 Scène de rue en Hongrie (peut-être)

 Prendre le bus à la Napoule

 

7 avril 2020

X c'est l'inconnu / Adrienne

Classe de garçons de Guy Lecorne (M

Le jour de la photo, comme souvent, il manquait quelqu’un pour faire le onzième.

Le plus embêtant, c’est quand Tardy est absent, le gardien de but. Non pas qu’il soit si bon, ce n’est pas lui qui se fera recruter par le Racing Club de Lens, mais il est le plus grand et le plus patient.

Chaque fois qu’il doit aider son père au lieu de jouer au foot, personne n’a envie de le remplacer. Ce n’est pas chouette de rester entre les poteaux et de regarder les autres gambader et faire des passes et des shoots.

Tardy, c’est le seul qui ne se fasse jamais chahuter. Par personne.

C’est sûrement pour ça que l’entraîneur l’a mis en bonne place devant lui, au milieu de la photo.

***

Ce samedi-là, l’entraîneur avait demandé à un photographe de faire la photo de groupe.

Si je l’avais su, je me serais coiffé avant de venir! Evidemment, le seul qui était au courant, c’était son fils, qui avait mis de la brillantine et fait une belle raie. Même ses ongles étaient propres ! Mais ça, c’est inutile, ça ne se voit pas sur la photo.

L’entraîneur nous a mis sur deux rangs, cinq debout derrière, cinq accroupis devant, il a râlé parce qu’une fois de plus il manquait quelqu’un – mais qu’est-ce qu’on y peut si nos pères ont besoin de nous à la ferme ou au magasin – puis il a dit souriez et regardez bien l’objectif !

Nous on a fait comme on a pu, surtout moi qui ne supporte pas d’avoir le soleil dans les yeux… Mais sourire ? Ah ça non ! On était bien trop impatients de commencer à jouer !

7 avril 2020

L comme lettre / Adrienne

La lectrice (copie restaurée)

Elle s’est installée dans la pièce qui lui est réservée pour ses travaux de couture.
Là, personne ne vient la déranger.

Sur ses genoux, elle a posé la souple mallette en tissu à carreaux, une sorte de grande sacoche avec une longue lanière. C’est là-dedans qu’elle conserve ses lettres.

Chaque lettre est encore dans son enveloppe d’origine. Certaines sont de ce léger papier bleuté avec les bords tricolores : elles ont voyagé en avion.

Elle non. Jamais elle n’a pris l’avion.

Elle aurait bien aimé, pourtant. Voyager.

Mais pour Félix, son mari, il n’est pas question de quitter la maison.
Félix et son jardin potager.
Félix et son pigeonnier avec ses bêtes à concours.
Félix et ses amis qui attendent fébrilement le lâcher de pigeons à Lens.

Alors quand l’envie d’ailleurs devient trop forte, elle se retire dans cette pièce.
Avec ses travaux de couture.
Et la sacoche aux lettres.

Elle a toujours ce doux sourire en les relisant.

***

Je suis prête.

J’ai fait ma mise en plis. J’ai mis mon joli collier. Ma montre en or. Ma robe en soie. Mon rouge à lèvres.

Je suis prête.

Je rassemble les lettres, les photos qu’il m’a envoyées de là-bas.

Il est toujours aussi grand et mince, aussi beau dans son long tablier blanc, les bras fièrement croisés, devant l’entrée de sa boucherie.

Il m’attend et moi je n’attends plus.

J’y vais.

Félix a eu un bel enterrement.

Personne ne s’est douté de rien.

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