Le maton et le malfrat/Dominique (28 mai 2013)
C'est l'histoire d'un type, un malfrat, qui tuait le temps tout seul dans une grande prison. Tout seul, non ! Il était gardé par l'unique gardien de cette grande prison. Peu à peu, tous les prisonniers avaient été libérés ou transférés, les gardiens mutés, mais, eux deux, avaient été oubliés.
Le malfrat regardait le bout de ciel au sommet de sa cellule. Le maton regardait le prisonnier par le trou de la serrure.( L'oeilleton peu à peu avait rouillé, s'était enrayé, et l'on n'avait pas trouvé de pièces pour le remplacer.)
Le truand aurait bien aimé travailler. Mais, il n'y avait rien à faire dans cette prison. Le travail du maton, c'était de mater le malfrat : à travers le trou de la serrure, il n'en voyait que de petites parcelles : la tête, les yeux, les mains, les fesses, les mollets. Parfois, il voyait même sa langue quand il léchait la marmelade des tartines du petit-déjeuner. A travers le trou de la serrure, tout paraissait en ordre. Chaque soir, le gardien faisait tranquillement un rapport.
Le truand s'ennuyait fort dans sa petite cellule. Pour résister à la misère de l'enfermement, de la solitude, pour résister à ce néant qui venait, il se racontait des histoires, il réinventait son passé. Non, il n'avait pas volé de perruque au coiffeur, non, le cadavre, il n'y était pour rien, c'est le marin qui avait tout fait. C'était la faute au chat noir, si on l'avait pris ! Un jour, il décida d'imaginer l'avenir. Soyons positif, soyons dans le futur, se dit-il. Le futur, ce serait une femme, forte en tête et forte en lutte qui surgirait sur une moto, énorme comme un mammouth, lui ouvrirait les portes, les grilles, les barrières. Avec des explosifs ! Une meuf, qui attacherait le maton avec une queue de marsupilami. Pas de macchabées, cette fois-ci ! Du travail bien propre !
Une femme qui l'emmènerait dans un pays de rêves avec mimosas et hammam ! Une mousmée sans marmaille, une môme que pour lui. Une meuf qui ne ferait pas le service minimum, capable de réciter Mallarmé, et de chanter la Thérèse, dans les Mamelles de Tirésias, avec une belle voix de soprano, une femme qui le réveillerait, le malmènerait un peu, pour qu'il cesse de moisir, qu'il mûrisse un peu, qu'il sorte du vertige du rien et de l'abandon.
Le malfrat rêvait, il en avait les larmes aux yeux. Le maton, qui surveillait le truand qui pleurait, en avait le regard humide. Lui, pensait à sa femme qu'il ne voyait plus, depuis qu'il était devenu l'unique gardien chef, de l'unique prison de cette île déserte. Il pensait à sa marmaille, à ses mômes qu'il ne voyait plus grandir.
Les années passaient. Le malfrat blanchissait dans sa cellule. Le maton blanchissait derrière la porte de la cellule. Ils étaient devenus proches, très proches, comme deux jumeaux. Chacun savait, à la minute même, ce que pensait l'autre. D'ailleurs, ils pensaient la même chose au même moment. Le maton n'avait plus besoin de regarder par le trou de la serrure, il imaginait le malfrat, il l'entendait respirer, il le sentait. Le 31 décembre, il décida de réveillonner avec lui. La clef de la cellule, qui n'avait pas servi depuis si longtemps, tourna dans la serrure, comme dans du beurre. Derrière la porte, il trouva un mot : « Excusez-moi, j'étais pressé, je n'ai pas pu vous dire au-revoir. »