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L'Atelier d'écriture de Villejean

19 mai 2020

Le Sourire de la fleur / Jean-Paul

Sur l’étal d’un fleuriste une fleur lui avait souri. Croyant avoir rêvé elle revint sur ses pas pour s’en assurer. À son grand étonnement la rose, car c’était une rose, lui adressa la parole.

- Malgré votre masque, je vous ai reconnue. Vous vous appelez Isaure Chassériau et vous allez tous les ans photographier la roseraie du Thabor.

- C’est vrai mais je ne suis pas la seule à faire cela.

- Vous êtes la seule à oser porter du rose dans cet endroit-là de la ville de Rennes. Alors dites-moi, comment c’était cette année ? Vous avez refait les mêmes photos ?

- Oui, je ne m’en lasse pas. C’est toujours l’Italie là-bas !

- Oui, je sais. Faites attention quand même ! Vous n’avez pas écouté le message d’alerte !

- Quel message d’alerte ?

- Alerte à l’Italiefolievirus. Si vous avez de l’atout et de la fièvre et que vous n’êtes pas en train de jouer au poker ou au tarot, vous êtes peut-être malade. Dans ce cas restez chez vous, limitez les contacts avec les autres personnes, surtout avec Marlon Brando et Bernardo Bertolucci, revoyez vos dévédés de Federico Fellini, mangez des spaghettis et écoutez du Vivaldi. La maladie guérit en quelque jours avec des cerises amarena, du repos et du cappuccino mais si les signes s’aggravent, que vous délirez en chantant « bonbons caramels esquimaux chocolat sucez les mamelles de Lollobrigida », que vous avez des difficultés importantes à respirer le parfum des roses du jardin du Thabor ou rêvez du jardin des Finzi-Contini, si vous voyez la tour Eiffel penchée ou si la Joconde ne sourit plus, appelez le 15 immédiatement.

- Je suis désolé mais si j’avais cette maladie-là, je ne la soignerais pas, je la garderais !

- Vous avez bien de la chance, Mademoiselle Isaure. Les voyous qui m’ont déplantée du Thabor et revendue à ce fleuriste m’en ont guérie. Et de ce fait, je suis la plus malheureuse des roses de ce monde.

Des larmes perlèrent sur les pétales de la fleur. Isaure eut pitié d’elle. Elle entra, paya la fleuriste et lui acheta un vase empli d’eau dans lequel elle planta la rose éplorée.

Elle prit le chemin de la roseraie, traversa tout le parc et redonna vie à l’exilée en la déposant parmi ses sœurs à son emplacement d’origine.

Puis elle se réveilla. Bien sûr que c’était un rêve, qu’elle avait rêvé tout cela. On était le 8 mai 2020, encore confinés comme des cons in fine, et tout autant que le grand jardin public de Rennes, les magasins de fleurs n’avaient pas encore eu le droit de rouvrir leurs portes au public.

200518 Nikon 086

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19 mai 2020

Le Secret du vieux châtaignier / Eliane

C'est une forêt domaniale. Lulu en a hérité. Chaque arbre porte le surnom du membre de la famille qui l'a planté. Aujourd'hui Lulu a décidé d'éclaircir quelque chose avec Féfé, un vieux châtaignier qui en sait plus qu'il n'en dit sur Lolo.

Lulu approcha Féfé avec beaucoup de douceur et de diplomatie. Il n'était pas facile de l'inciter à se laisser aller aux confidences. Pourtant c'est ce qui se passa.

- Tu sais sans doute que pour planter son premier arbre à la naissance de Riri, il y a des générations de cela, le vieux Tom-Tom avait choisi l'endroit avec soin. Il fallait que l'endroit soit joli, apaisant, qu'il incite le promeneur à s’y attarder.

L'endroit choisi était voisin d'une source jaillissante et fraîche. On pouvait s'assoir à côté et se laisser bercer par le doux clapotis de l'eau. Cette source était limpide, on ne tarda pas à venir s'y désaltérer.

Mais après avoir bu, ne serait-ce qu'un verre, on constatait qu'on avait un regain d'énergie. Les femmes notaient une amélioration de la fraîcheur de leur teint, un visage plus reposé. Bref un aspect plus jeune. C'était indéniable, les éléments contenus dans cette eau possédaient des propriétés régénératrices. C'était une fontaine de jouvence.

AEV 1920-31 Eliane la_fontaine_de_jouvence_broceliande_-_1

La nouvelle fit bientôt le tour du village et des alentours. Chacun venait s'abreuver à cette eau miraculeuse une ou deux fois par an. Quand ils se sentaient fatigués ou qu'ils constataient un aspect plus terne de leur visage. Ils repartaient ragaillardis.

Lolo, lui, n'y croyait pas. Il affirmait haut et fort que cette eau ne pouvait pas avoir d'effets miraculeux. Qu'elle était comme toutes les autres. Et que les améliorations constatées n'étaient que le fruit de l'imagination. De l'auto-persuasion. Pourtant il se laissa convaincre de faire une cure d'une semaine. Et ainsi de juger en toute connaissance de causes.

Mais la source était futée. Elle multiplia les bienfaits pour Lolo. Celui-ci fut bien contraint de constater les métamorphoses. Il rajeunit de 5 ans. Les femmes commencèrent à le regarder d'un autre œil, plus intéressé.

Alors il ne s'arrêta pas là. Il continua la cure. Bientôt son miroir lui donna 10 ans de moins et il se sentit la forme d'un jeune homme. Il n'avait jamais été si bien dans sa peau. Il abattait un travail colossal. Et dorénavant son regard s'attardait sur les jeunes filles.

La démonstration était faite. Il fut bien obligé de reconnaître les pouvoirs extraordinaires de la source.

Mais cette dernière était une drogue dont Lolo ne pouvait plus se passer et chaque jour il venait boire sa bolée. Et de jour en jour il rajeunissait. Il eut bientôt l'apparence d'un adolescent. Il se disait que de nouveau il avait la vie devant lui.

AEV 1920-31 Eliane la_fontaine_de_jouvence 2

Mais ces spectaculaires transformations n'étaient pas sans conséquences sur sa santé. Il se mit à maigrir dangereusement, à avoir des vertiges. Son moral faisait du yoyo. Il passait de l'euphorie la plus spectaculaire à l'abattement le plus complet, au désespoir le plus noir.

Il dut être hospitalisé. Il était sevré de breuvage pourtant les médecins étaient impuissants à lui redonner la santé. Il fut nourri par perfusion. Branché sur un respirateur qui lui insufflait de l'oxygène. Il continua à dépérir et, à part un autre miracle, il allait mourir.

Le miracle n'eut pas lieu mais la mort ne voulut pas de lui. Depuis on le pousse sur un fauteuil roulant. Il a toujours un masque à oxygène et la moindre parole lui coûte un effort.

Tu vois, Lulu, il aurait dû s'arrêter quand il était encore temps. Ne pas être trop gourmand. ».

Lulu savait désormais le secret de Lolo. Il ne savait s'il fallait le blâmer ou le plaindre.

19 mai 2020

Les Ostéopotes de Marco / Anne J.

Marco sortit de chez lui et se rendit chez le fleuriste de son quartier, enfin ouvert. Il voulait un bouquet pour son ostéopathe. Elle l’avait si bien soigné de son mal de dos, de hanche, de genou à force de rester assis dans son canapé. Il voulait la remercier, celle qu’il appelait « ma magicienne » et dont il était secrètement un peu amoureux. L’ostéopathe d’ailleurs n’en avait cure, elle avait déjà un mari et sa seule passion était la pêche à pied. Tout le monde le savait, il était impossible d’avoir un rendez-vous les jours de grande marée, l’ostéopathe était à la pêche et sur sa vitrine un papier collé annonçait : « Repassez plus tard ». 

AEV 1920-31 Pêche à pied - Anne

Marco choisit son bouquet et s’avança vers la caisse mais à son passage une de ces grosses fleurs rouges qui ressemble à une marguerite inclina délicatement la tête pour attirer son intention. Il eut alors une pensée pour sa vieille amie Eléonore qui aimait tant le rouge. A Eléonore Marco confiait ses peines et elle savait si bien l’écouter, son « ostéopote » et elle lui était une amie fidèle depuis si longtemps.

AEV 1920-31 Girafe à vélo - AnneEn se baissant pour prendre la grande fleur rouge, Marco entendit une voix qui murmurait très doucement « Paul !». Intrigué, il regarda autour de lui. Il n’y avait personne de si bon matin, juste la vendeuse derrière son plexiglas. « Paul, Paul ! » disait une grosse fleur blanche. Marco ajouta une pivoine blanche à son début de bouquet.

Sur le trajet jusqu’à la caisse une rose jaune lui murmura « Claire ! », une primevère d’un violet agressif lui susurra « Louis ! » et « Jeanne ! » et un groupe de soucis chanta : « pense à la chorale ! » tandis que les tiges de papyrus lui glissaient à l’oreille « …et à ton atelier d’écriture ! »

Marco sortit du magasin avec une grosse brassée de fleurs et le cœur tout ramolli en pensant à tous ces ostéopotes qui lui faisaient la vie plus douce. Avec son vélo, il entama un grand tour du quartier pour déposer sur le seuil des maisons, la fleur achetée. Au cimetière, il mit une grande gerbe de glaïeuls sur la tombe de Marie et rentra chez lui, tout pensif.

Une fois revenu à la maison, il dessina de longues tiges sur des feuilles de papier blanc, à l’encre de Chine, des dessins doux aux contours fragiles et flous, comme ces amitiés lointaines dans un autre monde. Il les glissa dans des enveloppes, un mode de communication suranné mais si précieux.

Et pour sa grand-mère, il glissa un brin de muguet dans le livre qu’il lui porterait la semaine prochaine.

Alors il s’assit dans son fauteuil et s’endormit. Dans son rêve tous ses ostéopotes dansaient en rond autour de lui. Un sourire ravi se dessina sur son visage.

19 mai 2020

Rêve de fleurs / Maryvonne

200518 Nikon 101

Voilà qu'à l'étal du fleuriste
Ma vie devient surréaliste :
J'ai vu un sourire mutin
Sous le chapeau d'un grand lupin.
 
L’œillet me bat cils et paupières
Et m'oblige à faire marche arrière.
Voulez-vous donc, fleurs en folie,
Me faire entrer au paradis ?
 
Le muguet me sonne l'entrée
Dans une ronde de giroflées
Pendant que m'attrapent par le bras
Tous les dahlias et gerberas.
 
Révérence de la pervenche :
Sa tête doucement se penche,
Elle met la grâce dans son salut
Corolle légère comme un tutu.
 
Le premier à me dire « Je t'aime »
C'est le mythique chrysanthème :
Il a cédé au fameux rite
De l'effeuillage de marguerite.
 
200518 Nikon 087Je me balance les pieds hors sol
Sur un énorme tournesol.
De cette curieuse escarpolette
Je saute sur un lit de violettes.
 
Soudain mon iris bleu perçoit
Des murs tout blancs autour de moi
Puis survient une  respiration
Avec une machine en action
 
Un doux visage masqué se penche
Tout comme la petite pervenche ;
Il dit : «  Faut que tu te reposes !
Demain tu reverras les roses !».
 
Des beaux yeux couleur hortensia
Derrière des lunettes en mica
M'encouragent à me relever
Telle une fleur sous la rosée.
 
Demain je garderai au cœur
Des fleurs de toutes les couleurs
Pour tous ceux-là qui nous guérissent
Derrière leurs murs couleur de lys. 

19 mai 2020

Les Petits papiers / Maryvonne

- Salut Vélin ! Comment vas-tu depuis que t'es recyclé ?

- Un peu chiffon et toi ?

- Oh ! Moi, le papier bristol, je suis complètement glacé. Te rends-tu compte que depuis le début de l'écriture on a fait du chemin vers le déclin ? Je ne te parle même pas des papyrus mais de tes ancêtres les premiers vélins en peau de veau mort-né. Voire même de fœtus. Écologistes, fermez vos yeux sinon nous n'aurons pas assez de papiers buvards pour sécher vos larmes. Tout va à vau l'eau ! Cependant, heureusement que nous avons eu ces parchemins pour nous transmettre notre histoire. Tiens ! Par exemple comme la révolte du papier timbré à Rennes en 1675.

- Tu as raison, mais voilà que la critique pleut aussi sur l'abattage des arbres pour notre famille Vélin plus moderne. Je ne vais pas te faire un croquis sur un joli papier dessin, ni un lamento sur un papier musique mais le recyclage il fallait sans doute y venir.

AEV 1920-31 Maryvonne Clairefontaine

- Oui, à cause des abus, souviens-toi des cahiers d'écolier des enfants. Comme la marque «Clairefontaine » avec ses lignes « Seyes ». Il n'y avait pas de place perdue. Même sur du papier bouffant on n'en perdait pas une miette. Les maîtres ne rigolaient pas avec le gaspillage. Il faut dire que pour les fournitures ils faisaient bien attention à leur papier monnaie.

- Quand-même nous allons vers notre disparition. Tu as vu pendant le confinement les attestations dérogatoires : les « Laisser-passer », les p'tits papiers, comme dit la chanteuse Régine. les vieux remplissaient leur papier pris dans le journal et pour les jeunes et les branchés c'était l'application sur smartphone. Voilà, notre époque papier doré est terminée. A la niche le papier couché, le papier de riz ou d'Arménie. Tu vois, j'ai bien raison d'être chiffonné !

- Mais non, ne sois pas si pessimiste : c'est le renouveau par… le papier toilette !

- Ah ! Ah ! T'es un sacré p'tit trou du c... toi !

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13 mai 2020

Consigne d'écriture 1920-30 du 12 mai 2020 : Petit-Fort-Philippe

Petit-Fort-Philippe

AEV 1920-30 Petit-Fort-Philippe

En vous inspirants des nombreux diaporamas disponibles sur cette page, racontez votre séjour dans cette ville du Nord de la France située entre Calais et Dunkerque. Qu'êtes-vous venue.e y faire ou y chercher ? Avec qui avez vous rendez-vous ici ? Félix ? Béatrice ? Laure Manaudou ? Jean-Claude Van Damme ? Mimi Crincrin et Justin Chicon ? Est-ce un retour ? S'agit-il d'une ville que vous avez inventée de toutes pièces, une ville de rêve, de désir, de questionnements ou de cauchemars ?

Consigne inspirée par celle de la page 245 du livre "Ecrire" de Faly Stachak aux éditions Eyrolles.

 

12 mai 2020

Petit-Fort-Philippe ? / Dominique H.

11 mai 2020 : jour du « déconfinement »

Maintenant nous sommes jugés assez grands
pour déconfiner prudemment.
Alors pour fêter l'évènement
avec leurs sept voisins de chants
Félix et Béatrice ont repris en choeur
les neuf chants les plus chers à leurs cœurs
puis ils ont trinqué tout en pressentant cependant
que la vie ne serait plus comme avant.

L'expérience du confinement
nous a contraints à des changements.
Qu'allons-nous faire maintenant
de ces nouveaux comportements ?
Ca n'a pas été très simple de confiner
et ça s'annonce compliqué de déconfiner,
d'intégrer la juste prudence
ainsi que la bonne distance.

Huit semaines c'est long et c'est court.
bien des habitudes vont vite reprendre leur cours.
Se parler et se sourire masqués
sans se sentir étouffer.
Etre physiquement distants
tout en étant mentalement présents.
Régler son cerveau sur un mètre
et limiter ses rêves à cent kilomètres.

AEV 1920-30 Dominique Plonk et Replonk
Illustration extraite de "Erratoum" de Plonk et Replonk

Depuis quatre jours, nous voici autorisés
mais en même temps limités
à prendre des vacances,
pas à Byzance mais en France.
Ils ont dit : « Soyez heureux,
soyez joyeux,
souvenez vous, jadis,
de la liesse de l'été 36 ! ».

Depuis cette annonce, le moral de Félix
s'est mis au beau fixe
et lui, le bien nommé et bien heureux,
m'annonce tout joyeux :

- Amour.
tu te souviens que c'est mon tour
de choisir la destination
de nos prochaines pérégrinations ?

Eh oui. c'est toi qui avais choisi la Crète.
Pas de chance. émoi sur toute la planète,
Corona a modifié tes plans
avec son confinement.
Ne sois pas triste pour autant.
Amour. ce sera pour le prochain printemps.
Allons ne fais pas la tête.
tu verras ce sera la fête !

Cet été je te propose de découvrir la France.
douce France. beau pays de notre enfance.
Que penses-tu
de cet inattendu ?
Je vais nous concocter
pour cet été.
un circuit court écologique
comme nous les aimons et de surcroît exotique !

Petit Fort Philippe Google images 05

Béatrice est toute déconfite
et inquiète pour la suite.
Bleu-blanc-rouge sera l'été
c'est ainsi que le ministre l'a décrété.
Cet horizon hexagonal
ne convient pas à son moral
Mais c'est vrai que la planète
n'est pas à la fête.

Béatrice ne réagit pas
son cerveau est raplapla.
Elle a compris que Chéri
va continuer à dérouler sa stratégie.

- Alors. Amour. je t'explique
ma tactique.

« Cause toujours ! »
pense Amour...

Félix sent Béatrice sur la réserve,
il dirait même sur la grande réserve,
alors il tente de mettre du piquant
à son plan. de le rendre séduisant.

- Nous partirons évidemment en camion,
notre fidèle maison-cocon,
notre vagabonde charmante,
notre liberté ambulante.

Jusque là ça va
il sait que Béatrice aime ça,
le programme au jour le jour,
les jolis détours.
Félix aurait dû en rester là,
sentir que Béatrice ne le suivait pas
Mais il a insisté
et il s'est planté.

- Alors, Amour, fais-moi confiance
je t'emmènerai dans un joli coin de France,
une immense plage que tu ne connais pas
sur la rive droite de l'Aa.
Cet endroit que j'ai tiré au sort
a un joli port. un petit fort
et dans son ciel des cerfs-volants.
Tu verras, ce sera charmant.

Petit Fort Philippe Google images 15 Seurat

- Chéri. n'insiste pas
je ne suis pas en état
de rêver à quoi que ce soit.
Ca va trop vite pour moi.
J'ai beaucoup aimé co-confiner
mais il me faut du temps pour déconfiner.
Je sens que je deviens ronchon
j'ai besoin d'une cure de Souchon.


Souchon est un nom de code
qui est bien commode
quand Béatrice veut expliquer
à Félix qu'elle est parfois compliquée,
que la mélancolie la gagne,
qu'elle a alors besoin de sa campagne,
de se retirer un moment,
de prendre son temps.

Depuis le temps qu'ils se préfèrent
Félix sait qu'il ne peut rien faire
contre Souchon le poète
qui sait panser la Béatrice inquiète
et beaucoup mieux l'apaiser
que tous ses baisers.
C'est ainsi qu'elle est,
c'est ainsi qu'elle lui plaît.

Béatrice a quitté Félix
pour un jour ou pour dix ?
Il ne sait pas.
Mais il sait qu'elle reviendra.
Demain il fera beau.
il ira à Saint-Malo
plonger :
les araignées sont arrivées.

Petit Fort Philippe Inédits 47

Note de l'éditeur :
Cette "donnée écologique" a sans doute échappé à Félix !

12 mai 2020

Mes pas dans les leurs / Josiane

Il y avait longtemps que l’idée me trottait dans la tête mais, à la naissance de mon garçon, un bon gros bébé aux cheveux roux, le besoin d’aller à la rencontre de mes origines se fit sentir de façon impérieuse. 

J’ai grandi sans grand-père maternel, ma mère était une enfant du péché comme on disait à l’époque. Le souvenir de cet amour fugace aux lourdes conséquences avait laissé à ma grand-mère ce sourire radieux de ceux qui ont aimé de toutes les forces de la jeunesse, du moins, c’est ce que je me plaisais à croire. De ce grand-père inconnu je ne savais que peu de choses : il habitait Petit-Fort-Philippe, était roux et avait disparu en mer alors que ma mère venait de s’annoncer. 

C’est donc par une journée torride de l’été 1976 que je décidai d’aller à Petit-Fort-Philippe, berceau des amours interdites. Avec les maigres informations laissées par ma grand-mère, étayées par quelques photos-souvenirs, je débarquai dans la petite station balnéaire sous un soleil écrasant. Je n’eus aucune difficulté à trouver la jetée où Blanche, ma grand-mère, avait été photographiée. Ce jour-là, m’avait-elle dit, elle se rendait à un rendez-vous avec Paul, son amoureux, chaperonnée par sa soeur cadette. Sous le feu de mes questions, avec des larmes dans les yeux, elle m’avait alors commenté la photo. 

AEV 1920-30 Jeunes_filles_en_balade_sur_la_jetée_Est

- Pourquoi avais-tu l’air aussi triste alors que tu allais rejoindre grand-père ? 

- Ce jour-là, ma chérie, il y avait eu une forte tempête et nous avions attendu longtemps l’arrivée du bateau sur lequel ton grand-père avait embarqué. C’était le lot de beaucoup de femmes, cette attente insoutenable, les jours où la mer était en furie. J’étais jeune alors et pas encore aguerrie, j’avais eu si peur qu’il ne revienne pas, mon Paul.

Accompagnée par le fantôme de toutes ces femmes de marin, je fis une longue promenade sur la jetée ; l’air marin y rendait supportable la chaleur accablante de cette journée de juillet. Je fermais les yeux, la présence de grand-mère était tangible, elle m’accompagnait, c’était sûr et je me disais que j’avais eu raison de venir mettre mes pas dans les leurs. L’après-midi languissait sous la chaleur de l’été, je dus quitter la jetée pour un autre rendez-vous, le restaurant hôtel Beau-Rivage que tenaient les parents de Paul. En préparant mon séjour, j’avais eu la surprise de voir qu’il existait toujours et sous le même nom. Depuis longtemps il n’appartenait plus à la famille, mais les successeurs avaient gardé ce nom un peu suranné qui annonçait la proximité de la mer et attirait le client. 

Petit Fort Philippe Inédits 05

Je fus déçue car certes il avait le même nom mais il s’était refait une beauté et le charme en fut rompu. Paul aurait pu comme ses parents devenir restaurateur et tout aurait sans doute été différent. Mais ce grand gaillard aux cheveux roux avait entendu l’appel du grand large, le confinement d’une cuisine n’était pas fait pour lui, il avait besoin d’espace, d’embruns et d’aventure. 

J’arpentai la rue du Lazaret qu’il avait dû parcourir avant moi et c’était un peu de lui que je retrouvais à Petit Fort Philippe. J’ai fait des kilomètres ce jour-là sur les traces de ceux qui ne sont plus. Le passage et le phare, le port, m’émerveillant devant les grands voiliers à l’ancrage. Moi qui habite une petite ville loin des côtes, je comprenais tout à coup comment on peut avoir envie de prendre la mer. Le large, les embruns, les voiliers, il y avait malgré moi tout cela dans l’héritage que m’avait laissé ce Paul tant aimé et si vite disparu. 

Je pris pension quelques jours à l’hôtel Beau-Rivage et, m’imprégnant de l’atmosphère étrange de la petite station balnéaire, je longeai chaque jour les rues, le port, la jetée, la plage. 

Un matin, je me dis qu’il était temps de rentrer. La vraie vie et mon lien avec ce grand-père inconnu, c’était cet enfant roux, ce petit Paul miniature dont il portait le prénom et que je me promettais d’amener bientôt ici, sur les traces de son arrière-grand-père. Nous arpenterons ensemble les rues et le bord de mer en pensant à eux qui y ont aimé et dont nous sommes issus.  

Petit Fort Philippe Inédits 20

12 mai 2020

Retour à Petit-Fort-Philippe / Marie-Thé

Lorsque Félix a parlé de sortir la caravane pour aller «faire le plein d’iode au bord de la mer», Marie a sauté de joie. Elle se voyait déjà sur la Côte d’Azur.

Les deux mois de confinement passés au 4e étage de leur appartement de Maurepas à Rennes ont été longs et ennuyeux. Félix avait des sautes d’humeur, buvait de la bière vautré dans le fauteuil et ne sortait même pas une heure pour promener Pompon. Quant à Marie elle a passé beaucoup de temps à cuisiner et à regarder la télé et maintenant elle a 5 kilos en trop.

Petit Fort Philippe 22 12

Marie propose de descendre à Saint-Tropez où elle rêve de rencontrer André Dussolier mais Félix veut aller chez les Ch’tis revoir Petit-Fort-Philippe où, quand il était jeune, il a fait un camp de Scouts.

Marie trouve que le Nord, c’est froid, il pleut et les gens ne parlent pas comme nous. Félix a pris sa décision. C’est là… ou nulle part ailleurs ! « Macho !» murmure-t-elle entre ses dents.

De bon matin, le lendemain, la caravane chargée, les voilà sur la route. Tennis blancs, bermuda et tee-shirt bien propres, polaire sur le siège arrière. Marie a prévu les cassettes de Renaud et Christophe pour elle et de Pierre Perret pour Félix qui trouve que c’est un grand poète.

Quand en fin d’après-midi ils arrivent sur le terrain de camping municipal, ils n’ont pas de mal à trouver une place. Le soleil brille et ils ont hâte de voir la mer.

Sacs sur le dos, main dans la main, Pompon au bout de la laisse, ils s’en vont à la plage. Marée basse ! Qu’importe, ils enfilent les maillots. La mer est loin, très loin. Un quart d’heure plus tard ils ont de l’eau jusqu’aux genoux. Seul Pompon peut nager. Marie est un peu énervée mais elle essaye de rester cool.

Demain ils visiteront les environs.

***

Vers 10 heures ils sont prêts. La pluie se met à tomber. Pas grave, ils ont des cirés. Ils vont aller au phare de Gravelines.

La mer est haute. Un rayon de soleil blanc perce la brume. Les vagues s’écrasent avec fracas laissant sur le sable une écume blanche qui vole dans tous les sens. Marie et Félix avancent contre le vent et se serrent l’un contre l’autre en riant, Pompon aboie, effrayé par le vacarme.

Petit Fort Philippe Inédits 30

Petit Fort Philippe 22 02Le phare de Gravelines domine la mer. Ils vont monter toutes les marches. "Je vais perdre au moins 1 kg" se dit Marie. Félix se souvient qu’il les a grimpées en courant trente ans auparavant.

Déçus, ils constatent que le phare ne sera ouvert au public que dans un mois. Ils flânent dans le bourg et dégustent du Maroilles. C’est bon mais ils n’aiment pas beaucoup l’odeur.

"L’après-midi, repos au lit !" dit Félix en serrant Marie dans ses bras.

Le soir Félix joue aux boules avec des Ch’tis sur le terrain de camping. Ils boivent des apéros pendant que Marie prépare le repas. Félix revient complètement ivre. Il se couche directement et ronfle bruyamment toute la nuit.

Marie, furieuse, décide de plier bagage dès le lendemain. Ils iront voir la petite chapelle des marins qu’elle a vue sur un dépliant et après ils décamperont.

Sur la route ils se sont réconciliés et s’arrêtent en Normandie pour terminer les vacances. Revenus à l’appartement chacun reprend sa routine. Marie rêve de Saint-Trop’ pendant que Félix projette un retour à Petit-Fort-Philippe pour revoir ses nouveaux copains.

12 mai 2020

De Rimbaine à Verlaud. 7, « Aa » dit-il car il connaissait les deux langues !

M. Arthur Rimbaine
Explorateur de voies intraveineuses
et de traditions orales ou à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières

                                                                    Monsieur Paul Verlaud
                                                                    Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
                                                                    73, rue Sonneleur
                                                                    62812 Vent-Mauvais

                                                     Petit-Fort-Philippe le 12 mai 2020

C’est effectivement un concept très intéressant et le tout récent confinement de mars à mai 2020 nous l’a prouvé contre notre gré : ce sont les lieux les plus connus de nous qui sont les plus surprenants, les plus porteurs d’inattendu.

Je pense ainsi à toutes ces dames qui ont profité de ce temps libéré pour faire du rangement chez elles et se sont effarées du nombre de paires de chaussures qui encombraient leurs placards.

Petit Fort Philippe 22 03

Aujourd’hui, fort heureusement, ce temps d’enfermement est terminé et j’ai pu reprendre mon travail d’exploration des traditions orales à mettre dans les annales. Je l’ai repris à zéro ou presque, en tout cas au tout début du dictionnaire puisque mon expédition de ce jour, à ta demande de confiné à jambe de bois, m’a amené pas très loin de chez toi, à Petit Fort-Philippe dans le département du Nord. C’est ici que ce fleuve côtier en deux lettres très connu des cruciverbistes et des verbicrucistes, voire de ceux qui font des mots croisés, vient se jeter dans la mer. (In appelle cha eune imbouchur’ ou un estuaire).

Le fleuve est canalisé et se termine par un long chenal qui sépare Petit-Fort-Philippe à sa droite de Grand-Fort-Philippe à sa gauche. C’est un peu comme Buda et Pest à Budapest mais attention ça n’a rien à voir avec Buca et Rest à Bucarest en Roumanie : Buca est en Turquie et Rest n’existe pas !

Petit Fort Philippe Google images 20 bis Salomé

Si Petit-Fort-Philippe fait partie de la ville de Gravelines, Grand-Fort-Philippe est indépendante. Aussitôt débarqué du train à Gravelines j’ai pris l’autobus de Monsieur Salomé (Man mère ! Qoô qu’ch’est que ch’bahut-là ? Y date eud Mathusalème ?) et je me suis mis en quête de l’hôtel Beaurivage tenu par M. et Mme G. Babilaere. Il ne paie pas de mine mais est très correct, accueil chaleureux avec accent ch’ti garanti :

- Allez, Biloute, monte eul valise à ch’t’homme dins l'champe numéro vintte !.

Après m’être installé sommairement, je suis ressorti. Avant de jouer les arpenteurs d’inattendu j’ai pris un café dans un estaminet nommé « Au retour du Transvaal ». (Ah ben dis donc ma loute, c’h’est pas dé l’chirloute qu’in sert ichi ! Y faudrot un bon g’nièv’ pour faire passer ch’tortosa là !). Mon Dieu qu’il était fort ! J’ai commencé par faire le tour de la grand’ place. Elle ressemble un peu à celle de Charleville-Mézières, la place ducale de Charlestown, à ceci près qu’elle n’est pas traversée en son milieu par deux routes perpendiculaires (comme à Carvin, par exemple). Par contre les autocars de Monsieur Salomé ont un petit dépôt ici où ils proposent des excursions vers Dunkerque, Bray-Dunes et même La Panne, de l’autre côté de la frontière belge. C’est gonflé ! Peu de temps après les affaires de Metoo faire le coup de La Panne à toutes les dames d’un bus, il faut oser. Ce Salomé a peut-être des accointances avec le producteur harceleur ? Comment s’appelait-il déjà ? Richard Strauss-Kahn ?

Petit Fort Philippe Inédits 42Je me suis promené ensuite le long du chenal jusqu’au phare blanc et noir que son motif décoratif en spirale fait ressembler à un sucre d’orge de fête foraine (In dit eun’ ducasse, par ichi, Isidore !). Elle commence par devenir énervante cette petite voix intérieure qui m’interrompt tout le temps ! J’ai continué jusqu’au bout de la jetée. Ce n’est pas le sillon de Talberg mais presque. On est peut-être, au bout, au point le plus septentrional de la France ? Qui sait ?

J’ai rebroussé chemin et j’ai tourné à gauche devant les cabines de bain. J’ai longé la plage, suis passé devant le sémaphore, la chapelle des marins, ai poussé jusqu’au camping puis suis revenu par le même chemin. Comme on était proches de midi j’ai décidé de me poser pour déjeuner au restaurant de l’hôtel.

Petit Fort Philippe Inédits 05On m’a proposé de déguster des welsches, un plat typique du Nord (du pays de Galles ?) à base de fromage de Cheddar fondu dans de la bière et gratiné au four avec un œuf miroir par-dessus une de ces tartines de jambon dont Arthur Rimbaud a chanté les mérites dans son poème « Au cabaret vert, cinq heures du soir ». Délicieux mais copieux car on m’a servi avec cela frites et salade. Comme boisson, il n’y avait pas d’autre choix que la bière Motte-Cordonnier. Cordonnier, ça m’a fait penser à « Comme des lyres je tirais les élastiques de mes souliers blessés un pied contre mon cœur ».

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Et puis après le café – mon Dieu qu’il était fort aussi ! – je suis allé paresser au pied du sémaphore pour attendre mon rendez-vous de quinze heures. Mon Dieu qu’est-ce que c’est bon de pouvoir à nouveau poser son cul sur le sable. Qui aurait pu imaginer que nous pourrions être assez stupides un jour pour obéir à ces encravatés guindés, xyloglottes de naissance et paralytiques du bulbe, menés par des toubibs aveuglés par la peur de sauter dans le Covid, signer des autorisations de déplacement dérogatoires et accepter d’être enfermés dans un kilomètre carré sans air, sans verdure, sans jase et sans excentricité, les mêmes nous demandant de retourner ensuite, du jour au lendemain, nous confiner-fourrer dans le métro, le train et les bureaux pour relancer l’économie ?

Petit Fort Philippe Inédits 41Je me suis calmé en regardant jouer les mômes et les ados qui n’en ont jamais rien eu à secouer de cette pandémie puis je me suis rendu au Café du Phare.

- C’est bien ici, l’atelier d’écriture de Mimi Crincrin et Justin Chicon ?

- Oui, vous êtes le premier ; je vous sers un demi de bière Carlier et vous allez vous asseoir à la table longue au centre. Les autres ne vont pas tarder à arriver !

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O tempora o mores ! O Crête de punk de Desireless ! Quel fabuleux voillage-voïache ce fut ! Les participant·e·s étaient empli·e·s de joie de se retrouver après un conconfinement bien trop long à leur gré.

J’aurais peut-être été perdu-noyé parmi ces patoisants folkloriques qui se réunissent ici chaque mardi pour traduire en picard ou en rouchi – c’est le patois du Nord que l’on appelle ainsi – des chansons célèbres écrites à l’origine dans le plus pur des français. Heureusement l’ambiance bon enfant, la bière Carlier , les rires et surtout la petite voix qui m’accompagne depuis le début de mon séjour m’ont aidé à rédiger l’exercice qui m’était demandé : adapter-traduire-trahir « Les gens du Nord » d’Enrico Macias. Je te montrerai cela demain. Je ne suis pas mécontent de mon travail de parolier ! Mais le « Ti Gravelines, té m’as pris dins tes bras » de Mimi Crincrin était irrésistible.

J’étais un peu « torché » quand j’ai quitté mes hôtes mais j’avais bien rigolé. Sur la lancée, dans la chambre 20 de l’hôtel Beaurivage, je t’ai écrit ce pré-rapport en forme de lettre à l’ancienne.

Ce soir ce sera Petit-Fort-Philippe by night. Demain matin je visiterai le musée du dessin et de l’estampe originale de Gravelines et dans l’après-midi je retournerai à Lille puis prendrai le bus pour aller chez toi à Vent-mauvais.

Je suis vraiment très, très heureux à l’idée de vous revoir, toi et ta jambe de bois, après cette séparation de tant d’années !

Bien plus qu’amicalement

P.S. Si tu as des tuyaux sur la petite voix intérieure, je suis preneur. Tu crois qu’ils auraient osé mettre un comprimé de Gougueule-transleïte dans la bière ? Ou sinon, au "Retour du Transvaal", qu’est-ce qu’ils auraient mis dans le café ? (Mais quo qu’ch’est qu’t’as mis dins l’café ?) La même chose que dans la chanson d’Antoine ? Un truc qui donne des élucubrations ?

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