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L'Atelier d'écriture de Villejean
12 mai 2020

Mes pas dans les leurs / Josiane

Il y avait longtemps que l’idée me trottait dans la tête mais, à la naissance de mon garçon, un bon gros bébé aux cheveux roux, le besoin d’aller à la rencontre de mes origines se fit sentir de façon impérieuse. 

J’ai grandi sans grand-père maternel, ma mère était une enfant du péché comme on disait à l’époque. Le souvenir de cet amour fugace aux lourdes conséquences avait laissé à ma grand-mère ce sourire radieux de ceux qui ont aimé de toutes les forces de la jeunesse, du moins, c’est ce que je me plaisais à croire. De ce grand-père inconnu je ne savais que peu de choses : il habitait Petit-Fort-Philippe, était roux et avait disparu en mer alors que ma mère venait de s’annoncer. 

C’est donc par une journée torride de l’été 1976 que je décidai d’aller à Petit-Fort-Philippe, berceau des amours interdites. Avec les maigres informations laissées par ma grand-mère, étayées par quelques photos-souvenirs, je débarquai dans la petite station balnéaire sous un soleil écrasant. Je n’eus aucune difficulté à trouver la jetée où Blanche, ma grand-mère, avait été photographiée. Ce jour-là, m’avait-elle dit, elle se rendait à un rendez-vous avec Paul, son amoureux, chaperonnée par sa soeur cadette. Sous le feu de mes questions, avec des larmes dans les yeux, elle m’avait alors commenté la photo. 

AEV 1920-30 Jeunes_filles_en_balade_sur_la_jetée_Est

- Pourquoi avais-tu l’air aussi triste alors que tu allais rejoindre grand-père ? 

- Ce jour-là, ma chérie, il y avait eu une forte tempête et nous avions attendu longtemps l’arrivée du bateau sur lequel ton grand-père avait embarqué. C’était le lot de beaucoup de femmes, cette attente insoutenable, les jours où la mer était en furie. J’étais jeune alors et pas encore aguerrie, j’avais eu si peur qu’il ne revienne pas, mon Paul.

Accompagnée par le fantôme de toutes ces femmes de marin, je fis une longue promenade sur la jetée ; l’air marin y rendait supportable la chaleur accablante de cette journée de juillet. Je fermais les yeux, la présence de grand-mère était tangible, elle m’accompagnait, c’était sûr et je me disais que j’avais eu raison de venir mettre mes pas dans les leurs. L’après-midi languissait sous la chaleur de l’été, je dus quitter la jetée pour un autre rendez-vous, le restaurant hôtel Beau-Rivage que tenaient les parents de Paul. En préparant mon séjour, j’avais eu la surprise de voir qu’il existait toujours et sous le même nom. Depuis longtemps il n’appartenait plus à la famille, mais les successeurs avaient gardé ce nom un peu suranné qui annonçait la proximité de la mer et attirait le client. 

Petit Fort Philippe Inédits 05

Je fus déçue car certes il avait le même nom mais il s’était refait une beauté et le charme en fut rompu. Paul aurait pu comme ses parents devenir restaurateur et tout aurait sans doute été différent. Mais ce grand gaillard aux cheveux roux avait entendu l’appel du grand large, le confinement d’une cuisine n’était pas fait pour lui, il avait besoin d’espace, d’embruns et d’aventure. 

J’arpentai la rue du Lazaret qu’il avait dû parcourir avant moi et c’était un peu de lui que je retrouvais à Petit Fort Philippe. J’ai fait des kilomètres ce jour-là sur les traces de ceux qui ne sont plus. Le passage et le phare, le port, m’émerveillant devant les grands voiliers à l’ancrage. Moi qui habite une petite ville loin des côtes, je comprenais tout à coup comment on peut avoir envie de prendre la mer. Le large, les embruns, les voiliers, il y avait malgré moi tout cela dans l’héritage que m’avait laissé ce Paul tant aimé et si vite disparu. 

Je pris pension quelques jours à l’hôtel Beau-Rivage et, m’imprégnant de l’atmosphère étrange de la petite station balnéaire, je longeai chaque jour les rues, le port, la jetée, la plage. 

Un matin, je me dis qu’il était temps de rentrer. La vraie vie et mon lien avec ce grand-père inconnu, c’était cet enfant roux, ce petit Paul miniature dont il portait le prénom et que je me promettais d’amener bientôt ici, sur les traces de son arrière-grand-père. Nous arpenterons ensemble les rues et le bord de mer en pensant à eux qui y ont aimé et dont nous sommes issus.  

Petit Fort Philippe Inédits 20

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