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L'Atelier d'écriture de Villejean
14 avril 2020

A l'EHPAD épatant / Maryvonne

moulinsart-au-soliel

J'étais encore un enfant, je portais même encore des culottes de golf. Au bord de la mer, il y avait le couvent des sœurs qui était en réalité un hospice de vieux. Tout le monde était vieux là-dedans, même les sœurs. Leur peau avait viré au gris cendre de cigarette ; on les appelait les sœurs grises.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cet endroit ne nous était pas interdit. Il suffisait de dire que nous allions aux vieux, comme on dit « on va aux framboises », et le tour était joué, on pouvait disparaître. Parfois ce n'était qu'une excuse pour échapper à la surveillance de nos parents. Mais il y avait là aussi des vieux tout à fait intéressants.

Nous croisions un ancien capitaine de marine particulièrement inventif en matière de jurons et pour nous qui étions bien élevés c'était un régal. Nous évitions par contre une ancienne cantatrice qui serinait toujours le même air à nous faire friser les oreilles.

On nous avait expliqué que les vieux aimaient la compagnie et que la visite d'un enfant qui leur faisait un dessin ou leur chantait une chanson avait un effet thérapeutique.

Il y avait un vieux savant, un peu lunaire, devenu mutique, qui avait une grave maladie ; il semblait s'affaisser des méninges, le birbe se débattait dans le yaourt. Sauf quand il regardait les infirmières ; ses prunelles enflammées semblaient dire alors: « Attends, ma libellule, attends, j'ai des projets plus ambidextres pour toi ». Mais ce n'était que mon interprétation.

Avec mon copain on allait tous les matins lui chanter « Au clair de la lune ». On avait transformé les paroles pour la rendre moins ennuyeuse : des histoires de portes fermées, de chandelles mortes, de pénurie d'allumettes et de zouaves pas foutus d'avoir un stylo pour écrire un mot, ça ne convenait pas pour un mourant. Notre version toute gaie avait le don de le mettre en joie.

Ce matin-là il avait la figure en coin de rue sinistrée, ses paupières étaient gonflées comme des valises d'ambassadeur au moment d'une rupture diplomatique et avec la couche de mélancolie qui lui couvrait le visage on aurait pu goudronner la nationale 7. Alors nous chantions :

Au clair de la lune, j'ai pété dans l'eau
Ca faisait des bulles, c'était rigolo
Ma grand-mère est venue avec des ciseaux
Elle me coupa les fesses en quatre mille morceaux.

Le vieux professeur retourné en enfance ne pouvait plus parler mais il pouvait encore rire. Il se tordait. Avant de partir, on pissait dans sa bassine pour que la sœur Gisèle lui fasse un compliment. Une bonne pisse bien claire et notre professeur avait droit à un verre de vin rouge au dîner.

***

vacances-en-buick-roadmasterÇa, ce sont mes souvenirs, Pas plus tard que la semaine dernière j'ai voulu y retourner voir mon vieil ami chinois, Tchang, qui y réside. Je lui apportais un bouquet de lotus bleu. L'entrée était interdite à cause d'un virus venu, comme mon ami, de la Chine ; comme quoi il y a des hasards qui font mal. Je franchis des Himalayas de réprobation, j'annapurnisai dans le désenchantement. Mais rien n'y fit, tous les EHPAD(S) étaient fermés.

Plus que déçu je suis allé prendre l'air sur les marches de l'entrée où se trouvait assise une créature de rêve. Elle s'appelait Cheyenne et avait des yeux noirs comme des lacs profonds pour se noyer. Qui est-elle venue voir, une grand-mère, un vieux tonton ? D'emblée je m'assure qu'elle n'est pas trop craignos. La belle voiture garée sur l'avenue a des reflets argent douteux. De toute façon moi les filles ce n'est pas mon truc. Je préfère parcourir le monde et ce qui me tente c'est la belle américaine, la voiture bien entendu, et je ferais bien une petite enquête avec comme associée cette Cheyenne : pour une fois je côtoierais le monde féminin. C'est fou comme un virus tout petit peut faire changer votre vie !

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