Extrait de "Le Deuxième déluge" par Noé, le premier confiné :
« Tu vois, lors du premier déluge, j'ai sauvé des animaux dans mon arche mais quand le gouvernement et les scientifiques ont annoncé le deuxième déluge, j'ai réfléchi un peu.
La première fois, quand la pluie s'est mise à tomber, je n'y ai pas cru. Non, ça allait tomber ailleurs, là où ça avait commencé, là-bas en Chine. De toute façon, on était les plus forts, ça ne nous atteindrait pas !
Quand l'eau a commencé à tremper nos chaussures, c'est la peur qui est arrivée, la peur de mourir ou de voir mourir les siens et la peur de ne pas pouvoir y échapper. On s'est alors dépêchés de faire des réserves, de sucre, de farine, de nouilles et on a surtout pensé à sauver notre peau et tant pis pour les autres.
J'ai vite terminé les travaux de l’arche avec les moyens du bord et, au moment venu, j’ai pensé à ma famille et j'ai fait monter tout le monde. Mais les animaux ont commencé à se mettre en file et à frapper aux vitres de l’arche. Forçant les portes malgré les vigiles, ils sont entrés. C'est vite devenu trop petit, vous imaginez bien.
Confinés et serrés comme des sardines, tous les occupants ont vécu 40 jours dans le bruit, les cris, les odeurs, la promiscuité, le bazar et la surpopulation. Jusqu’à ce jour où le gouvernement a sifflé la fin du déluge et où la colombe a fait revenir l'espoir.
On s'est tous précipités dehors, on s'est embrassé, on a fait la fête, encore et encore, tout l'été.
Et là, voilà qu'on nous annonce un re-déluge, à nouveau tous confinés dans l'arche avec interdiction de mettre le nez dehors sauf justificatif de déplacement dérogatoire !
On a refait des réserves, on s'est remis à la peinture, au tricot, à l’écriture, aux mots croisés mais cette fois, les animaux allaient rester dehors. Entre temps, nous étions tous devenus végétariens et même végans pour protéger la planète. Avec les arbres, les plantes, les fleurs, pas de bruit, pas de cris, que des bonnes odeurs d'humus et de fleurs.
On avait bien compris la leçon : pour bien vivre ce deuxième déluge, il faut s'adapter ! ».
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Question : Comment vivra-t-on le troisième déluge ?
Moi, quand les politiques ont annoncé le retour du déluge et prédit que la vague serait encore plus grosse, j’ai refusé de rentrer dans l’arche, j’y avais goûté la première fois, pas question d’y retourner : trop de vacarme jour et nuit, aucun espace d’intimité, pas moyen de dormir en paix, même avec des boules Quies, ni de respirer l’air pur dans cet espace clos et trop petit.
Alors je me suis couchée dans mon lit-bateau et j’ai attendu qu’arrive le déluge. Le chat m’a rejointe dès que l’eau a effleuré ses pattes et s’est installé sur la couette et vogue la galère !
J’ai mis « La mer » de Debussy sur mon vieux gramophone hérité de ma grand-mère et j’ai attaché le vieux kiosque du jardin à ma nouvelle embarcation. Le chien qui est fan de musique s’est établi gardien du lieu et nous avons commencé à dériver sur les flots.
Le vent a soufflé, la mer a grossi, l’orage a grondé, les éclairs et le tonnerre ont couvert la musique mais quel bonheur d’être là à emplir mes poumons de l’air marin !
J’ai salué de la main les passagers de l’arche et l’ai regardée s’éloigner.
« C’est pas la mer qui prend la femme, c’est la femme qui prend la mer, Ta Ta Tin ! ».