Voilà, Grand-Mère est installée dans une résidence sénior. Bonne alternative entre son domicile où elle ne pouvait plus rester seule et la maison de retraite.
La maison de famille est donc désertée de ses habitants. Le conseil de famille décide que c'est à moi, avec mon mari et mes enfants, que revient le privilège de l'habiter.
Nous en discutons car cette banlieue est plus éloignée de nos lieux de travail que l'appartement que nous occupons actuellement. Mais la qualité de vie est nettement supérieure : plus d'espace et un jardin. Nous acceptons.
Une première visite me permet de faire le point. Petits travaux à envisager. Quels meubles garder et quels meubles donner ? Je vide armoires et placards, enfouis tout dans des grands sacs poubelle, direction la déchetterie ou Emmaüs.
Dans un tiroir je tombe sur un paquet de lettres entourées d'un ruban bleu. Puis sur un autre paquet de lettres en vrac dans une boite à chaussures. Ce sont des lettres d'amour. Comment se fait-il que Grand-Mère ne les ait pas emportées ?
Les lettres dans la boite à chaussures sont datées, je les remet dans l'ordre chronologique et ainsi reconstitue l'échange de courrier entre mes grand-parents.
A quel moment se sont-ils écrit ? Maman m'apprend que peu de temps après leur mariage, alors que Grand-Père travaillait au bureau de poste de Paris, Grand-Mère avait obtenu son premier poste d'institutrice en province, du côté de Bourges.
J'emporte les lettres avec moi et je me régale à les lire à mes moments perdus.
« Mon aimé
Ca y est je suis installée dans la petite maison qui jouxte l'école. C'est coquet. Dommage que tu ne sois pas avec moi. Demain je ferai connaissance de mes élèves. »
Toutes les lettres de Grand-Mère se terminent par « Je t'embrasse. Tu me manques. Prend soin de toi ».
« Ma petite épouse chérie.
J'attendais ta lettre avec impatience. Tu me manques aussi.
Ici c'est la routine. Cette semaine je fais partie de la brigade des ambulants. Nous trions le courrier sur les rails entre Paris et Melun. Aller et retour. L'équipe est sympathique, nous rions beaucoup.
Arrivés en bout de ligne il ne nous reste plus qu'a blanchir la batterie. Nous ficelons les sacs avec des cheveux et nous accrochons les colliers. Les sacs sont alors prêts à être envoyés.
Mon aimée si tu ne comprends pas tous nos termes techniques, rassure-toi ! Je t'expliquerai quand je viendrai te rendre visite. Je suis impatient.
Je t'embrasse tendrement, à bientôt. »
"Mon chéri
Pour ce qui est des termes techniques je crois que je les devine assez bien.
Aujourd'hui j'ai fait la connaissance de mes élèves. Nous avons établi les règles et l'emploi du temps. Ils sont attentifs.
La principale difficulté sera la grande variéte de leurs âges. Il me faudra faire cours à quatre niveaux différents de la maternelle jusqu'à l'entrée en 6ème.
Comme tu le vois je suis très occupée, mais les soirées solitaires sans toi me pèsent. »
« Ma petite femme adorée.
Voici une nouvelle petite bafouille pour te dire de quoi sont faites mes journées.
Pour avoir les moyens d'aller te voir plus souvent, j'ai obtenu d'assurer des Califs. Cela occupe bien toutes ces heures sans toi. Ainsi je suis en renfort pour les coups de feu, les coups de collier, ce qui évite que nous prenions la culotte.
Aujourd'hui je suis resté au poste central. J'ai dû vérifier la fermeture des sacs dans un premier temps et participer au char. Ensuite j'ai trié le courrier dans la cage à poule. Et là crois-moi, il ne faut pas se laisser distraire.
Ce soir, grâce aux califs, je ferai partie de la mondaine. Ainsi seul chez moi la soirée sera beaucoup moins longue. »
Ainsi continuait l'échange de courrier entre mots tendres et occupations de chacun.
Si Grand-Mère devinait les termes techniques il n'en était pas de même pour moi. Il me faudra trouver un lexique pour décrypter les lettre de Grand-Père . Par exemple qu'est-ce que c'était qu'un pyjama, une peau de lapin, une sauterelle, etc ?
J'allais m'y atteler. Ces lettres étaient un véritable trésor.