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L'Atelier d'écriture de Villejean

12 septembre 2023

Steven (Le Matos) / Anne-Françoise

AEV 2324-01 Anne F

Dimanche, ce sera la fête des confitures à La Chapelle des Fougeretz. Monique y est responsable du stand crêpes. Elle fait ses achats. Steven, son mari, l’accompagne, ce qui n’arrive pratiquement jamais tellement il a horreur des courses. Il pousse nonchalamment le caddie. Tout à coup, il s’arrête au milieu du rayon et se frappe le front. Étincelle !

- Les allumettes ! Oh, là là, j’allais oublier ! Heureusement qu’tout d’un coup j’pense aux allumettes ! Ouille, j’aurais été bien mal sans les allumettes ! Le con ! Va t’en vérifier les gaz sans les allumettes ! Passque faut qu’je voie tout l’matos. Monique, elle s’occupe des œufs, de la farine, du lait, de l’huile, des poêles, de l’alu, du Sopalin, des serviettes, des gants, des ramequins pour l’huile, des nappes en papier, des éponges… Et moi, j’allais oublier les allumettes, le con ! C’est que les gaz pour faire les crêpes, faut qu’j’les allume tous, voir si ça marche, si c’est OK pour les bouteilles, les feux… Bon, les tuyaux, j’les ai déjà changés c’t’hiver. Faut être aux normes… Bon où c’est qu’c’est qu’y z’ont mis les allumettes ? C’est pas possible, j’les trouve pas ! Sont pas dans l’rayon d’la lessive, pas avec les sacs poubelle, pas du côté du dentifrice. Aargh ! Où c’est qu’elles sont les allumettes ? C’est sûr que Monique va encore m’engueuler si j’fais pas mon boulot ! Fichues allumettes ! A moins qu’j’achète un briquet ? C’est quand même mieux, les allumettes !  

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12 septembre 2023

Christel (Le Pèse-personne) / Anne-Françoise

- Faut qu’j’achète une balance. J’ai trop mangé c’t’été. Oh ben non, les apéros, les barbeucs, les gâteaux, les glaces, les restos, les bouffes et les repas de ceci et de cela… Et comme c’est les vacances, ça dure en longueur, ben on occupe le temps et j’bouffe, qu’est ce que je m’en suis mis ! J’ai pris au moins je sais pas combien de kilos. Dramatique ! J’le sens bien, ça m’serre à la ceinture, aux cuisses, partout ! Non, faut qu’j’achète une balance, une balance qui marche. C’est sûr que ça va être dur quand j’vais monter d’ssus mais faut p’t’êt ça pour que ça fasse électrochoc pour arrêter d’bouffer. Bon, où c’est qu’c’est l’rayon des balances ? »

Christel s’adresse à un vendeur :

- S’il vous plaît, c’est où les balances ?

- Au rayon cuisine, madame.

Elle fait demi-tour avec son caddie et s’arrête.

- Mais dans quoi j’pense ! Il a cru que j’voulais une balance de cuisine !

Elle refait demi-tour et se retrouve dans l’allée centrale. Un homme l’aborde :

- Madame, z’avez pas vu les allumettes ?

- Ben non, et vous, z’avez pas vu les pèse-personne ?

- Ben non.

- C’est pas possible ! Y z’ont dû cacher les pèse-personne derrière les allumettes !

- Ou les allumettes derrière les pèse-personne ?

- Ou les pèse-personne derrière les allumettes derrière les barils de lessive ?

- Ben on n’est pas sortis de l’auberge ! 

AEV 2324-01 Anne-F - Pèse-personne

12 septembre 2023

Michel (Kinder) / Anne-Françoise

- De mon temps, y’avait pas d’Kinder. Pas de barre chocolatée Kinder, pas d’œufs Kinder, pas d’bonbons Kinder, pas d’gâteaux Kinder, pas d’Kinder ! J’sais pas si les gosses d’aujourd’hui y z’y gagnent avec les Kinder passque c’était quand même quelque chose que la tartine beurrée avec 2 carrés de chocolat dessus ! Et quand c’était Mémère qui nous donnait not’ goûter, elle nous mettait pas les carrés, non, elle râpait le chocolat avec son couteau ! Ah ! Les pauv’ gosses d’aujourd’hui, y z’ont pas cette chance-là ! Kinder ? Il est où le progrès là-dedans ?

AEV 2324-01 Anne-F - Tartine contre Kinder

12 septembre 2023

Adeline Duval (Mon p'tit chat) / Anne-Françoise

AEV 2324-01 Anne-F - Ryan Gosling aux yeux de chat

J’ai un p’tit chat. Il est beau ! Sublime ! Magnifique ! Extraordinaire ! J’pensais pas qu’on pouvait aimer son chat autant qu’ça. Je l’ai appelé Ryan Gosling.

Passque j’adooooore Ryan Gosling mais je pourrai jamais le lui dire, ni le voir, ni le toucher, ni l’embrasser, rien. Alors comme maintenant, Ryan Gosling c’est mon p’tit chat, ben j’peux lui donner un peu de lait, le cajoler, le prendre dans mes bras, le caresser. Alors que l’autre, à part dans mes rêves, c’est compliqué. Et je ne sais même pas qui a les yeux les plus beaux : mon chat Ryan Gosling ou mon idole Ryan Gosling ? Si j’ai un enfant un jour, il aura un prénom composé, il s’appellera Ryan-Gosling, Ryan-Gosling Duval.

Quand même, avoir un p’tit chat, c’est très bien mais avoir un p’tit chat qui s’appelle Ryan Gosling, c’est quand même le comble du bonheur !

Bon, c’est où le rayon des croquettes pour chat ? 

13 juin 2023

Consigne d'écriture 2223-34 du 13 juin 2023 : La Phrase fatiguée

La Phrase fatiguée

 

 

AEV 2223-34 Consigne Jeanne

Aujourd'hui je vous propose d'écrire autour de la phrase "Je t'aime" en vous inspirant de l'univers magique des mots du roman "La Grammaire est une chanson douce" d'Erik Orsenna. A partir du passage qui raconte le voyage de Jeanne et Monsieur Henri à l'hôpital des mots (pages 95 à 99) où ils rencontrent la fameuse phrase "Je t'aime", voici quelques trajectoires d'écriture que vous pouvez suivre comme bon vous semble.

- Soit vous écrivez à propos d'une phrase fanée que vous avez connue - cela peut être un "je t'aime" ou une autre phrase ou un autre mot - en nous racontant son histoire, en nous disant ce qu'il ou elle représente pour vous. Vous pouvez faire parler cette phrase/ce mot ou vous exprimer à la première personne.

Soit vous partez de cette phrase ou de ce mot choisi et écrivez un poème, une comptine ou un acrostiche par exemple. Vous pouvez évidemment choisir plusieurs phrases et réaliser plusieurs textes.

[consigne donnée par Jeanne]

«Les mots dormaient. 

Ils s’étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus. Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller. Bêtement, je tendais l’oreille : j’aurai tant voulu surprendre leurs rêves. J’aimerais tellement savoir ce qu’il se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n’entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit. Nous approchions d’un bâtiment qu’éclairait mal une croix rouge tremblotante.

– Voici l’hôpital, murmura Monsieur Henri.

Je frissonnai. L’hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n’arrivais pas à y croire. La honte m’envahit. Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables. Vous savez, comme ces Indiens d’Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens.

Il n’y a pas d’accueil ni d’infirmiers dans un hôpital de mots. Les couloirs étaient vides. Seules nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol. Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l’une des portes, telle une lettre qu’on glisse discrètement, pour ne pas déranger. Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d’entrer.


Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue : 
Je – t’ – aime

Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Trois mots reliés chacun par un tuyau de plastique à un bocal plein de liquide. Il me sembla qu’elle nous souriait, la petite phrase. Il me sembla qu’elle nous parlait :

– Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.

– Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. quelques jours de repos et tu seras sur pied.

Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu’on raconte aux malades. Sur le front de Je t’aime, il posa un gant de toilette humecté d’eau fraîche.


– C’est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie.


« Un peu fatiguée », « un peu dur », Je t’aime ne se plaignait qu’à moitié, elle ajoutait des « un peu » à toutes ses phrases.


– Ne parle plus. Repose-toi, tu nous a tant donné, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi. Et il chantonna à son oreille le plus câlin des refrains.

La petite biche est aux abois
Dans le bois se cache le loup
Ouh, ouh, ouh, ouh

Mais le brave chevalier passa
Il prit la biche dans ses bras
La, la, la, la


– Viens Jeanne, maintenant. Elle dort. Nous reviendrons demain.

***

– Pauvre Je t’aime. Parviendront-ils à la sauver ?

Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi. Des larmes me montaient à la gorge. Elles n’arrivaient pas à monter jusqu’à mes yeux. Nous portons en nous des larmes trop lourdes. Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer.

-… Je t’aime. Tout le monde dit et répète « je t’aime ». Tu te souviens du marché ? Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver.»

Texte récupéré ici.

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13 juin 2023

Un Drôle d'hôpital / La Licorne

C'est un hôpital presque comme les autres. Une bâtisse jaunâtre, vieillotte...perdue dans les arbres. 
On pourrait presque passer devant sans la voir. Le personnel, cependant, attire l'attention.
Ici, pas de blouse blanche. Pas de chariots, de médicaments, ni de perfusion. 
Quelques infirmiers, ébouriffés, se promènent sous les feuillages, un crayon à la main, en regardant le ciel. Ils flânent, l'air préoccupé, en ayant l'air de chercher l'inspiration.
 
Car ici, on soigne les mots. Uniquement les mots.
 
Et les mots arrivent, à toute heure. En file indienne, chaque jour plus nombreux. Des petits, des grands, des oubliés. On les accueille et on les couche, en urgence, sur le papier. La plupart, quand ils arrivent, sont faibles, mal en point, usés.
 
Les yeux pleins de tristesse, ils disent  que personne ne les comprend, qu'on se désintéresse d'eux, qu'on ne les invite plus, qu'ils ne servent plus à rien. Ils disent : "C'était mieux avant..." 
Avec des larmes dans les yeux, ils parlent du temps où la télé et internet n'existaient pas...du temps où les gens lisaient des livres, du temps où l'on s'envoyait des lettres de plusieurs pages, où l'on avait de longues conversations approfondies... Le temps de leur gloire. Le temps où ils étaient choyés, admirés, encensés.
 
Oh, il y a bien quelques petits jeunes qui passent les voir, de temps en temps. Des jeunes, en baskets, décontractés, sûrs d'eux, en pleine forme. 
Tenez, "Kiff" est passé voir, l'autre jour, ses grands-parents : "Amour" et "Passion"...
Il était fringant, joyeux...mais il n'est pas resté longtemps...trop pris, apparemment. 
Il a bien vu que son grand-père se délavait de jour en jour et que sa grand-mère n'en avait plus pour très longtemps. Il a eu la politesse de n'en rien dire. Faut dire qu'il était surtout préoccupé par sa prochaine sortie avec "Crush", un pote à lui...avec lequel il passe le plus clair de son temps.
 
En partant, il a croisé dans les couloirs la petite "Billevesée". 
"Tu te rends compte, il ne savait pas qui j'étais, il n'avait jamais entendu parler de moi" a-t-elle confiée à son amie "Carabistouille", qui n'en menait pas large non plus.
 
Quant au vieux "Saperlipopette", il paraît que l'autre jour, il a volé en miettes, percuté de plein fouet par "What the fuck" qui, le nez sur son smartphone, ne l'avait pas vu. 
A l'heure qu'il est, il serait dans un état critique. Amputé de plusieurs lettres...Maintenant, tout le monde le confond avec "Salopette". Quoique, tout compte fait, il s'en sort mieux que d'autres. La semaine dernière, on a enterré trois de ses amis :  "Fichtre", "Diantre" et "Mazette". Morts de vieillesse.

Vous l'aurez compris, l'époque est dure. La langue est devenue technique, administrative et impersonnelle. Ce que l'on aime aujourd'hui, ce sont les mots secs, précis. "Arobase", "Gestion", "Optimisation". Ou alors les anglicismes. "Bug", "Process", "Vibe". Plus de place pour les dizaines de synonymes qui nous enchantaient de leurs nuances. On va droit au but. Les "Racine", les "Corneille" sont passés de mode. Les fioritures aussi. Chez les écrivains, plus personne ne se risque à faire une description de plus de trois phrases, sous peine de perdre le lecteur. Des milliers de mots se retrouvent, d'un jour à l'autre, "à la rue".

Alors, que faire ? A "Mopital", une nouvelle méthode de soin est testée. Elle a été mise au point récemment et commence à faire ses preuves.

Cela commence toujours par un "lavage" très doux. Tout d'abord, on prend le mot malheureux et on le nettoie précautionneusement, à l'eau tiède, afin d'ôter toutes les connotations malencontreuses dont il a été affublé au cours des années. On le débarrasse aussi, en passant, des fautes d'orthographe récurrentes qui ont pu le blesser et le déformer.

Une fois qu'il a retrouvé sa pureté et sa première jeunesse, on le confie aux soins d'un "médecin-poète". Celui-ci l'examine alors sous toutes les coutures et l'habille de nouvelles couleurs, de nouvelles teintes en l'associant avec d'autres, eux aussi, lavés et nettoyés. Il les fait se rencontrer, il les fait danser ensemble...virevolter sur un rythme entraînant. Parfois, l'union est heureuse et, quelque temps après, naît un petit poème...Parfois, ce n'est qu'une passade, mais qui va leur permettre de repartir dans la vie, dans la société, chacun de leur côté, ravivés, revigorés.

Oh, je ne vous cache pas que tout cela prend du temps. C'est lent. Un mot à la fois. Ce mois-ci, on a sauvé deux mots, menacés d'une mort certaine :  Anticatastase" et "Albedo".  Ils ont virevolté dans quelques textes, ce qui a suffi pour les sauver de l'oubli. 

Même si ce n'est pas facile tous les jours, je vous assure que c'est un vrai bonheur que de contribuer à lutter contre la désuétude galopante, la perte de sens et l'anorexie lexicale.

Je vous invite donc vivement à faire de même et, si vous souhaitez nous aider, à envoyer vos dons à : 
"Mots En Cours d'Extinction Nettoyage Express"
1984, Avenue George Orwell, 75000 Paris  

Dr Jean Kess

13 juin 2023

Demande d'exfiltration / Jean-Paul

J’y suis allé, moi aussi, faire une visite à l'hôpital des mots. Dans la chambre voisine de celle où reposait « Je t'aime » il y avait une vieille rengaine qui se traînait lamentablement dans son lit-cage.

Elle disait :

- Qu'est-ce que j'ai pu être conne !

Elle s'appelait « C'était bien, c'était chouette, chez Laurette ». Elle ajoutait :

AEV 2223-34 JK - flipper

- Il y avait déjà Simone Signoret qui nous avait prévenu. Elle avait écrit « La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était » mais là, franchement, moi, quelle gnangnanterie ! Les années lycée ! C'est comme si on m'offrait un billet pour le concert de Starmania en 2023, qu’on m'emmenait me rhabiller dans une friperie vintage ; j'aurais l'air ridicule comme à l'époque avec mes jupes gitanes, mes parfumées au patchouli, mes freluquet à cheveux longs qui se prêtent des disques vinyles pour les enregistrer sur des mini-cassettes. Je suis sûre et certaine maintenant qu'il était crade, ce rade ! Tous les clients fumaient des gauloises bleues et des gitanes maïs en buvant des coups de rouge genre Gros qui tache, de la Stella Artois ou de la bière d'Alsace au comptoir ! De vieux habitués venaient taper le carton tous les après-midis et ils faisaient la gueule quand on mettait deux thunes dans le bastringue ou qu'on s'excitait autour du flipper parce que Gaston avait décroché un « same player shoots again » ou que Bernadette avait fait tilt.

- Allons ! Allons ! ai-je dit à « C'était bien, c'était chouette chez Laurette ». Vous étiez quand même une belle chanson ! Qu'est-ce qu'on pourrait faire qui vous ferait plaisir ?

- Écoutez, sortez-moi d'ici en loucedé ! Je déteste cet hôpital ! Ils ne font rien pour nous adapter au monde moderne. Ils nous laissent mariner pour qu'on puisse dire de nous « dans son jus ». Emmenez-moi dans un café moderne, un où il y a des afters et des happy hours, où on peut boire des pintes de bière en passant la commande au comptoir !

- Un peu dans le genre des Grands gamins, sur le mail François Mitterrand à Rennes ?

- Ouaipe, a répondu sa voisine de lit. Et si vous arrivez à l’exfiltrer, revenez de sortir de là, moi aussi !

- C’est qui, elle ?

Elle c’est « Au Tord-boyaux le patron s’appelle Bruno ».
 

13 juin 2023

La quille, bordel ! / Jean-Paul

Il n'y avait pas plus jubilatoire que cette phrase là ! Bien sûr elle était très vulgaire à cause de sa deuxième partie mais elle était un appel à respecter la devise de la République, au moins sur son premier tiers : « Liberté Égalité Fraternité » : « La quille bordel ! ».

La société était aussi malade que de nos jours pendant cette période qu'on a baptisée du joli nom de « Trente glorieuses ». La gloire n’a qu’un temps. Pas étonnant, à la longue, que les phrases se fatiguent.

Dans la tête des gouvernants il était bon de priver les jeunes gens de leur liberté pendant un temps déterminé - un an les dernières années avant la suppression du service militaire, bien plus auparavant - pour les envoyer faire un stage d' « égalité » dans des bâtiments appelés casernes.

On leur bourrait le crâne à coup de formules immuables : Garde-à-vous ! Repos ! Vous me balaierez les chiottes ! Corvée de pluche ! Au trou ! Veux pas le savoir ! Parcours du combattant ! Manœuvre ! Scrongneugneu ! Vous fais sauter votre permission ! Debout les Bleus ! Présentez armes ! Une deux, une deux !

Espérait on faire naître de ces mauvais traitements de la fraternité ? Il y en eut ! Mais avec le temps les fameux copains de régiment chers à nos pères et grand-pères sont devenus plus transparents, moins indispensables. Et pendant les derniers mois de ce service militaire elle fleurissait, elle éclatait, bien sonore, bien pétante et provoquante, la phrase « La quille, bordel ! » dans la bouche des les libérables.

AEV 2223-34 JK - Quille

"Je veux revoir ma Normandie !" clamaient les Rouennais et les Ébroïciens (habitants d'Evreux). Et les bidasses du Pas-de-Calais, natifs d’Arras ou pas, passaient un peu du temps libre qu’ils avaient à décorer l'objet lui-même, un parallélépipède de bois qu’ils brandissaient comme un trophée le jour où on les rendait à la vie civile, libérés de leurs obligations militaires mais pas de celle d'aller pointer à l'usine ou de retourner travailler à la ferme !

En trouve-t-on encore de ces quilles sur Ebay ou sur Le Bon coin ou bien ont elles brûlé, souvenirs inutiles, dans un feu de cheminée ? Et pourquoi n'a-t-elle pas repris vigueur, l’expression « La quille, bordel ! » lorsque les gens s'apprêtent à partir en retraite ? N’est-ce pas là aussi une libération, une sortie d'un monde de contraintes, d'obligations, de pressions ? La liberté devient elle moins appréciable avec l'âge ? Et si l'on a la chance d'être déjà en retraite, la phrase ne risque elle pas de s'éteindre d'elle-même, de devenir aphasique, de n'être plus qu'une minute de silence ou un mot en travers de la gorge à l’EHPAD ?

Parce qu’à 99 ans, quand on clame « La quille, bordel ! » c'est qu'on n'a plus beaucoup de choix entre la liberté ou la mort !

13 juin 2023

Grosse fatigue / Jean-Paul

Les journaux du matin nous apprennent que la phrase « Ça ira mieux demain » vient d'entrer elle aussi à l'hôpital des mots. Elle occupe désormais la chambre voisine de celle ou convalesce « On ira tous au paradis ».  

13 juin 2023

Ramassis de mots / Maryvonne

 Les mots sont incroyables ! Savez-vous qu'ils se déguisent pour vous tromper ? Par exemple « géant » est plus petit que « minuscule ». Il me revient cette comptine qui laisse perplexe :

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Beau papillon de soie
Mon avion de joie
Léger, pimpant, qui vole sur quatre ailes
Beau papillon
Lorsque j'écris ton nom
Tu n'as plus que deux L

Merveilleux mutilé
Pourras-tu t'envoler ? 1

Alors, deux ou quatre ailes ?

Les mots sont des galopins. Ils se bagarrent entre eux jusqu'à se retrouver occis après cette lutte fraternelle, occis, oxymore bien entendu après cette douce violence. Ils se plaisent dans cette obscure clarté de certaines définitions.

- C'est quoi un bibliobus ? demande un enfant. Un autre lui répond « C'est un bus qui ne passe pas toutes les dix minutes ! ».

Les mots se décomposent et se recomposent.

- Je t'interdis de dire des grossièretés !
- Mais non je n'ai dit que des petites ièretés !

Les mots nous jouent des farces :

- Mais pourquoi, quand tu parles des moulins à vent, tu ne parles pas des moulins arrières ?

Les mots font des confusions :

- J'ai descendu dans mon bateau pour y cueillir du gros marin.
- Si toi tu as des omoplates, moi j'ai des filloplates.

Les mots se mangent : les mokas, les morilles, tous les mollusques et j'en passe et des meilleurs.

AEV 2223-34 Maryvonne - Princesse qui crache crapauds

Ne les croyez pas tous jolis ! C'est comme dans les contes de fées où certaines princesses crachent des crapauds quand elles parlent. Tu hésites, mais quand ils franchissent tes lèvres ils te collent des boutons sur la langue : concupiscence, pédophilie, féminicide, infanticide… Beurk !

« Jalousie » cache sa laideur sous une belle enveloppe.

Ne faites pas toujours confiance aux mots ! « Lapsus » vous met parfois dans une situation délicate, méfiez-vous de lui !

Les mots sont comme des petits wagons qui traversent votre cerveau, certains s’arrêtent et se garent, d'autres filent à toute allure et disparaissent. On ne les reverra plus. Ce sont des intermittents du spectacle. Ils font les beaux, ravissent l'assemblée et soudain quand on en a besoin ils jouent les filles de l'air. Envolés les mots chéris que l'on a nourris, choyés. Quelle ingratitude !

Maudits mots ! Un jour je vous capturerai et je vous mettrai en ligne, main dans la main pour que vous ne puissiez plus m'échapper. Parce que, mots, je vous aime !


1 Armand Got - Bestival

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