Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'Atelier d'écriture de Villejean
13 juin 2023

La quille, bordel ! / Jean-Paul

Il n'y avait pas plus jubilatoire que cette phrase là ! Bien sûr elle était très vulgaire à cause de sa deuxième partie mais elle était un appel à respecter la devise de la République, au moins sur son premier tiers : « Liberté Égalité Fraternité » : « La quille bordel ! ».

La société était aussi malade que de nos jours pendant cette période qu'on a baptisée du joli nom de « Trente glorieuses ». La gloire n’a qu’un temps. Pas étonnant, à la longue, que les phrases se fatiguent.

Dans la tête des gouvernants il était bon de priver les jeunes gens de leur liberté pendant un temps déterminé - un an les dernières années avant la suppression du service militaire, bien plus auparavant - pour les envoyer faire un stage d' « égalité » dans des bâtiments appelés casernes.

On leur bourrait le crâne à coup de formules immuables : Garde-à-vous ! Repos ! Vous me balaierez les chiottes ! Corvée de pluche ! Au trou ! Veux pas le savoir ! Parcours du combattant ! Manœuvre ! Scrongneugneu ! Vous fais sauter votre permission ! Debout les Bleus ! Présentez armes ! Une deux, une deux !

Espérait on faire naître de ces mauvais traitements de la fraternité ? Il y en eut ! Mais avec le temps les fameux copains de régiment chers à nos pères et grand-pères sont devenus plus transparents, moins indispensables. Et pendant les derniers mois de ce service militaire elle fleurissait, elle éclatait, bien sonore, bien pétante et provoquante, la phrase « La quille, bordel ! » dans la bouche des les libérables.

AEV 2223-34 JK - Quille

"Je veux revoir ma Normandie !" clamaient les Rouennais et les Ébroïciens (habitants d'Evreux). Et les bidasses du Pas-de-Calais, natifs d’Arras ou pas, passaient un peu du temps libre qu’ils avaient à décorer l'objet lui-même, un parallélépipède de bois qu’ils brandissaient comme un trophée le jour où on les rendait à la vie civile, libérés de leurs obligations militaires mais pas de celle d'aller pointer à l'usine ou de retourner travailler à la ferme !

En trouve-t-on encore de ces quilles sur Ebay ou sur Le Bon coin ou bien ont elles brûlé, souvenirs inutiles, dans un feu de cheminée ? Et pourquoi n'a-t-elle pas repris vigueur, l’expression « La quille, bordel ! » lorsque les gens s'apprêtent à partir en retraite ? N’est-ce pas là aussi une libération, une sortie d'un monde de contraintes, d'obligations, de pressions ? La liberté devient elle moins appréciable avec l'âge ? Et si l'on a la chance d'être déjà en retraite, la phrase ne risque elle pas de s'éteindre d'elle-même, de devenir aphasique, de n'être plus qu'une minute de silence ou un mot en travers de la gorge à l’EHPAD ?

Parce qu’à 99 ans, quand on clame « La quille, bordel ! » c'est qu'on n'a plus beaucoup de choix entre la liberté ou la mort !

Publicité
Publicité
Commentaires
L'Atelier d'écriture de Villejean
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité