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L'Atelier d'écriture de Villejean
2 juin 2020

Les Rêves de Marie / Marie-Thé

Marie n’aime pas être seule dans l’ascenseur le matin.

Elle aimerait que celui-ci tombe en panne lorsqu’elle se trouve en compagnie de l’homme du 5e étage.

Hier il lui a murmuré à l’oreille en sortant de l’ascenseur « Tu ressembles à Mylène Farmer ». C’était la première fois qu’il la tutoyait. Elle était heureuse, flattée, et s’est mise à marcher dans la rue avec nonchalance, comme une star, sourire aux lèvres, bien dans ses baskets. Elle est passée près de sa meilleure copine sans la voir. Ebahie, Josette s’est dit que le beau brun du 5e étage lui avait encore tourné la tête. Elle allait téléphoner à Marie le soir même.

Depuis qu’elle l’a vu dans le feuilleton « J’ai 2 amours », Marie aime bien François Vicentelli. Il est plus jeune qu’André Dussollier et il est beau comme un dieu. Elle pense qu’elle aussi pourrait bien avoir deux amours. C’est son jardin secret, son fantasme. Certaines nuits, dans un demi-sommeil, elle est dans les bras de François Vicentelli qui lui chuchote des mots d’amour avec la voix d’André Dussolier. 

Le grand amour de sa vie c’est quand même Félix. Bien sûr il est plein de petites manies. Il laisse traîner ses chaussettes et ses slips, ne ferme jamais le tube dentifrice, oublie son anniversaire, met ses chaussures sur le tapis du salon…

Elle pourrait en ajouter toute une liste. Quand il est jaloux, soupçonneux, il énerve Marie avec des questions au moindre de ses retards. Elle répond par un petit mensonge « Je finissais un travail ». En réalité elle a pris un pot avec des collègues à la terrasse d’un café ou bien magasiné avec des copines. Pas question d’être contrôlée.

 

AEV 1920-33 Marie-Thé Dark Vador

En revanche, Marie est heureuse lorsque Félix la fait rire avec des histoires à dormir debout, qu’il lui prépare son petit déjeuner, cuisine un couscous le dimanche matin afin qu’elle puisse se promener avec sa copine Josette. Marie aime que Félix lui parle des monstres des BD qu’il feuillette le soir au lit. Il lui fait peur en imitant Dark Vador et tous les deux éclatent de rire avant de s’endormir dans les bras l’un de l’autre. Marie aime bien aller au cinéma. Félix connaît ses goûts et ne manque pas une occasion de choisir des films où elle verra ses acteurs préférés.

Ce sont les petits riens de leur vie ordinaire et Marie n’échangerait pas Félix pour un autre homme.

Depuis qu’elle a vu un reportage le mois dernier à la télé, Marie ne voudrait pas mourir sans avoir visité le Kirghizistan avec Félix. C’est un pays qui l’attire par sa culture bien différente de la sienne, par des paysages fantastiques et une population qui semble bien accueillante. Ce n’est sans doute pas la réalité mais pour Marie c’est l’image de ses rêves.

 

AEV 1920-33 Marie-Thé Kirghizistan

 

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26 mai 2020

Souvenirs, souvenirs... / Marie-Thé

AEV 1920-32 Marie-Thé garde partagées

Marie n’a pas oublié sa presqu’aventure avec le beau brun du 5e étage. Elle est continuellement enflammée, rêvant la nuit d’inconnus qui la conduisent au bord de l’extase. Félix est de plus en plus attentionné mais il devient si jaloux qu’elle ne peut plus le supporter. 

C’est en repensant à son enfance perturbée par des parents volages qu’elle s’est ressaisie. La garde partagée ne sera pas pour leurs enfants. D’ailleurs, ils n’en ont pas encore.

Elle se souvient de ses retours les dimanches soirs où elle devait cacher sa joie d’avoir passé son week-end à la mer avec son père. Sa mère avait quitté celui-ci après avoir perdu la tête pour un étranger qui l’avait abandonnée un an plus tard.

Elle réalise que Félix pourrait bien se fatiguer d’elle et la quitter pour une femme plus sage.

AEV 1920-32 Marie-Thé armand-sueur-537Pourtant, comment oublier sa rencontre avec lui, dix ans auparavant, dans les Vosges où elle randonnait avec sa copine Josette. Elles l’ont aperçu au sommet d’un col, pédalant dans la semoule, aussi vite qu’Armand Sueur, six fois vainqueur du Tour du Rhin.

Elles l’ont retrouvé le soir par hasard. Il campait seul près de la tente de Marie et ne s’est pas fait prier lorsque les deux filles lui ont offert de partager leur repas.

Ils ont beaucoup ri ce soir soir-là. Félix racontait des histoires à dormir debout. Son grand-père, qui avait connu le général Dourakine, célèbre personnage de la Comtesse de Ségur, avait vécu la fameuse épidémie de moustache en 1890. Félix avait raconté bien d’autres blagues encore. Il avait du bagou. 

AEV 1920-32 Marie-Thé Dourakine

Marie était fascinée par ce garçon tellement drôle. Elle n’a pas été surprise lorsqu’il l’a rejointe dans sa tente au milieu de la nuit en lui disant au creux de l’oreille qu’il voulait jouer à des jeux interdits.

Josette n’a jamais su ce qui s’était passé dans la nuit, mais au matin Félix et Marie ont échangé leurs adresses.

On dit dans les contes « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». 
Marie et Félix ne se sont jamais mariés et n’ont jamais eu d’enfants.

AEV 1920-32 Marie-Thé épidémie-de-moustache-A2-Villeurbanne-1200x830

19 mai 2020

Cure de jouvence / Marie-Thé

Une semaine après leur retour des dernières vacances à Petit-Fort-Philippe, Marie ressentait un malaise. Félix ne la titillait plus, elle était de plus en plus serrée dans ses pantalons et surtout elle éclatait en sanglots pour un rien. 

AEV 1920-31 Marie-Thé - Abbé Soury

Levée de bonne heure ce samedi matin, Marie se dit qu’elle devait retrouver de la vigueur. « Fais donc une cure de jouvence de l’Abbé Soury, ça ravigote » lui avait dit sa mère la veille au téléphone.

Pendant 15 jours elle a siroté à petites gorgées la fameuse potion, surveillé sa nourriture et 3 fois par semaine elle a fait du jogging dans son quartier pendant une demi-heure.

Le lundi suivant, dans l’ascenseur, le beau brun du 5e étage lui dit en lui mettant la main sur l’épaule : « Vous êtes resplendissante ce matin ». Toute la journée Marie en est tourneboulée.

Le mardi, toujours dans l’ascenseur, il lui caresse la joue. Marie devient rouge comme une pivoine quand il lui chuchote à l’oreille d’un ton espiègle : « A demain !».

Le mercredi, il l’embrasse sur la joue et lui fixe un rendez-vous. Si elle avait été raisonnable, elle en serait restée là. Mais aujourd’hui elle n’a pas envie d’être sage, elle se sent rajeunie de 10 ans. En passant devant l’étal du fleuriste elle croit rêver en voyant une fleur lui sourire. Elle revient sur ses pas et s’esclaffe devant une anémone rouge au cœur noir qui se balance au gré du vent. « Oh la la, je fabule, je suis vraiment sur un petit nuage ! ».

Ce même matin, Félix a croisé le concierge qui, d’un air narquois lui dit qu’il avait vu sa femme, « belle à croquer », sortir de l’ascenseur tout sourire avec le Don Juan du 5e étage. « Elle est bien mignonne vot’ petite femme, Mr Félix ! ».

Toute la journée Félix a ressassé les paroles du concierge. Il y a bien longtemps qu’il n’a pas vu Marie sourire, sauf depuis 3 jours où elle fredonne « La Vie en rose » en souriant d’un air mélancolique. 



Il la connaît sa Marie. Le type du 5e pourrait bien l’ensorceler. Marie, c’est son amour « à lui ». Il va la reconquérir. Le soir même, il l’accueille comme une reine et l’emmène au cinéma voir son acteur fétiche, André Dussollier. Dans la nuit Marie se demande ce qu’il y a dans la Jouvence de l’Abbé Soury pour que, d’un seul coup, les hommes s’intéressent à sa petite personne.

12 mai 2020

Retour à Petit-Fort-Philippe / Marie-Thé

Lorsque Félix a parlé de sortir la caravane pour aller «faire le plein d’iode au bord de la mer», Marie a sauté de joie. Elle se voyait déjà sur la Côte d’Azur.

Les deux mois de confinement passés au 4e étage de leur appartement de Maurepas à Rennes ont été longs et ennuyeux. Félix avait des sautes d’humeur, buvait de la bière vautré dans le fauteuil et ne sortait même pas une heure pour promener Pompon. Quant à Marie elle a passé beaucoup de temps à cuisiner et à regarder la télé et maintenant elle a 5 kilos en trop.

Petit Fort Philippe 22 12

Marie propose de descendre à Saint-Tropez où elle rêve de rencontrer André Dussolier mais Félix veut aller chez les Ch’tis revoir Petit-Fort-Philippe où, quand il était jeune, il a fait un camp de Scouts.

Marie trouve que le Nord, c’est froid, il pleut et les gens ne parlent pas comme nous. Félix a pris sa décision. C’est là… ou nulle part ailleurs ! « Macho !» murmure-t-elle entre ses dents.

De bon matin, le lendemain, la caravane chargée, les voilà sur la route. Tennis blancs, bermuda et tee-shirt bien propres, polaire sur le siège arrière. Marie a prévu les cassettes de Renaud et Christophe pour elle et de Pierre Perret pour Félix qui trouve que c’est un grand poète.

Quand en fin d’après-midi ils arrivent sur le terrain de camping municipal, ils n’ont pas de mal à trouver une place. Le soleil brille et ils ont hâte de voir la mer.

Sacs sur le dos, main dans la main, Pompon au bout de la laisse, ils s’en vont à la plage. Marée basse ! Qu’importe, ils enfilent les maillots. La mer est loin, très loin. Un quart d’heure plus tard ils ont de l’eau jusqu’aux genoux. Seul Pompon peut nager. Marie est un peu énervée mais elle essaye de rester cool.

Demain ils visiteront les environs.

***

Vers 10 heures ils sont prêts. La pluie se met à tomber. Pas grave, ils ont des cirés. Ils vont aller au phare de Gravelines.

La mer est haute. Un rayon de soleil blanc perce la brume. Les vagues s’écrasent avec fracas laissant sur le sable une écume blanche qui vole dans tous les sens. Marie et Félix avancent contre le vent et se serrent l’un contre l’autre en riant, Pompon aboie, effrayé par le vacarme.

Petit Fort Philippe Inédits 30

Petit Fort Philippe 22 02Le phare de Gravelines domine la mer. Ils vont monter toutes les marches. "Je vais perdre au moins 1 kg" se dit Marie. Félix se souvient qu’il les a grimpées en courant trente ans auparavant.

Déçus, ils constatent que le phare ne sera ouvert au public que dans un mois. Ils flânent dans le bourg et dégustent du Maroilles. C’est bon mais ils n’aiment pas beaucoup l’odeur.

"L’après-midi, repos au lit !" dit Félix en serrant Marie dans ses bras.

Le soir Félix joue aux boules avec des Ch’tis sur le terrain de camping. Ils boivent des apéros pendant que Marie prépare le repas. Félix revient complètement ivre. Il se couche directement et ronfle bruyamment toute la nuit.

Marie, furieuse, décide de plier bagage dès le lendemain. Ils iront voir la petite chapelle des marins qu’elle a vue sur un dépliant et après ils décamperont.

Sur la route ils se sont réconciliés et s’arrêtent en Normandie pour terminer les vacances. Revenus à l’appartement chacun reprend sa routine. Marie rêve de Saint-Trop’ pendant que Félix projette un retour à Petit-Fort-Philippe pour revoir ses nouveaux copains.

5 mai 2020

La Croix et la manière / Marie-Thé

Atelier La Croix 02-14 visuelarticle6-768x508

Hein… qu’est-ce qu’il fait celui-là, il se moque de moi ?

Qu’est-ce qu’il a à m’regarder comme si j’étais un chimpanzé ?
Qui c’est celui-là qui fait tout comme moi ?
Il me fait la cour ? Il veut faire l’amour ?

Je n’le connais pas, il repassera.

Je n’dis jamais oui à un inconnu, sauf si c’est un roi.



Atelier La Croix 02-07 visuelarticle6-768x508Elle a hésité… L’Ecosse… Comme par hasard !

Le dernier morceau de son puzzle fait surgir des souvenirs.
20 ans auparavant, il pleuvait sous le ciel écossais
Elle l’avait rencontré dans un vieux château hanté.
Ils se sont mariés… puis le bonheur s’en est allé.
Elle est repartie à Paris, lui s’est enfui en Italie.
Elle a toujours en mémoire une chanson des Chats Sauvages qui raconte l’Ecosse si jolie et qu’ensemble ils fredonnaient.



Atelier La Croix 01-24 visuelarticle6-768x508C’est décidé ! Je veux la revoir, la créature qui m’a souri 
quand je pêchais la sardine au large de Belle-Ile. 

Elle se laissait bercer par les vagues, son sourire m’a bouleversé.
Sa chevelure se déployait comme des fils d’or dans l’eau translucide.
Les écailles de sa queue brillaient comme des éclats de soleil.
Comme Ulysse dans l’Odyssée son chant m’a envoûté.
Je me suis tenu au bastingage pour ne pas sauter la rejoindre.

Etait-ce une chimère ? Je pars, je vais m’en assurer.

 

Atelier La Croix 04-03 visuelarticle6-768x508
Devant ce ciel d’Anatolie rempli de montgolfières i
ls découvrent la Cappadoce, splendeur de la Turquie.

Et clic et clic, les photos se déclenchent, qui raviveront les souvenirs dans la tête des touristes en mal de dépaysement.

 

Atelier La Croix 02-28 visuelarticle6-768x508Il était bien tôt ce matin d’été quand le père est revenu de son voyage.

Heureux de revoir son fils, dans ses bras il l’a porté jusqu’au champ de navette.

Et là, en riant, il l’a élevé très haut, jusqu’à la limite de la brume pour lui faire découvrir la magnificence de la nature. 


Atelier La Croix 04-10 visuelarticle6-768x508

Dans cette foule joyeuse, je chante à tue-tête l’amitié, l’amour, la joie, pour fêter la victoire de la guerre menée pendant des mois contre le Coronavirus.

Nous allons, sur la place, lancer les ballons qui s’en iront comme un nuage multicolore au-dessus de la ville.

 

  

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28 avril 2020

Haïku et tankas / Marie-Thé

AEV 1920-28 Marie-Thé vagueChoses qui donnent un vertige d’émerveillement

Dans la mer limpide
Frissonnant dans l’eau glacée
Elle sent son corps léger
Balancé au gré des vagues
Euphorique et apaisé.

Le tout-petit trotte
Bras en l’air, pas hésitants,
Cris, rires aux éclats,
Se précipite dans des bras
Qui le soulèvent avec joie.




Promenade du soir

Soleil bas de crépuscule
Féérie de couleurs
Aubépines immaculées
Ajoncs d’un jaune éclatant.

Pissenlits, pièces d’or
Eparpillées sur l’herbe verte,
Splendeur du printemps.

Choses agaçantes

Elle vient de s’endormir

« Bzz Bzz ! » fait le moustique
Qui la pique à la joue.
Enervée, réveillée,
D’une main rapide
Elle l’a écrabouillé.

Ce matin il pleut.
Le ciel verse des grosses larmes
Comme s’il déplorait
La fin du confinement
Auquel nous aspirons tant.

Marie court dans le vent
Qui soulève ses cheveux longs
S’infiltre sous ses jupons
Souffle dans les arbres qui plient et se relèvent
Dans un bruit assourdissant.
Elle éclate de rire, elle est heureuse, amoureuse.

 
AEV 1920-28 Marie-Thé trainChoses qui égayent le cœur

Marie s’impatiente
Sa montre s’est-elle arrêtée ?
« Tchou ! Tchou ! » Voilà le train
Le cœur de Marie bat très fort
Ses mains tremblent, elle rougit
Soudain il est là, devant elle.

Sur elle ce matin
Il a posé son regard
Il s’arrête, sourit.
Troublée, émue, elle s’enfuit,
Puis revient vers lui gaiement.





Choses peu rassurantes


Pieds collés au sol
Nulle part elle ne peut aller
Il va la saisir
Apeurée Marie crie
« Au secours », se réveille.
Ouf ! Ce n’était qu’un cauchemar.

Le rôti est cramé
Les invités sont arrivés
Marie est affolée

AEV 1920-28 Marie-Thé balade-en-corseChoses qui provoquent l’enthousiasme

Elle voulait partir à la mer
Et lui à la montagne
Ensemble ils sont allés en Corse
Mer et montagne ils ont trouvé.

Choses qui apaisent
Il a posé sa main sur son épaule
Son cœur s’est apaisé
Ses larmes ont séché
Elle a cessé de trembler

21 avril 2020

Un printemps singulier / Marie-Thé

AEV 1920-Marie-Thé printemps

C’était aux premiers jours d’avril.

Au moment où monte le chant des oiseaux, 
comme tous les matins de confinement, Marie place son ordinateur sur la table de la cour et découvre la gymnastique concoctée par le coach,  un homme plein d’humour, longues guiboles terminées par des tennis blancs faisant ressortir sa peau noire, luisante au soleil de ce jour de printemps.

Sa voix invite aux contorsions :
- Allongez-vous sur le sol…
ou alors :
- Mettez-vous debout sur un pied puis sur l’autre, comme un flamant rose…

C’est dur ; L’esprit de Marie s’envole vers le ciel  parsemé de petits nuages cotonneux. Elle voit passer des hirondelles ; des pies jacassent sur la pelouse. Elle entend la complainte du merle chanteur perché sur une branche du figuier.

Son regard se pose sur les p’tites fleurs bleues, les pissenlits qui inondent la pelouse, sur les fleurs du cognassier.

Des odeurs de terre et d’herbe humides lui sautent au visage,embaument l’atmosphère.

Soudain elle réalise que ce n’est pas le moment de rêver, elle n’est pas un poète ! Son regard revient vers l’ordinateur :
le coach a fini sa leçon, alors adieu, à demain !

Sa joie est tombée dans l’herbe en réalisant qu’elle doit partir magasiner en esquivant les attaques sournoises du roi Covid.

Elle remplit son laisser-passer, enfile son masque et ses gants de protection puis affronte l’ennemi avec courage.

Les rares personnes qu’elle croise dans les rues s’éloignent comme si elle était elle-même la reine de Covid.

Sur le chemin du retour, elle fredonne une chanson d’Alain Barrière,
« La complainte du roi et de la reine » et se dit qu’un si beau printemps, malgré le confinement, ça fait aimer la vie. 

14 avril 2020

Triumph / Marie-Thé

Quand il avait une idée en tête, Félix n’était pas fainéant. De nature marginale, il trouvait toujours un petit turbin pour affurer son minimum vital.

Une année à trimer comme un forçat. Doué en mécanique, il avait passé des semaines sans rechigner à réparer les voitures des voisins, des amis des voisins, des cousins germains, des cousins issus de germains et même la deudeuche verdâtre du couvent des sœurs grises d’à côté de chez ma copine Maryvonne.

A la fin du mois de juillet, triomphe, il avait réuni la somme suffisante pour s’acheter la voiture rouge qu’il reluquait depuis plusieurs mois dans le garage du père Juju. Il s’appelait Julien mais tout le monde au village l’appelait Juju parce qu’il ne buvait que du jus d’orange, «avec un fond de gnôle pour chasser le coronavirus» disait-il ces derniers jours.

Mais revenons à Félix.

- Alinéa jacte à l’aise ! Le 1er août, je pars dans le Finistère !
 

la-triumph-de-mademoiselle-rydenCoffre plein, Pompon, son chien, près de lui, le voilà sur les petites routes bretonnes, désertes à cette heure matinale. Soudain, dans un virage, une auto-stoppeuse lui fait des signes.

Tellement ravissante, elle semblait tout droit sortie d’Hollywood avec sa jolie robe au large décolleté, ses cheveux relevés en chignon désorganisé. Tombé en pamoison, il embarque la fille, la valise et se dirige vers sa location.

Ce qui devait arriver arriva, le voilà perturbé, maladroit séducteur, se disant qu’elle avait de l’allure dans sa belle Triumph et que les vacances seraient bien sympa en sa compagnie.

En arrivant, d’emblée il réalise que la lumière est plus rasante qu’un discours électoral. Saisi par le ciel bleu parsemé de petits nuages blancs, cotonneux, il pense à un tableau d’un certain Américain dont il a oublié le nom. Le peintre n’aurait sûrement pas hésité à les inclure, lui, sa compagne et sa belle automobile, dans un tableau qui se serait vendu à prix d’or.

Pompon, jaloux de la nouvelle compagne de son maître, saute de la voiture et s’éloigne en boudant.

***

Trois semaines plus tard, ils sont repartis ensemble. Personne n’a su ce qui s’est passé dans la maison. Ce qui est sûr c’est qu’ils sont restés confinés pendant toutes les vacances, ne sortant qu’une heure par jour pour s’aérer et pour les achats de première nécessité.

7 avril 2020

Le Rêve de Léontine / Marie-Thé

Louise, Françoise et Edmund

Dans la maison de retraite de son village, elle a sorti sa boîte à souvenirs. Ses mains tremblantes cherchent et trouvent une photo prise un dimanche matin par son père. Elle y figure avec son petit frère et sa mère.

Elle avait alors 17 ans et se promettait d’être une hôtesse de l’air, d’avoir des talons hauts et de voir le bas d’en haut.

Nostalgie, c’est le mot qui lui vient à l’esprit en regardant la photo, avec le regret de n’avoir pas réalisé son rêve.

A l’époque, pleine de vie et d’insouciance, elle est tombée sous le charme de Félix, le plus beau gars du village, disaient ses amies.

C’était la fin de la guerre. Les bals du dimanche après-midi attiraient les jeunes, heureux de se défouler après tant d’années difficiles pour tous. Elle n’aurait pour rien au monde raté une pareille occasion de se distraire.

C’est précisément le jour où a été prise la photo qu’a débuté son idylle avec Félix. Lorsqu’au son de l’accordéon a commencé le bal, ses yeux noirs se sont posés sur elle.

Elle se souvient des frémissements de son corps quand il s’est approché, l’a prise dans ses bras, l’entraînant dans une java exaltante.

Le soir, ils se retrouvaient derrière le château. « Je vais chercher des champignons » disait-elle à sa mère, qui la mettait en garde contre les garçons trop entreprenants.

Lorsqu’elle a attendu un enfant, pas question pour sa famille qu’elle soit fille-mère. Elle a épousé Félix à la hâte. Adieu son rêve de devenir hôtesse de l’air et de regarder le bas d’en haut !




Pendant 8 ans, elle a mis au monde un enfant chaque année, jusqu’au jour où elle a dit à Félix : "Stop ! Des enfants j’en ai eu tout mon saoûl ! ".

Puis, comme elle, son bel amoureux est devenu bien vieux et « il a ciré ses bottes pour se présenter devant Dieu » comme ils disaient au village.

Devenue veuve, elle est entrée à la maison de retraite, et là elle s’invente une vie d’hôtesse de l’air, pleine de péripéties dans lesquelles elle est l’héroïne.

Les pensionnaires sont tous admiratifs de Léontine qui les fait rêver en racontant sa vie hors du commun.

***

Léontine, aux Hortensias :

AEV 1920-25 Marie-Thé Natacha

Ouf, je suis revenue dans ma chambre. La maison de retraite des «Hortensias», entre nous c’est un beau nom pour un endroit un peu sinistre ! Ici il n’y a que des vieux !

Moi, ils me prennent pour quelqu’un de très important parce que je leur raconte l’histoire d’une vie qui aurait pu être la mienne. Il y a un pensionnaire qui m’admire, qui me trouve à son goût ! Toujours à me suivre, à vouloir être à ma table, à m’interroger sur mes voyages. Je me méfie, s’il découvre le pot aux roses, c’en est fini de ma vie d’hôtesse de l’air.
Qui les fera rêver, tous ces pensionnaires qui me prennent pour une vedette ?

Bon, je me couche, il faut que je réfléchisse à l’histoire que je vais raconter demain. Bah, je peux redire plusieurs fois la même chose, ils ont la mémoire qui flanche !

31 mars 2020

Mon vieux tapis / Marie-Thé

Tapis, mon vieux tapis, si tu pouvais parler !

AEV 1920-24 Marie-Thé pendule

Confiné dans la poussière, sur le sol du grenier,
abandonné de tous dans la pagaille,
entre la vieille pendule de ma grand’mère surmontée d’une statue,
des gros téléphones noirs à cadran,
une dizaine de boîtes de photos jaunies,
un miroir Louis XVI que je consulte en passant, riant de m’y voir si belle…

AEV 1920-24 Marie-Thé Miroir

Tapis, très cher vieux tapis, objet inanimé,
Aurais-tu donc une âme ?

Lorsque je te regarde, les souvenirs m’emportent vers mon enfance.

Toute petite on me posait sur toi. Je t’arrachais la laine,
mais toi, tu étais plein de douceur sous mes petits pieds nus.

Tapis, mon beau tapis persan,
Acheté par mon grand-père au cours d’une de ses escapades en Iran,
Tu en as vu des chaussures de toutes les couleurs,
des noires, des marron, des rouges à talons qui te blessaient,
d’autres pleines de boue qui laissaient des taches
que le lendemain il fallait brosser. Tu en perdais, des poils !

AEV 1920-24 Marie-Thé tapisTapis, mon vieil ami,
Pendant les repas des invités,
Avec ma sœur nous nous cachions sur toi, sous la table !

Avec toi mon tapis, nous étions les témoins des jeux d’adultes.

Des pieds se libéraient de chaussures trop serrées,
Ces pieds cherchaient d’autres pieds,
des mollets se rapprochaient,
des mains baladeuses caressaient des genoux.

Nous finissions par nous endormir sur toi,
qui étais si doux.

Tapis, mon merveilleux tapis,
Tu en as connu des galipettes,
Des roulades,
Tu en as entendu des mots d’amour,
Des mots de tous les jours !

Après toutes ces années, je t’ai redécouvert.

Tes couleurs sont passées,
Tu es râpé jusqu’à la trame,
Mais les souvenirs restent.

Pendant le confinement, je fais du rangement,
Je mets de côté ce qui est inutile, pour la décharge
Mais toi, mon tapis, mon vieux tapis, objet inanimé,
Tu as une âme, pas question de t’éliminer !

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