Elle plongea sa plume dans l'encrier et inscrivit le mot « plage ». Des coquillages enluminèrent la page. Amusée, elle trempa de nouveau sa plume dans l'encrier et écrivit le mot « soleil ». Une multitude de parasols multicolores parsemèrent la plage.
C'était amusant. Elle allait tenter, avec un simple mot de mettre le décor en mouvement, elle écrivit le mot « vent ». Aussitôt les parasols se couchèrent ou prirent la poudre d'escampette. Des petits bonhommes en maillots de bain s'agitèrent en tous sens pour les rattraper, ils enfilèrent des tee-shirts, emplirent leurs sacs de plage de toutes les affaires éparses autour d'eux et rappelèrent leurs enfants. Le vent qu'elle avait écrit soufflait fort.
Elle ne voyait plus le temps passer, sa caméra intérieure bifurquait jusqu'à la promenade qui surplombait la grève, des Bigoudènes d'un âge respectable retenaient leurs coiffes à grand peine.
Pourquoi ne pas continuer sur cette voie ? Elle inscrivit le mot « tempête », de la houle se forma dans le port faisant dangereusement danser les bateaux qui tiraient sur leurs amarres.
Elle s'amusait beaucoup. Poussant plus loin dans le scénario catastrophe, elle inscrivit « chalutier ».
Elle se trouva immédiatement au milieu des marins. Ils étaient vêtus de cirés jaunes et de bottes. Ils l'aidèrent à enfiler le même uniforme. Elle recevait des paquets de mer et tentait tant bien que mal de conserver son équilibre sur le pont de ce bateau qui roulait d'un bord sur l'autre, tandis que le capitaine maniait la barre au mieux pour négocier les vagues. C'était pénible, elle avait froid, alors sur le cahier elle écrivit « calme ».
Aussitôt la mer se calma, le soleil réapparut et elle fut miraculeusement transportée sur un chemin de campagne. Le décor était bucolique, les oiseaux pépiaient, se répondant à l'envie, des vaches placides la regardaient passer en ruminant consciencieusement, un petit ruisseau chantait. Elle longea un moment le cours d'eau, elle était envahie d'une grande paix. Mais le sujet s'épuisait, elle écrivit « ville ».
Une place se dessina, au milieu une fontaine, autour des maisons à colombages, des rues pavées, des boutiques. Des passants pressés et d'autres musardant. Sur le dessin le soleil brillait toujours, alors elle inscrivit « été ».
Les gens sur la place changèrent d'allure, se parèrent de robes légères, de bermudas, de sandales et de lunettes de soleil. Des enfants s'éclaboussaient avec l'eau de la fontaine pendant que leurs grand- parents se reposaient sur des bancs à l'ombre des tilleuls.
Cette place lui rappelait celle où elle avait passé son enfance. Mais ensuite elle avait grandi. Sa plume traça « boite de nuit », elle se retrouva dans un lieu plutôt sombre et bruyant : musique disco, lumières psychédéliques, boissons colorées dans lesquelles des glaçons tintaient contre le verre. Lumière noire intermittente. Des garçons la serraient de près qu'elle repoussait autant qu'elle le pouvait. Soudain elle se sentit épuisée, alors elle écrivit « maison » et se retrouva dans sa réalité, dans son salon douillet. Sur le bureau, un cahier avec des mots sans suite. Elle sourit.