L'Alezan / Anne-Françoise
Sur l’azur se détache le pur-sang alezan du sultan
Azur et alezan
Une palette poète
Des couleurs qui se complètent
L’alliance parfaite
Le sable et la mer
L’ambre et le lapis-lazuli
La merveilleuse alchimie
L’alezan se cabre et se cambre
Albatros et gazelle
Derviche et djinn
Folles voltes et arabes arabesques
Puis sans bruit
Dans le désert
Il s’enfuit
Faisant voler le sable
Tandis que tombe la nuit
Dans mon mazagran bleu
Ma cuillère galope, tourne et tourne, envoûtée
Dans les volutes chaudes de mon café
Elle crée et recrée le spectacle et son étrangeté.
Je m’appelle Shéhérazade.
Le Philtre d'amour / Anne-Françoise
Elixir de jouvence
Philtre d’amour
Potion magique
De quoi tout cela a-t-il goût ?
Sucré, salé, amer, acide ?
Fruité, boisé, floral, santal ?
Jasmin, cumin, benjoin, tamarin ?
Ambre, camphre, nacre, alcool ?
Ces boissons laissent-elles un goût d’argousin dans le gosier ?
Je ne sais pourquoi mais j’ai idée
Que tout ça ce ne doit guère être bon
Et que le plus enchanteur doit encore être le nom !
A bien y penser,
Je crois que je préfère savourer
Au calme, dans mon canapé,
Mon habituel petit café.
Zouave ! / Marie-Thé
En rangeant mon grenier pendant le confinement, j’ai retrouvé une photo datant de 1928 sur laquelle figure mon père lors de son service militaire en Algérie. Allure fringante, barbe frisottante, culotte bouffante, chechia avec pompon. Il est vraiment beau mon père dans son habit de zouave ! Pas étonnant que ma mère ait succombé à ses charmes. Je l’ai souvent entendu dire : « Viens te reposer sur le divan, ma gazelle ! ».
Elle répondait du tac au tac qu’elle s’appelait Jeanette, qu’il n’était plus dans le désert avec ses fatmas. Elle était jalouse de ses aventures amoureuses qu’elle imaginait extraordinaires. Des algarades de ce genre, il y en avait souvent entre eux.
La vue de cette photo a fait ressurgir les souvenirs de ce qu’il racontait quand j’étais petite. Il aimait parler de ses randonnées à dos de chameau dans le Sahara, des nuits glaciales dans les dunes, des thés ou des caouas, avec un chouia d’alcool sorti on ne sait d’où, de couscous, de moussakas, de tagines, de tous ces mets exotiques aux senteurs de carvi, de cumin ou de curcuma, préparés au harem derrière les moucharabiehs.
Chaque repas de famille était l’occasion pour lui de raconter des aventures que nous, ses enfants, connaissions par cœur. Avec le temps, elles s’étaient transformées. Il était devenu un zouave sauvant un homme assoiffé perdu au milieu des sables ou bien il galopait dans le désert, au hasard, sur un alezan, pendant des heures et revenait épuisé à la caserne où les autres zouaves enviaient son audace.
Mon père a espéré toute sa vie revoir l’Algérie. Il a disparu avant de pouvoir réaliser son rêve.
Le Journal de Nazim le fou / Jean-Paul
Derrière le moucharabieh je regarde sans être vu :
- celle qui boit son caoua sans y mettre de sucre ;
- celle qui rêve d’une cange pour aller aux sources du Nil ;
- celle qui met dans son cabas des aubergines ;
- celle dont la jupe est trop courte ;
- celle dont la nuque est envoûtante ;
- celle qui connaît l’arithmétique et sait la fièvre de l’algèbre ;
- celle qui croit que la Terre est bleue comme une orange.
Derrière le moucharabieh je regarde sans être vu
Et de toutes ces belles je me fais un harem
Pour toutes les nuits sans lune où je dormirai seul.
***
C’est l’Hiver qui arrive pour geler nos glaouis,
Pour semer la jachère.
Peau de zob au jardin !
Pénurie d’épinards !
Macache d’estragon !
Sans tambour ni trompette
Il nique le safran,
Fait pourrir les pastèques
Et, gabelou furieux,
Jette sur tout cela la neige artificielle
Des nuits de satin blanc
Dont je maudis le bues
Pour que les caïds de Dubaï
Se voient en nababs du climat
Qui ont décroché la timbale.
***
Calfeutré dans mon souk
Je chante sur mon luth
Mes sourates de fanfaron.
Je sors de ma guitare
Le navire amiral de mes chansons maboules.
Je suis Nazim le fou au coffret de santal,
Aux notes de jasmin,
L’assassin du sultan
Qui préfère au calibre P 38
Le goudron du barouf
Et la plume d’albatros
A la sauce Baudelaire
Pour moquer ces vizirs mesquins.
***
J’ai assez d’alcool dans mon alambic
Pour provoquer des algarades
A la limite de l’abracadabrantesque.
J’ai assez de café dans mon grand mazagran
Pour Balzacer des nuits entières
Un almanach de gilet jaune.
J’ai assez de haschich dans ma jarre
Pour fumer des naseaux
En alezan superbe
Et tendre mes madragues
Sur l’échine des bardots.
Mais je n’ai pas l’âme d’un cador
Et n’infligerais pas aux raïs d’un quintal
L’échec et mat funeste.
Tant pis pour eux s’ils ont roqué côté cimetière !
Ces fakirs ne valent pas un clou !
Ces momies qu’un toubib conserve dans le talc
Ne sont que moussaka moisie
Abricots secs, brêles, zéro, camelote.
Moi
Sur une feuille de nénuphar géant
Je chevauche le sirocco.
Par le truchement du rêve et de la poésie
Je remplis le zénith de mes « Wali-walou ».
Je plante un baobab au sommet chamarré
D’un Everest divin.
Je peins en zinzolin
La nouba des girafes
Et fais pleuvoir la limonade et l’orangeade
Sur les ayatollah traîne-savates.
J’envoie par sarbacane
Une mousson de loukoums
Engluer les émirs
Et, en baroud d’honneur digne d’une Odyssée,
Je fais razzia totale sur l’arsenal de toutes bougies
Pour qu’on ne puisse plus connaître
L’âge du capitaine
Quand je mange le moka
Sans en laisser bésef.
C’est vrai je suis comme ça, moi, lorsque j’ai forcé
Sur l’alchimie des mots et mon péché mignon,
L’eau de fleur d’oranger.
Calligraphie de Lassaad Métoui
***
Ai-je bien raconté ma vie de patachon ?
Ai-je bien massicoté au cimeterre d’argent
Votre cafard de confiné·e·s ?
Voyez-vous bien l’azur par le moucharabieh ?
Ne l’oubliez jamais :
Le ciel vous appartient !
Consigne d'écriture 2021-03 du 29 septembre 2020 : Les Ateliers d'écriture de La Croix
Les Ateliers d'écriture de La Croix
Voici une vingtaine de photos qui ont servi de base à l'atelier d'écriture
du magazine hebdomaire du journal "La Croix".
Chacune est accompagnée d'un incipit obligatoire.
Choisissez en trois ou plus.
Votre texte relatif à chaque photo ne doit pas dépasser une dizaine de lignes.
(Vous pouvez cliquer sur les photos pour les agrandir ou les voir sous forme d'un diaporama)
C'est la fin des vacances |
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Sur la berge / Anne J.
Sur la berge, trinquons à l’ultime rencontre et à l’éternité
Passée de l’autre côté du monde !
Je laisse ici tout ce qui est lourd et pesant,
Ce corps de plus en plus imparfait et maladroit,
Ses imperfections, ses misères,
Le poids des activités et des préoccupations.
Quand la dernière goutte sera bue, tu tomberas à l’eau
Et le courant t’emportera.
Et moi je prendrai la route,
Portée par l’ivresse,
Légère et vide,
Pour le pays des rêves et du vent.
Sur un arbre perché / Anne J.
Sur un arbre perchée, cette étrange chauve-souris rouge me regardait de ses yeux aveugles.
Quand je l'ai vu apparaître sous mon microscope, j'ai eu un sursaut et j'ai laissé échapper un petit cri de surprise et de peur.
A l’œil nu, c'était juste une petite boule rouge, comme celles qu'on voit dans les houx à Noël mais ce que je voyais maintenant était une espèce de chauve-souris inconnue, accrochée à une brindille, avec d’énigmatiques caractères inscrits sur son torse et d'immenses pieds curieusement affublés de lacets. J'ai scruté son regard aveugle et inquiétant, il n’annonçait rien de bon
Ce que je ne vous ai pas encore dit, c'est que j'ai trouvé cette boule rouge sur le pelage d'un pangolin acheté à Wuhan, lors de mon dernier voyage en Chine et que j'ai offert à ma fille pour son cadeau d'anniversaire.
Finalement ce n'était peut-être pas une si bonne idée !
L'Ange bleu / Anne J.
Discrètement, je me suis approchée ; ce n’était pas saint Pierre qui m’attendait à la porte du paradis mais cet étrange ange bleu et pensif. Après mon malaise dans l’aéroport, je n’avais pas eu le temps de me changer et j’avais encore à la main la clef de ma valise attachée à son cordon pour le mettre autour de mon cou.
J’ai salué l’ange bleu et lui ai demandé où était celui qui tient d’habitude les clefs du Paradis.
Il m’a répondu qu’on sous-traitait désormais avec les Chinois pour réduire les frais de personnel, que saint Pierre avait été remercié et qu’il était le nouveau remplaçant.
- Que voulez-vous, a-t-il ajouté, en Chine la main d’œuvre est moins chère et il n’y a jamais de revendications salariales».
Puis il a sorti sa balance pour soupeser mon âme et m’a laissé entrer.
Les Pingouins / Jean-Paul
- En marche ! On est bientôt arrivés, les gars ! Une fois dans la station il n’y aura plus qu’à suivre les rails !
- N’empêche, il fait une chaleur à crever, chef !
- T’as voulu voir Paris et on a vu Paris ! Chauffe, Nestor !
- Il fera plus frais dans le métro. C’est fou quand même que ce réchauffement climatique ait eu la peau des humains !
- En marche, les gars ! Ne discutez pas tant ! A force de parler vous allez vous dessécher !
- Comment vous dites qu’elle s’appelle, l’oasis de fraicheur vers laquelle on va ? C’est quel arrêt public ?
- En marche ! C’est la station « Glacière ».