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L'Atelier d'écriture de Villejean
10 janvier 2017

L'Homme aux cheveux gris / Eliane

AEV 1617-14 L'homme aux cheveux gris

Vêtus de leurs plus beaux atours, le professeur et Philippe descendirent le grand escalier d'honneur.

Ils étaient venus à cette cérémonie pour honorer la mémoire du vieux patriarche, rendant hommage à son dévouement qui ne s'était jamais démenti à la tête de la fondation.

Philippe regardait l'assemblée, se demandant si tout ce beau monde était vraiment compatible avec l'âme de l'entreprise. Mais il savait bien que la fondation avait besoin de donateurs, qu'importait alors l'habit.

Le jeune loup Richard, play-boy de profession, descendit le majestueux escalier en trombe, bousculant le Professeur au passage et créant un appel d'air dans le vaste édifice. On ne pouvait manquer de le remarquer.

- Bonsoir ! cria-t-il. Belle soirée, jolies femmes !

Philippe lui lança un regard noir et lui adressa son rictus le plus vache. Il détestait ce genre d'individu. « Eh, oui, soupira le professeur, il est certain que nous avons besoin de donateurs ! ».

Sur le trottoir, Philippe proposa au Professeur de le raccompagner en voiture. Ce dernier déclina l'invitation, arguant qu'il avait besoin de marcher, qu'un peu d'air lui ferait du bien.

Il marchait depuis dix minutes quand une élégante voiture stoppa à sa hauteur.

- Bonsoir ! dit la conductrice.

Il reconnut une des amies de sa fille. Elle proposa de le prendre à bord et il n'eut pas le cœur de refuser.

Le court trajet fut très agréable : elle conduisait à la perfection, une conduite douce et souple et sa conversation était agréable. En le déposant devant son immeuble elle l'invita à venir dîner un soir en compagnie de sa fille. Il répondit qu'il en serait très heureux, qu'il fallait voir avec cette dernière.

Elle redémarra. Le professeur, après un dernier signe de la main, gagna la porte et introduisit la clé dans la serrure. Mais avant qu'il ait pu entrer un individu à cheveux gris et vêtu de gris s'approcha, l'air peu aimable.

Le professeur se figea :

- Je vous préviens, j'ai très peu d'argent sur moi.

L'homme le prit brutalement par le bras et le fit entrer dans la cour.

- Allons chez toi !" dit-il.

Le professeur obtempéra, bien conscient qu'il n'aurait pas assez de force pour résister.

Il espérait ardemment que Philippe allait l'appeler, s'inquiétant de savoir s'il était bien rentré. Il trouverait alors un moyen de lui faire comprendre la situation délicate dans laquelle il se trouvait.

L'homme referma à clé derrière eux. L'angoisse étreignit le professeur comme un étau.

- Que me voulez-vous ? demanda-t-il.

L'homme le détaillait des pieds à la tête.

- Vous êtes bien le professeur X qui œuvre dans l'association d'aide aux victimes ?

AEV 1617-14 c'est dangereux

Le professeur hocha la tête.

- Et vous avez oublié de vous occuper de cette jeune femme, ma fille, qui s'est retrouvée seule sur le point d'accoucher. Elle a perdu son bébé, mort de froid dans la rue, et personne n'a daigné poser un regard sur elle et sa détresse.

- De qui parlez-vous ? Nous nous préoccupons toujours de tout le monde, sans distinction de rang, de situations ou de race. Mais vous-même, pourquoi ne vous êtes-vous pas soucié d'elle dans ce moment de grande détresse ?

- Je n'ai aucun talent comme sage-femme, ricana l'homme.

- Amenez-la nous. Nous ne pourrons certes pas lui rendre son bébé, mais nous pourrons certainement lui apporter un soutien psychologique et matériel dans la mesure de nos moyens.

- Bien sûr ! ricana l'homme de nouveau, De toute façon vous pensez qu'elles sont bêtes toutes ces femmes qui veulent un bébé. Pourtant ma fille n'en voulait pas mais elle ne voulait pas non plus le perdre.

Le téléphone sonna, l'homme fit signe de répondre. C'était Philippe :

- Vous allez bien ? Vous êtes bien rentré ?

- J'ai un petit souci.

Philippe sentit qu'il n'allait pas développer davantage.

- Voulez-vous que je vienne ?

- S'il vous plait !

Philippe se pressait, inquiet. Il y avait longtemps qu'il n'était pas allé jusqu'au domicile de son vieil ami, et brusquement lui revint le souvenir de cette jeune femme qu'il avait aimée et qui l'avait aimé. Il entendait à nouveau les mots qu'elle murmurait contre sa peau. Une bouffée de nostalgie vint se mêler à l'inquiétude qu'il éprouvait.

Il se secoua. A quoi bon regretter, ce temps-là ne reviendrait pas, il fallait simplement souhaiter ne pas croiser, au domicile du Professeur, sa fille chérie.

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3 janvier 2017

La Maison bleue / Eliane

AEV 1617-13 Eliane la-maison-bleue

Il avait hérité de cette maison bleue,
La maison de son enfance.

Il errait à travers les pièces
Ouvrant les volets
Faisant entrer la lumière
Dévoilant les lézardes, les toiles d'araignées,
Quelques fuites d'eau, des ardoises disjointes.

Il se laissait envahir par un flot d'émotion ;
Les souvenirs affluaient en masse
Dans un désordre qui le faisait chanceler.
Cette maison avait abrité tant d'êtres chers.
Il se dirigeait déjà vers le grenier
Que les enfants avaient complètement investi
Et que les adultes appelaient le Grenier des Anges.

Que d'histoires ici, lui, ses frères et ses cousins
Avaient inventé, avaient mimées,
Puisant dans les vieilles malles
Des habits de pirates, des habits de fées.
Leur imagination était sans borne.

Il était déjà en haut de l'échelle.
Rien n'avait changé.
Il s'affala dans le vieux fauteuil défoncé,
Faisant naître un nuage de poussière
Et contempla le paysage immobile.

AEV 1617-13 grenier eliane 86730945_oIl revit bientôt les yeux bleu-ardoise
De cette cousine brune si jolie.
Elle avait été son premier amour,
Les premiers émois de son jeune cœur.
Qu'était-elle devenue ?

Qu'allait-il faire ?
Garder cette maison ?
La retaper ?
En faire son lieu de vie ?
Lui qui avait rêvé partir pour l'hémisphère sud,
Habiter une maison coloniale entourée d'orangers,
Vivre une passion torride avec une belle métisse,
Allait-il renoncer à ce rêve ?

La maison bleue l'avait déjà capturé, annexé,
Elle ne le laisserait pas partir
Il était son prisonnier et le savait.

Il redescendit lourdement,
Referma les volets
Et, du jardin en friche, contempla longuement la bâtisse.
Grandeur nature,
Elle lui paraissait plus petite que dans ses souvenirs.
Elle avait une âme,
Elle pourrait être le nid de son intimité,
Elle cacherait si bien sa vie privée.

Il la contemplait
Les couleurs du temps étaient passées sur elle,
Dévoilant son histoire.
Il s'imaginait déjà,
Dans l'ancien bureau de son père,
Tremper une plume d'oie dans le vieil encrier
Pour écrire cette histoire.

13 décembre 2016

Petite boule d'énergie / Eliane

Une fois endodormie, elle était adodorable. Je ne me lassais pas de contempler la rondeur veloutée de ses joues. Elle avait gardé un pouce dans sa bouche et elle émettait un léger ronflement.

La contempler si sage délivrait en moi une bonne dodose d'endodorphines, mais avant d'en arriver là il m'avait fallu beaucoup de maitrise pour ne pas exploser.

Nous ne savions plus quoi faire pour fatiguer cette petite boule d'énergie qui nous épuisait.

Hier Alfredodo l'avait emmenée sur le tatami où un judodoka l'avait initiée à son art. Elle avait beaucoup aimé, voulait recommencer le soir même. J’avais répondu que c'était d'accord mais plus tard. Mécontente, elle était allée ronchonner dans son coin en dodonnant quelques coups de pied rageurs dans ses jouets. Je feignis l'indifférence et j’allai préparer une soupe au potiron que, habituellement, elle adodorait. Mais bien sûr, ce soir-là elle n'en voulait pas, affirmant qu'elle n'en avait jamais goûté et réclamait des rondelles de saucisson en tapant du pied. Je lui fis la promesse de lui en dodonner sitôt le potage avalé, mais elle ne décolérait pas.

AEV 1617-12 Lucy Van Pelt

Je soupirais. Que faire pour qu'elle se montre un peu plus dodocile ? Alfredodo et moi étions déjà allés consulter le dodocteur Dodolori, cette enfant ne souffrait-elle pas d'une hyperactivité qu'il faudrait soigner ?

Le gentil dodocteur nous avait ri au nez, affirmant qu'il ne s'agissait nullement de pathologie.

- Amenez-la moi quand elle aura une bronchite et je vous promets que je pourrai faire quelque-chose !

Bon, il semblait que nous devions prendre notre mal en patience. Je la regardais de nouveau, ses longs cils faisaient des ombres sur ses yeux vairons qui lançaient si souvent des éclairs. J’éteignis la petite lampe d'ambiance et me retirai sur la pointe des pieds, il ne s'agissait pas de la réveiller. Il fallait savourer cette trêve qui nous permettait de recharger nos batteries.

Le lendemain, la tempête serait à nouveau déchaînée. A quoi se dodopait-elle pendant son sommeil ?
Nous aurions perdu ce rôle de deux dodominants permettant d'éduquer un enfant, il nous faudrait faire ses quatre volontés. Il nous faudrait accepter d'être les parents d'un petit être dodoué d'une belle énergie et d'une volonté inébranlable.

Je ferais ma rombière, exigerais qu'elle s'assoie correctement pour prendre son petit déjeuner, qu'elle accepte les vêtements que je lui propose ; tout cela, je le savais déjà, en pure perte.

Dès le matin je serais usée, usée. C'était comme ça chaque jour, il fallait proposer des activités physiques, petite randodonné, aviron, piscine ou autre. Le but étant qu'en fin de journée elle soit un peu fatiguée. On lui proposerait alors un jeu de dodominos, un petit air de mandodoline ou d’aider à la préparation du repas.

Quelquefois ça marchait, et quand, enfin posée devant un dessin animé, elle suçait son pouce et commençait à dododeliner ses boucles blondes, nous savions alors que nous étions sauvés, du moins pour cette journée-là , avant le grand chambardement du lendemain.

6 décembre 2016

Quelques néologismes / Eliane

INSENCOPE : personne qui, insensible au froid, à la chaleur, à la douleur, tombe néanmoins perpétuellement en syncope.
« Les belles poudrées du XIIIème siècle, n'étant pas insensibles, tombaient fréquemment en syncope, nécessitant d'aller chercher des « sels » pour les ranimer ». in « La vie intime des dames de la cour » de Françoise Chandernagor

ENATIBLE : Les énarques doués pour la politique et ayant brillamment réussi en tant que hauts fonctionnaires se virent éligibles et ne se privèrent pas de faire acte de candidature aux plus hauts postes de l'état, avec plus ou moins de réussite.
Les exemples sont trop nombreux pour les citer. Cf « De l'Ena au pouvoir » par D Foenkinos.

MASTURDISIAQUE : Pratique sexuelle individuelle qui, si elle est pratiquée avec art, tact et sensualité, permet d'atteindre un niveau aphrodisiaque n'ayant rien à envier aux pratiques élaborées et longuement étudiées du Kama Sutra.
Vous comprendrez que le respect de la sphère intime de chacun interdit de citer des exemples. Nous pouvons toutefois recommander le très bon ouvrage de Baudelaire « Sexualités ».

COLIRAGE : Etat de celui qui, ayant eu des coliques toute la nuit, enrage de ne pouvoir mener à bien les activités de la journée. Elles seront au mieux reportées et au pire annulées tant il est las.
Je n'ai jamais rien lu concernant ce cas de figure.

PIZZACESCENT : Se dit d’un pizzaiolo d'une telle adresse, d'une telle grâce, d'une telle vélocité, que la pâte semble friser la perfection sous ses mains tant elle est fine et d'une rondeur parfaite. « C'est un vrai magicien qui ne semble pas toucher terre, être évanescent, à peine perceptible dans l'air d'une tremblante chaleur émanant du four » in « Pizzaiolo » d’Umberto Ecco.

COVOITINAL : Pour les petits budgets le covoiturage est une solution économique et conviviale pour les trajets assez longs. Il est logique que ces voyages à plusieurs démarrent tôt le matin. C'est pourquoi les conducteurs proposant des places dans leur véhicule passent leur annonce dans la rubrique « Covoitinal ». Les personnes intéressées savent ainsi à quoi s'attendre, étant conscientes par ailleurs que cette formule les fera arriver plus tôt ou, tout du moins, moins tard.

AEV 1617-11 castafioreCANTAGEADE : Femme qui pousse la chansonnette dès le matin, en pressant son orange. Les cantageades chantent plus ou moins juste et quand elles n'ont pas une voix de rossignol - mais qui a une telle voix au réveil ? - agacent prodigieusement les voisins. Cf « La Castafiore : mémoires » du capitaine Haddock.

13 octobre 2016

Sans l'Angleterre / Eliane

Si l'Angleterre n'avait pas existé, ou si nous ne l'avions pas connue parce que rien n'aurait filtré de cette île, qu'aurions-nous manqué ?

Nous n'avons pas été envahis par la manière de vivre des Anglais comme nous l'avons été par celle des américains. Globalement il nous aurait manqué de la littérature et de la musique, ainsi que quelques films cultes et quelques cinéastes.

Pour moi, précisément, m'aurait manqué Ivanhoé, enfin pas manqué puisque je ne l'aurais pas connu, mais enfin : quel dommage !

Ivanhoé, j'ai vu le film étant enfant et je suis immédiatement tombée amoureuse du héros. L'acteur qui l'incarnait n'avait rien d'anglais, puisque américain, je crois me souvenir que c'était Robert Taylor, mais le héros, lui, était bien anglais.

AEV 1617-05 Oscar-Wilde_938

M'auraient manqué aussi les romans des sœurs Brontë que ma maman m'a fait connaître à l'adolescence et que j'ai dévorés.

Plus tard j'aurais été bien triste de ne pas suivre les enquêtes de Sherlock Holmes et de son fidèle Dr Watson, paire hors pair pour résoudre les affaires les plus compliquées.

Je n'aurais pas connu non plus Oscar Wilde qui s'était arrangé pour ne pas vieillir en faisant vieillir son portrait.

Je n'aurais jamais vu « Les oiseaux » d'Hitchcock, tiré d'une nouvelle de Daphné du Maurier, romancière anglaise que j'avais lue et aimée.

Je n'aurais jamais vu les « James Bond ». Bon, ça à la rigueur j'aurais pu m'en passer malgré le charme de Sean Connery.

Je n'aurais jamais vu la série « Chapeau melon et bottes de cuir ».

Je n'aurais jamais entendu Pétula Clark et ses bottes dans la gadoue.

Jamais entendu non plus les quatre garçons dans le vent appelés les Beatles.

Jamais entendu Henry Purcell ni Duran-Duran, jamais non plus les Shadows ni le phénomène Hendrix. Bon je vais m'arrêter là, je ne suis pas si fan que ça de la musique anglo-saxonne, moi qui suis amoureuses des belles chansons à textes françaises.

Je n'aurais jamais admiré Julie Andrews dans « Mary Poppins » que j'ai fait découvrir à mes petites filles, qui me l'ont réclamé moult fois, si bien que je le connais par cœur.

Je n'aurais pas, très jeune, dévoré les livres de Julien Green plutôt que ceux de Graham Greene.

Nous avons partagé avec l'Angleterre de longues périodes d'histoire. Qu'aurions-nous fait si elle n'avait pas été là ? Pas de mariages arrangés pour nos rois et reines, pas de Guerre de Cent Ans, Jeanne d'Arc serait restée bien sagement à Domrémy y garder ses moutons.

AEV 1617-05 Prince CharlesNous ne saurions rien du terrible Henry VIII qui a réussi à supprimer six épouses et, pour l'une d'elles, à se fâcher avec l'Eglise Catholique, créant du même coup l'Eglise Anglicane.

Et nous ne saurions toujours rien de la famille royale britannique dont les faits et gestes remplissent des pages de nos journaux people et ça, par contre, ne serait pas un mal.

J'ai eu l'occasion de traverser la Manche deux fois. La première fois pour un très court week-end à Londres avec des copines. J'ai donc circulé dans l'un de leurs taxis noirs, emprunté leurs bus à impériale, entendu Big Ben sonner, passé devant Tower Bridge et le Horse Guard de Buckingham Palace, trainé dans les rayons du grand magasin Harod's

AEV 1617-05 Portmeirion - vue generale from GazeboLa deuxième fois j'ai passé une semaine à sillonner le Pays de Galles. Dépaysement garanti. Conduite à gauche, Bed and Breakfast, five o'clock… Simples sandwiches sans saveur le midi. Mais quand même de belles visites. Beaucoup de châteaux forts, villages aux noms interminables, troupeaux de moutons barrant la route, collines vertes, de jolis cottages ici ou là, fish and chips dans les petites villes. Mais surtout visite de ce village, entièrement fabriqué, où furent tournés les épisodes de la série « Le prisonnier ».

Etrange sensation : je n'avais pas lu de quoi il retournait avant de venir sur les lieux et j'avais simplement, en marchant dans les pas du « Numéro 6 » une impression de déjà vu, de déjà vécu. Je me posais des questions sur une éventuelle vie antérieure jusqu'à ce qu’un tilt dans mon cerveau me fasse réaliser où j'étais.

Voilà, je n'aurais pas connu tout ça si l'Angleterre n'avait jamais existé ou si, de tous temps elle était restée repliée sur elle-même.

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4 octobre 2016

Ernest et Bernadette vont à Lourdes. 9, Road movie / Eliane

Le neuvième jour ils firent étape à Mont-de-Marsan. Ils avaient pris la route qui, à partir de leur étape de Bordeaux, traverse la forêt de pins des Landes Sur cette route il avait plu sans arrêt. La pluie rendait la forêt sombre, Ernest n'arrêtait pas de râler qu'il n'y voyait rien à travers ses lunettes et qu'il commençait à ressembler à une éponge sous son trop léger vêtement de pluie. Bernadette riait et lui demandait pourquoi il n'avait pas pris l'option « essuie-glace » au moment de l'achat de ses lunettes.

AEV 1617-04 seche-linge-tkb-640-wp

Ernest continuait de bougonner. Comment allaient-ils s'y prendre pour sécher leurs vêtements ? Auraient-ils donc oublié d'ajouter le sèche-linge dans la petite remorque qu'il tractait et qui contenait leur matériel de camping ?

Bernadette riait de plus belle et l'eau de pluie qui ruisselait de son visage lui entrait dans la bouche.

- Nous trouverons bien une laverie automatique qui, moyennant quelques euros, nous rendra nos vêtements tout secs et tout chauds ! Allons, tout ira bien, le rassurait-elle, Mont de Marsan est une petite ville mais tout de même assez grande pour offrir tous les avantages de la civilisation moderne. Allez souris, Ernesto !

Le « Ernesto » avait le don de mettre notre Breton en fureur. S'il avait entrepris ce long voyage dont la finalité lui paraissait douteuse vers cette ville de Lourdes où, affirmait-on, se produisaient des miracles, c'était bien pour oublier le Che, cette légende, ce mythe dont l'image fleurissait encore partout, que tous les jeunes et les moins jeunes encensaient.

L'eau miraculeuse ferait-elle des merveilles ? La bonne vierge comprenant son calvaire, ferait-elle disparaître de toutes les mémoires, de tous les livres, de tous les films ou documentaires l'image et le récit de la vie d'Ernesto Che Guevara ? Le portait, toujours le même, disparaîtrait-il de tous les tee-shirts, sacs à dos ou autres supports ? La chanson « Commeadante Che Guevara »serait-elle tout à fait introuvable, même chez les meilleurs disquaires vendant du vintage ?

AEV 1617-04 les arènes du Plumaçon BisErnest ruminait ces sombres pensées tout en pédalant énergiquement. Bernadette, elle, avait potassé les guides touristiques. Elle savait que dans leur prochaine ville étape, il y avait un musée dans une ancienne tour restaurée qui montrait beaucoup d'oeuvres d'un sculpteur local dont elle avait oublié le nom. Elle savait qu'il y avait des arènes et qu'il y avait toujours des corridas à l'occasion des grandes fêtes. Elle ne se souvenait pas s'il y avait des mises à mort. Elle espérait que non, et si c'était le cas elle aimerait bien voir le spectacle au moins une fois.

Elle savait qu'il y faisait bon vivre, qu'il y avait des terrasses de café, le plus souvent inondées de soleil, que chaque maison avait son jardin et dans chaque jardin une piscine. Bien sûr la couleur actuelle du ciel ne présageait pas de tels moments de bronzette. Mais elle savait aussi que la gastronomie du Sud-Ouest était réputée, au moins pourraient-ils peut-être se régaler de magrets de canard. Enfin on verrait bien. La situation géographique de Mont de Marsan est assez enviable, pas très loin de la mer pour quelques escapades d'une journée, et pas non plus très loin des Pyrénées pour de courts séjours de ski.

Elle tentait, par bribes, de vanter tous ces avantages auprès de son compagnon qui demeurait sourd à cela. Il en avait plein le dos, de ce voyage, fin de commentaires !.

Ils furent très vite rendus à destination. C'etait peut-être leur plus courte étape et ils bénéficiaient du retour du soleil. Cela rendrait-il son sourire à notre ami bougon, pas sûr, d'autant qu'ils eurent bien du mal à s'orienter dans cette ville pleine de rues assez étroites et de sens interdits, chiche en panneaux indicateurs. Ils eurent du mal à circuler. Cette petite ville n'avait rien à envier aux grandes question circulation et embouteillages. Peut-être était-ce la mauvaise heure ?

Ernest pestait de plus belle, qu'étaient-ils venus faire dans cette galère ? Ils finirent par aboutir au centre-ville, mais au Sydicat d'Initiative on les informa que les deux campings municipaux étaient complets. Ernest se demandait ce que les gens pouvaient bien venir faire dans cette ville où il n'y avait rien à faire.

AEV 1617-04 Nahuques-1Pleins de ressources, les deux amis plantèrent leur canadienne dans le Parc de Nahuques, joli parc aménagé sur les bords d'une des trois rivières qui confluaient à Mont de Marsan.

Ils mirent des vêtements secs et se mirent en quête d'une laverie automatique possédant un sèche-linge. Ils ne trouvèrent rien au centre-ville. Ils reprirent donc leurs vélos et, après quelques errements, n'étant pas équipés de GPS, arrivèrent quand même dans un centre commercial de bonne taille, où ils purent sécher leur linge et se restaurer rapidement. Oubliés, hélas, les magrets de canard.

Puis il se fit tard, ils rentrèrent bien vite, pressés de retrouver leurs duvets.

26 janvier 2016

La Blonde envolée / Eliane

AEV 1516-17 Image de nuage québécois

A force de pelleter des nuages, ma blonde s'est envolée. Elle a décidé de quitter cette terre où tout lui paraît trop concret, lourd, fastidieux.

Ce soir-là le ciel était beau, d'un bleu sombre et profond. Les nuages étaient denses, épais, presque noirs au-dessous. D'autres, plus légers, s'étiraient langoureusement plus haut dans les nues. C'était tellement tentant, cet infini moutonneux.

Ma blonde a décidé de rejoindre cette liberté promise, cette beauté. Elle s'est accrochée à une grosse grappe de ballons, bleus et blancs, déjà une promesse.

Elle est allée se perdre si loin que je ne sais si je la reverrais jamais.

Alors je pleure, je n'ai pas su la retenir. J'ai l'impression d'être un deux de pique. Si elle a préféré ses rêves à ma compagnie aimante c'est que je suis un médiocre, un incompétent. Je ne peux m'empêcher de penser que si j'avais été plus intelligent, plus instruit, plus drôle, elle serait restée, intéressée par ce que j'aurais eu à lui offrir.

Son amie, sa confidente, apitoyée par mon chagrin, me propose, pour tenter de la rejoindre, de prendre place à ses côtés sur son livre d'images et de se faire tirer par les oiseaux qu'elle a si bien su apprivoiser tout en douceur.

J'hésite. Les oiseaux seront-ils assez forts ? Il leur fallait tout de même prendre en charge deux personnes !

Et puis son livre est pas mal abîmé, il a beaucoup vécu, ses pages ont été maintes fois tournées et contemplées. Elles ont subi le vent, la pluie, la neige, le gel. Des morceaux entiers manquent, il risque de se déliter en route, nous laissant lourdement retomber sur le sol, nous brisant en mille morceaux comme des morceaux de verre.

Elle m'accuse d'être couard, de ne pas mériter celle que j'aime, et qu'il n'est pas étonnant qu'elle soit partie.

- Tu n'es pas un vrai chum !» me crie-t-elle. Mais elle a tort sur ce point, je suis en amour par-dessus la tête.

Mais cette amie a raison sur un autre point : je ne suis pas téméraire. Je n'ose jamais sortir des sentiers battus, j'ai peur de l'aventure, peur de quitter mes repères, même si la perspective est infiniment séduisante, voire vitale.

Elle me crie de me remettre illico sur le piton, sinon elle partira sans moi.

AEV 1516-17 Le_Meilleur_de_Beau_Dommage_Compilation

Ce qu'elle veut, c'est attraper le train de bonheur qui la mènera vers la légèreté, loin de la pesanteur de la vie quotidienne sur terre et de tous ses tracas. Elle veut rejoindre son amie et piquer avec elle une jasette tranquillement assises sur un gros nuage joufflu.

Mais mes pieds sont en plomb et restent fermement collés au sol.

Je choisis la terre ferme plutôt que les nues. Je choisis de ne jamais rejoindre ma blonde dans son paradis. Je choisis ce que je connais déjà, ce qui ne me déstabilise pas

Mon magnifique rêve d'amour se transforme en une sourde nostalgie des moments heureux avec, chevillé au cœur, l'espoir fou qu'un jour elle reviendra.

12 janvier 2016

Bâcler ou ne pas bâcler / Eliane

- Ne pas bâcler les réparations de ma voiture. J'ai beau en faire faire, elle n'est jamais contente et récidive avec une nouvelle panne, à moins que ce soit la même car la dernière n'avait pas été bien diagnostiquée.

- Bâcler les textes envoyés à Jean-Paul, ce que je n'ai pas fait depuis des temps immémoriaux.

- Bâcler les quelques nettoyages profonds que requiert mon appartement.

- Ne pas bâcler les coups de fil à mes enfants, ainsi que les visites régulières que je leur rends.

- Bâcler le tri de mes photos ainsi que leur gravure sur CD.

- Ne pas bâcler la définition d'une date pour un court séjour chez mon amie nantaise. Une date qui convienne à l'une comme à l'autre, les derniers essais effectués dans ce sens n'ayant pas été concluants.

- Ne pas bâcler les sorties culturelles ou autres. Ces derniers temps j'ai un peu trop tendance à ronronner dans ma bulle.

- Ne pas bâcler une visite chez l'ophtalmo histoire d'y voir un peu plus clair, dès que les finances englouties par ma voiture me le permettront.

- Ne pas bâcler la recherche de choses drôles qui me font rire ainsi que de choses émouvantes qui me font pleurer. Les émotions, c'est la vie.

- Ne pas bâcler de passer du temps au bord de l'étang cet été, pour le moral et la vitamine D, ainsi, peut-être de nager dans le dit étang pour le plaisir, le souffle et la musculation.

- Bâcler les inévitables conversations entre voisins dans les allées des jardins ou devant les boites aux lettres.

 

AEV 1516-15 Eliane coiffeur

- Bâcler les séances chez le coiffeur dont je ressors toujours mécontente.

- Bâcler le branchement de la télévision sur le net. Mes essais ne sont jamais concluants et je ne comprends rien à la notice. Me reste à acheter un nouvel adaptateur si je veux continuer à recevoir les chaînes après avril. C'est tout de même affligeant d'être aussi nulle avec les nouvelles technologies.

- Bâcler les inévitables séances de lavage/dépoussiérage de la voiture, cela peut toujours attendre.

- Bâcler les visites chez le médecin pour des renouvellements d'ordonnances. Enfin, là, je n'ai pas le choix !

-Ne pas bâcler de chercher à savoir ce qui ne va pas dans mes équipements audio. Impossible d'écouter un CD ou un disque vinyle dans de bonnes conditions. Heureusement il y a la radio, sans elle plus de musique !

29 septembre 2015

Jeune amour / Eliane

Il l'avait vue à la fête. Il accompagnait ses parents à cette manifestation organisée par les comités de plusieurs villages des alentours.

Bien qu'il fasse dans la région de longues balades à vélo, il ne l'avait jamais rencontrée, mais il ne pouvait pas la manquer, elle était lumineuse.
Il la dévorait des yeux mais n'osait faire plus. Elle lui sourit.

C'était fou comme ce sourire le rendit heureux, alors il s'enhardit et alla lui acheter une glace. Ils échangèrent leurs prénoms :
- Hatsue, dit la jeune fille.
- Yam, répondit le garçon. Ils indiquèrent aussi le nom du village dans lequel ils habitaient.

AEV 1516-04 Eliane 2

Yam se promit d'aller très vite traîner sa bicyclette par là-bas et il la croisa un jour qu'elle revenait d'aller chercher des œufs à la ferme. Il descendit de vélo et ils firent quelques pas ensemble. Alors ils se promirent de se revoir le surlendemain pour aller se promener le long de la rivière.


Le garçon était comme habité, il ne pensait plus qu'à elle, sans cesse son visage était présent à son esprit, il la trouvait si belle. Ses parents s'étonnaient de le voir si souvent rêveur, les yeux dans le vague, dans la lune.

Hatsue, quant à elle, se sentait flattée, le garçon était séduisant, elle ne savait pas encore si elle était amoureuse, il y avait si peu de temps qu'ils se connaissaient.

Mais le temps passait et ils se voyaient beaucoup. A pied ou en vélo ils explorèrent les environs, s'intéressant à mille choses qu'ils se montraient l'un à l'autre, s'extasiant aux mêmes moments, aux mêmes endroits. Ils se mirent à rire ensemble de plus en plus souvent, se prirent timidement la main.

C'était délicieux, ils ne voulaient pas que cela s'arrête.

Yam lui écrivit des poèmes candides et innocents comme il l'était, un peu mièvres, comme :

Souhait d'amour
Pour toujours
Visage aimé
D'une nuit étoilée
Je te veux mienne
Ma main dans la tienne.
Souhait d'amour
Pour toujours

 

La lecture de ces quelques vers la laissait toujours attendrie et elle conservait précieusement ces poésies dans un tiroir de la commode de sa chambre. Il lui arrivait souvent de les relire.

Un après-midi, après une course poursuite en vélo, ils s'arrêtèrent essouflés et en sueur, posèrent leurs bicyclettes contre le tronc d'un arbre et s'assirent sous son ombre bienfaisante.

AEV 1516-04 Eliane 3amour chine

Ils s'allongèrent, trop fatigués pour parler, elle ferma les yeux. Le jeune homme en profita pour la contempler tout à sa guise, légèrement penché vers elle, et vint délicatement poser ses lèvres sur les siennes. Elle ne le repoussa pas mais ils en restèrent là. Quand ils se relevèrent pour rentrer ils étaient sur un petit nuage.

Plus tard il l'invita à goûter chez lui et la maman comprit enfin pourquoi son garçon avait l'air si épanoui ces derniers temps. Elle trouva la jeune fille charmante, jolie, bien élevée.

Un autre jour, au cours de l'une de leurs balades, ils virent qu'un paysan avait allumé un feu dans son champ pour brûler quelques mauvaises herbes et branches mortes. Cela donna une idée à Hatsue, elle allait mettre son soupirant à l'épreuve, lui lancer un défi. Elle courut dans le champ et vint se placer derrière le feu.

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- Hatsue ! » cria le garçon.
- Saute par dessus le feu ! Si tu sautes par dessus..., dit la jeune fille d'une voix claire et forte. Le garçon n'hésita pas. Le corps nu que la flamme illuminait, il priit son élan sur la pointe des pieds et bondit à travers le feu. En un clin d'oeil il se trouva en face de la fille. Sa poitrine toucha légèrement les seins de Hatsue.

Ils furent tous deux comme électrisés. Elle n'avait même pas eu le temps de formuler quel était l'enjeu du défi. Elle le regarda avec des yeux neufs, il était courageux, il était son héros, elle en était sûre, elle était amoureuse.

L'année scolaire s'était terminé, Hatsue qui était très bonne élève, devait partir pour l'Université, dans la grande ville voisine.

Le jour du départ il l'accompagna à la gare. Tous deux étaient en pleurs et se firent des adieux déchirants : ils allaient tellement se manquer. Ils se promirent de s'écrire chaque jour en attendant les prochaines vacances.

Au début les missives furent très régulières, pleines de mots d'amour, pleines de manque.

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Mais Hatsue se fit beaucoup d'amis à l'Université. Yam quant à lui débuta un apprentissage dans lequel il s'investit beaucoup. Les lettres se firent de plus en plus rares, ils avaient moins de temps pour écrire et même pour penser l'un à l'autre.

Hatsue se lia avec un étudiant. Yam, à un bal de village, rencontra une jeune fille toute simple qui titilla ses sens.

Quand plus tard ils se retrouvèrent, ils furent stupéfaits de ne plus éprouver l'un pour l'autre qu'une chaude tendresse amicale. Le temps des balades à vélo ou le long de la rivière était le très beau souvenir d'un premier amour.

15 janvier 2013

Interview de Berthoise / par Eliane (Séance du 15 janvier 2013)

-Bonsoir Berthoise. Je vous remercie de nous accueillir dans votre belle demeure. Pour nos téléspectateurs, je rappelle que vous êtes l'auteur de nombreux romans, essais, études psychologiques et autres. Vos écrits sont éclectiques. Vos multiples centres d'intérêt vous ont fait partir dans des directions très variées.

Berthoise acquiesce en souriant.

- Oui, le vilain défaut de la curiosité me tenaille constamment.
- Un vilain défaut qui devient, en ce qui vous concerne, une grande qualité. Je cite pour mémoire et dans le désordre : « Vous chantez ? », « Vitalité », « Douceur », « Vanité », « Amour maternel », pour ce qui concerne le domaine psychologique. Vous voyagez aussi, pas très loin, vous restez en France.
- Oui, il y a tant de belles choses à voir et à connaître à l'intérieur de nos frontières. Tant de curiosités à découvrir, cela me comble.

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- Vous avez écrit : « Choses lues à Rouen », « Oh, Chantilly !», « La maison de Concarneau », où j'imagine que vous avez passé des vacances, et je me souviens d'un très beau passage sur Quimper et sa cathédrale que je vais citer pour nos téléspectateurs : « Je regarde souvent par terre, là où je mets mes pieds. Du reste, pas plus tard que lundi, j'ai trouvé dans un caniveau un pendentif en argent avec un œil de Sainte Lucie. Il paraît que ça porte bonheur. Je veux y voir le présage d'heures douces.
- Donc, je regarde par terre. Même quand je vais dans une église. Dans la cathédrale Saint Corentin de Quimper, les chapelles, le long du déambulatoire, ont chacune un pavé différent. Jolis pavés. »
- Ces textes sont des merveilles qui donnent envie de se rendre dans ces villes dont vous parlez. Avez-vous eu des coups de cœur pour d'autres cités ? Des trésors à nous faire découvrir ?
- J'ai un amoncellement de notes qu'il me faut mettre en forme.

Elle rit, malicieuse.

- Mais en ce moment je me sens paresseuse. Vous avez sans doute lu, dans une des pages de mon cahier de bord, le passage qui concerne : « Billet chiffon, comme billet tristoune. ». La volonté de perfection qu'exigeaient mes parents, a été, toute ma vie, le moteur qui me faisait avancer.
- Ce moteur qui vous a permis de fournir un gigantesque travail. Avez-vous le sentiment, aujourd'hui d'être parvenue à contenter vos parents ?
- Non, jamais. Comme je l'ai écrit, leurs exigences m'ont souvent paralysée alors je travaillais, j'écrivais pour secouer cette paralysie. Et maintenant que mes forces déclinent, je n'ai pas encore l'impression d'avoir atteint mon but. Alors, il me faut faire encore davantage d'efforts.

Elle rit encore, malicieuse.

- Je n'en sortirai jamais. Il n'y a que la grande faucheuse qui pourra m'arrêter. Pour le moment je n'ai renoncé qu'aux voyages à l'étranger. Car vous aviez tort tout à l'heure, j'ai parfois franchi les frontières.
- C'est vrai, excusez-moi, vous avez écrit : « Comme à Ostende », « La cantinière russe ». Mais il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'en Russie, encore moins en temps de guerre, pour écrire sur une cantinière russe.

Elle rit de nouveau.

- Exact, mais je suis vraiment allée en Russie. Cette cantinière était la grand-mère d'une femme rencontrée là-bas.
- De même, vous avez parlé de la «Musique indienne ». Un séjour en Inde ?
- Oui, mon premier fiancé était indien. J'ai eu l'occasion de séjourner longuement dans son pays.
- Vous avez aussi, et c'est votre premier livre, un ouvrage volumineux, écrit sur votre enfance. C'est un peu le « Claudine à l'école de Colette ?
- C'est moins romancé, plus détaillé, plus touffu. Avec mes parents nous habitions une toute petite ville : Trifouilly les Oies, au cœur de la France. Une région où, en hiver, il fait un froid de canard. Ce que je relate dans le chapitre « De la nécessité d'une petite laine ».

Elle rit.

- C'était vraiment très dur, mon père était maréchal ferrant, ma mère se contentait d'être une fée du logis. Mais c'était une mère attentive, je parle d'elle dans « Amour maternel ». Quant à moi, j'allais à l'école où j'avais pour consigne d'être parfaite. J'ai longtemps gardé des relations avec mon institutrice, ce qui a inspiré le chapitre, en partie fictif, « Aléas de la vie professionnelle d'une remplaçante en milieu rural ».
- Votre grand-mère habitait la même ville. Vous alliez souvent lui rendre visite. Elle avait tout un répertoire d'expressions savoureuses dont vous gardez un souvenir attendri.

Elle rit à nouveau.

 

Berthoise 2

- Ah, oui ! Par exemple quand il y avait une quantité importante d'une quelconque chose, elle disait : « autant qu'un curé pourrait en bénir ». Une fois, d'un lustre volumineux dans une maison voisine, elle a dit qu'il pesait « le poids d'un âne mort pendu au plafond ». C'était vraiment savoureux. Je me souviens aussi de ce jour où, invitée à prendre le café chez cette même voisine, et le trouvant trop pâle, elle a répondu « Non, pas ce genre-là, merci, prière d'un serré. ». J'étouffais un rire. En faisant ses course elle rencontrait souvent une vieille dame ronchonne. Elle disait d'elle « Celle-là, elle n'est heureuse que quand elle a un souci. Sinon, elle est vacante ». Cela ne s'invente pas, il n'y avait qu'elle pour trouver des expressions pareilles.
- C'était une délicieuse grand-mère.
- Elle me faisait souvent rire mais c'était aussi un amour. Lorsque j'avais un chagrin d'amour, qu'un garçon m'avait quittée, elle me consolait avec cette phrase ; « Tu fout un coup de pied dans une poubelle, il en sort dix, des gars. »
- C'est ce que vous avez fait, shooté dans une poubelle ?

Elle rit :

- Non, j'avais besoin d'estimer mes amoureux.
- Pour rester dans ce domaine de l'amour, je voudrais citer ce passage écrit sur la culotte, et le lire si vous le permettez, si ce n'est pas trop osé.
- Non, allez-y.
- Je cite : « Parlons dessous. Parlons sens dessus dessous, parlons de ce qui éveille les sens par en dessous. Culotte, oui culotte, je n'aime pas le mot slip. Le mot slip est unisexe, étranger, il claque comme un élastique trop tendu. Comme le string. Autre bizarrerie. La culotte glisse, enveloppe, donne de la rotondité au cul. Si je n'aime le slip, si je n'aime pas le string, j'aime bien le cul. Le mot cul. Il a un petit côté vulgaire qui sied aux choses du sexe. La culotte donc. Blanche. Blanche parce-que propre. En coton. On peut aimer le cul, le confort et le propre. Une culotte en coton blanc qui monte sur le ventre mais dévoile la cuisse. Le haut de la cuisse, là où la peau est douce. Où la jambe devient cul. Où quand on ôte la culotte, le cul et la cuisse se confondent. La culotte vient cacher ces choses-là pour laisser la place à l'attente et à l'émerveillement. »

- Voilà ! Cette note érotique clôt notre entretien. Il me reste à vous remercier d'avoir répondu à mes questions avec autant de gentillesse et de naturel.

N.B. Les photos sont empruntées à Berthoise

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