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L'Atelier d'écriture de Villejean
19 octobre 2021

Château- Bonheur / Dominique H.

Château-Bonheur ou Le Voyage imaginaire de Léonie et Gaspard
dans un village normand près de Granville.

Sur une carte IGN au 1/25000ème le pays des enfants ressemble au pays des grands : la mer, les rivières et les mares sont figurées en bleu, les forêts en vert anis, les grandes routes en rouge, les routes secondaires en jaune, les chemins en noir et les maisons sont grises. Surtout sont inscrits plein de lieux-dits aux noms bizarres.

Mais les enfants ont la chance de pouvoir utiliser la carte IGN comme ça leur chante, leur GPS mental étant des plus fantaisistes. Nulle préoccupation du chemin le plus court, de la qualité du macadam, pas plus que des limitations de vitesse. C'est par magie qu'ils passent d'un lieu à l'autre.

2122-07 Dominique - chateau-bonheur-2

Gaspard et Léonie habitent depuis leur naissance dans le même village au joli nom de « Château Bonheur ». Il n'y a que dix maisons à Château-Bonheur sur la carte IGN. Bien sûr ce n'est pas la grande ville, pas de cinéma, de médiathèque ni de paradis de la consommation. Et pourtant Gaspard et Léonie ne s'y ennuient pas. Ils sont complices depuis la maternelle et rigolent bien dans le car scolaire qui les trimballe matin et soir, côte à côte ; parfois même ils se donnent discrètement la main. Ils ont eu sept ans au printemps, Léonie en avril et Gaspard en mai, et viennent de terminer leur CP. « Sept ans, l'âge de raison » ont dit les parents et les grands-parents. Alors, comme les grands, ils font des projets de vacances à deux.

Ayant envie de voir du pays, ils ont décidé de partir en randonnée à la journée, sac au dos. Pour avoir observé leurs parents, ils savent que ce genre d'expédition se prépare. Gaspard a déjà chipé la carte IGN du coin que son père semble avoir oubliée dans sa sacoche à vélo. Ils ont aussi vidé leur tirelire et mis leurs économies en commun : vingt deux euros cinquante, ils vont pouvoir aller loin. Dans leur sac à dos du pain du fromage, chacun leur gourde, un paquet de mouchoirs et chacun un pansement au cas où. C'est déjà très drôle de faire ces préparatifs en cachette des parents, leur projet étant « secret- défense » a dit Gaspard. Ils pressentent que leurs parents ne seraient pas d'accord, qu'ils diraient que c'est dangereux, qu'ils sont trop jeunes et patati et patata.

Les grands rajouteraient aussi « Vous n'êtes pas bien ici ? ». C'est vrai que dans la campagne de Château-Bonheur la vie est belle. Pour leurs anniversaires, leurs parents leur ont fait une super surprise. Laura, la maman de Léonie, championne d'escalade, a amarré solidement avec des cordes de rappel et des mousquetons une échelle de meunier au tronc du vieux chêne noueux, puis Emmanuel, le papa de Léonie, a calé et cloué une palette dans la fourche formée par les quatre grosses branches du chêne. Manon, la maman de Gaspard a posé un tapis encore joli sur ce plancher.

2122-07 Dominique - cabane

Ensuite, Léonie et Gaspard ont chiné leurs grands parents pour meubler et décorer leur cabane à leur goût : Daniel, le papy de Léonie, un as de la machine à coudre, leur a fabriqué quatre coussins, « pour le confort » a-t-il dit en les leur offrant. Christiane, la mamie de Léonie, leur a donné une cuvette qu'ils ont renversée pour en faire une table basse, deux grands verres en carton, et Isabelle, la mamie de Gaspard, une ancienne boîte à pain en guise de bibliothèque, plus une jolie boîte métallique à couvercle pour la réserve de biscuits et un parapluie au cas où. Laura, pour la sécurité, a disposé trois matelas usagés au pied du chêne, au cas où l'un deux tomberait. Gaspard a accroché avec des pinces à linge à des petites branches deux carrés de tissu africain pour faire tenture murale. Léonie, ravie, pense « Quel bonheur extraordinaire, à sept ans, d'avoir un vrai palais dans les arbres avec mon amoureux »!

Maintenant qu'ils savent lire, rien de plus facile que découvrir les noms de lieux-dits, et quel plaisir de piquer un fou rire en déchiffrant des appellations bizarres comme «  le chat troussé », « le loup pendu », ou encore «  Bidon » qui met Gaspard dans tous ses états.

- Ah ! Ce que je me bidonne » pouffe-t-il en se tapant sur le ventre.

Plus sérieusement, ce matin c'est à Léonie de fixer la destination. Pour cela, elle a mis au point tout un cérémonial: elle étale soigneusement la carte sur le tapis, elle se met un cache d'avion sur les yeux, tourne trois fois en l'air son crayon magique clignotant puis, comme un avion de guerre, le pique sur un point de la carte en faisant un bruit de moteur. Si la pointe du crayon tombe en plein champ, elle a le droit de recommencer. Le point de départ de la randonnée est toujours Château-Bonheur. Tous les moyens de transport sont permis et aujourd'hui c'est Gaspard qui organise le trajet.

Ce matin, le crayon magique a piqué au Nord, sur «  La Mare es Champs ».

- Nous devons prendre nos maillots de bain et notre serviette » dit aussitôt Léonie.

- Tu crois ? dit Gaspard, il n'y a pas de rond bleu sur la carte à cet endroit, et ça va alourdir notre sac à dos.

- Tu fais comme tu veux, Gaspard, je ne veux pas te commander, mais moi je les prends, ce n'est pas si lourd ! Ceci dit, que proposes-tu comme stratégie, Gaspard ? C'est un peu loin et tu sais que si nous ne sommes pas rentrés pour le dîner, nos parents seront inquiets et appelleront la police ? 

- C'est très simple, dit Gaspard, nous allons partir par les airs. Nous allégeons au maximum nos sacs, nous mettons nos maillots sur nous (ne te tracasse pas je me tournerai pendant que tu te changeras). Nous allons grimper prudemment en haut du chêne en nous tenant aux grosses branches. J'avais prévu ce cas de figure et j'ai accroché à une branche une réserve de quarante ballons gonflables. Nous allons en gonfler vingt chacun que nous accrocherons à notre ceinture (j'en ai prévu une pour toi). Nous gonflerons aussi notre bouée au cas où nous tomberions dans la mer ».

- Ca marche ! Et surtout n'oublie pas de prendre la carte, Gaspard ! 

Gaspard et Léonie grimpent sur les grosses branches, se partagent les ballons et commencent à les gonfler. Vingt ballons à gonfler c'est long mais à sept ans on a la vie devant soi et puis il faut prendre son temps sinon la tête se met à tourner et ils sont en haut de l'arbre et quand Gaspard regarde les matelas tout en bas il a le vertige. Léonie a déjà gonflé quatre ballons ; Gaspard, lui, s'est arrêté au milieu du troisième. Léonie, voyant Gaspard tout pâle dit « Stop ! Je redescends à la carte et on change de destination ! »

2122-07 Dominique - mulotElle reprend son crayon magique, répète son cérémonial et cette fois, le crayon magique pique sur «  Les Mulots ». Gaspard qui vient de poser les pieds sur le tapis et a repris des couleurs, s'écrie «

- Ah Non ! Surtout pas ! J'ai peur des souris ! »

- C'est vrai ? » demande Léonie étonnée.

Elle pensait que Gaspard était un gaillard. Ne voulant pas l'humilier, elle ferme les yeux, reprend son crayon viseur qui, cette fois pique sur un lieu dit « Bréhat ».

- Je connais, dit Gaspard, c'est une île, il faut y aller en bateau. Mais je crois que c'est un peu loin et une fois que j'étais en voilier avec mon papa, il y avait beaucoup de vent et des grosses vagues, j'ai vraiment eu très peur ».

Léonie ne dit rien mais pense :« Décidément, Gaspard a peur des mulots, de la tempête, il manque de souffle pour les ballons, il a le vertige… Est-ce que je pourrai compter sur lui dans la vie? En même temps, il est gentil, prévenant, prévoyant et je l'aime ! Bon ! Alors j'apprendrai à cohabiter avec les souris, j'apprendrai à naviguer et je développerai mon souffle. »

2122-07 Dominique - Montchaton- On continue » dit Léonie. Abracadabra, crayon magique, dis-moi ! Montchaton ! ».

En entendant « Mon chaton », Gaspard, tout ému, va poser un baiser sur la joue de Léonie. Elle pouffe de rire en lui disant :
- Ce n'est pas un mot doux, Gaspard, c'est le nom du lieu et ça s'écrit en un seul mot avec un t entre mon et chaton ! 

Mais Léonie voit que Gaspard est au bord des larmes. Alors elle l'enlace tendrement, lui fait un long bisou et dit, enjouée :
- J'ai une faim de loup ! Pas toi ? On va dire que la randonnée d'aujourd'hui est terminée alors je t'invite à pique-niquer avec moi sur les matelas ! 

- Wah ! » dit Gaspard en sautant de joie.

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5 octobre 2021

Psychanalyse d’Arielle Dombasle / Dominique H.

- Voilà, je viens vous consulter pour un motif qui va vous étonner mais aussi parce que vous avez la réputation d'être silencieux... et comme moi, j'aime bien parler et que j'adore qu'on m'écoute, nous devrions bien nous entendre.

Néanmoins, si le transfert ne se fait pas - c'est bien ainsi que vous vous exprimez dans votre jargon, n'est-ce-pas ? - si le transfert ne se faisait pas, disais-je, nous nous quitterions cependant bons amis, puisque je vous aurai payé. Nous serons donc quittes quoi qu'il en soit.

2122-05 Dominique - Arielle_Dombasle_By_Era

J'en arrive à la raison qui m'amène. Avant de vous la dire, je tiens à vous préciser que j'ai reçu une éducation religieuse qui m'a formatée quelque peu. D'ailleurs, je suis toujours croyante, à ma façon.

Je me suis déjà allongée précédemment chez deux autres de vos confrères, deux hommes, car je préfère les hommes. La première cure a été très efficace puisqu'elle m'a libérée de ce poison qu'est la culpabilité si bien que maintenant je ne fais plus de péchés, je suis en état de grâce perpétuel. La deuxième cure a échoué et c'est cet échec qui m'amène à me confier à vous. Vous me permettrez de taire le nom de votre confrère afin d' éviter de parasiter le travail que nous allons faire ensemble.

Avant de commencer, j'ai une demande particulière à vous formuler. Vous m'avez invitée à m'allonger alors que vous êtes assis derrière le divan. Je ne vous vois donc pas et c'est bien ainsi, je me sens plus libre de m'exprimer. Alors, je voudrais que vous fermiez les yeux pour que vous ne soyez pas perturbé par mon aspect extérieur, que vous puissiez vous consacrer à ma seule psyché. Je sais l'effet que mon physique provoque chez l'autre, en particulier chez les hommes, et je ne voudrais pas que votre attention flottante vous amène à dériver vers je ne sais quel fantasme. Je veux seulement que vous m'écoutiez. Certes ma diction, empreinte paraît-il d'une certaine préciosité, peut aussi troubler mon interlocuteur, j'en suis consciente, mais il faut bien que j'existe, je lutte déjà tant pour que ma silhouette s'impose !

Après ces préalables nécessaires, j'en arrive à mon motif de consultation que je pourrais résumer en une phrase courte : « je suis nulle pour me vendre ! ». Pourquoi toussez-vous ?

La religion me poursuit. Mon cerveau, ou plutôt mon âme, est submergée d'injonctions contradictoires. Ainsi, durant ma petite enfance, ma mère m'enjoignait de faire minutieusement ma toilette avant de prier. Elle m'a inculqué aussi que la coquetterie était une forme de politesse envers son prochain, que c'était un devoir d'être agréable à regarder.

Voyez où cette injonction maternelle au nom de Dieu m'a conduite et je vous l’avoue avec autant d'amertume et de colère que de honte, j'en suis arrivée aux injections de collagène dans la lèvre supérieure. Quand j'étais sur le fauteuil du chirurgien plasticien qui me susurrait que j'allais retrouver la moue pulpeuse de ma jeunesse, dans mon âme, la flamme vacillante d'une petite bougie s'allumait et la voix de mon surmoi me répétait : «  Les apparences extérieures ne comptent pas pour Dieu, la valeur suprême est la sincérité ! ». Et je suis d'accord, j'adore la sincérité ! J'adore me raconter sur les plateaux de télévision ! Alors pourquoi ai-je laissé ce chirurgien me trafiquer et finalement me défigurer ? Je suis très malheureuse, j'ai perdu mon authenticité, je suis vraiment nulle pour me vendre ! 

- Je vous ai écoutée, Madame, en fermant les yeux. Je vous ai entendue et nous allons arrêter la séance sur cette phrase « je suis nulle pour me vendre». Pour votre apaisement immédiat, je vous propose de vous montrer douée pour me payer : ce sera 300 euros. » 

5 octobre 2021

Psychanalyse de Fabrice Luchini / Dominique H.

Chez le même psychanalyste parisien.

- Eh bien, dites donc, il semble que la psychanalyse soit une activité des plus lucratives ! Mais je juge peut-être un peu trop vite. Ce pourrait être aussi la fortune personnelle de votre épouse qui vous autorise ce luxe ? Excusez-moi, je m'égare. Mais dans ma première vie j'étais garçon coiffeur, mes fins de mois étaient difficiles. Alors comprenez que pour moi le luxe c'est ÉNORME ! ÉNORME, entendez-le bien dans son sens premier, étymologique «  en dehors des normes ». Est-ce bien normal de pouvoir vivre dans un tel luxe ? Toujours est-il que c'est ÉNORME d'en-faire une telle ostentation !

Je m'égare, je ne vous ai pas encore fait part de mon motif de consultation. Mais avec votre placidité face à mes provocations ÉNORMES, vous m'inspirez confiance. J'y viens, je vais vous le dire, mais je vous préviens, c'est ÉNORME !

Alors voilà, dans ma jeunesse j'ai été souffre-douleur. Le milieu de la coiffure n'est pas tendre vous savez, mais non, vous ne le savez pas. Et pourtant je ne suis pas homosexuel. Je ne vous apprends rien en vous disant que les hommes gays sont moqués et maltraités dans les salons de coiffure.

Moi, c'était autre chose. Ce qui agaçait mes collègues et les clientes c'était ma diction : je l'ouvre trop, je n'ai pas de cheveux sur la langue, bref j' ar-ti-cu-le ! C'est ainsi depuis que je suis petit, depuis les récitations de l'école primaire, et c'est devenu ÉNORME, constitutif de ma personne. Dans le vestiaire après la journée de travail au salon de coiffure, je me lâchais et en me rhabillant, je déclamais avec application «  La cigale et la fourmi », «  Le lion et le rat », en détachant bien les mots jusqu'à l'inévitable «  boucle-la ou je te rase ! ».

Cette élocution particulière m'échappe, je ne la maîtrise pas. Et surtout elle devient envahissante quand quelque chose m'irrite. Je me souviens que la situation typiquement insupportable pour moi quand je travaillais dans un salon était d'avoir à coiffer une bourgeoise couverte de bijoux, parfumée de Shalimar, étalant éhontément ses relations, ses voyages... J'essayais de me contrôler en me taisant, puis ma tension interne montait, je me retenais pour ne pas lui raser à la tondeuse une allée propre et nette au milieu du crane. Je parvenais à me calmer en déclamant intérieurement la fable de la Fontaine qui me soulageait le plus en la circonstance« Le savetier et le financier ». Je retrouvais alors mon calme, je pouvais de nouveau sourire à la cliente, abonder dans son sens et même de lui faire d'ÉNORMES compliments. Evidemment je recevais d'ÉNORMES pourboires, ce qui déclenchait une ÉNORME jalousie chez mes collègues.


Un jour, face à une cliente particulièrement abjecte, je perdis contrôle et je saisis la tondeuse. Heureusement je me ravisai in extremis. Et, la tondeuse encore en l'air dans ma main droite, voici que je m'entendis déclamer haut et fort «  Un savetier chantait du matin jusqu'au soir »… Passées les deux secondes de sidération dans le salon, un garçon coiffeur bien charpenté m'empoigna le bras doucement et fermement et m'entraîna rapidement dans la réserve alors que je continuais « c'était merveilles de le voir, merveilles de l'ouïr». Le patron arriva à son tour, me bâillonna, puis me ligota sur une chaise, puis m'enferma à double tour dans le cagibi jusqu'au soir. Évidemment j'ai uriné sur la chaise et j'ai été viré. Ce fut la fin de ma vie de garçon coiffeur.

Je n'irai pas plus loin aujourd'hui. Après le récit douloureux, vous comprendrez peut-être mieux pourquoi je bombe le torse, pourquoi je me pavane comme un paon, pourquoi mon sourire est excessif, pourquoi je répète sans cesse « ÉNORME ». C'est mon humiliation qui a été ÉNORME. Ma carrière de comédien est une vengeance, une vengeance ÉNORME, mais j'aimerais retrouver tout simplement un sourire tranquille, à n'importe quel prix. 

- Alors, Monsieur, ce sera 300 euros. 

- Mais c'est ÉNORME ! 
 

16 juin 2021

Aujourd'hui vous allez gratter sur la mandoline / Dominique H.

AEV 2021-35 Dominique mandoline

la consigne me surprend
et m'énerve un moment
mais j'aime cet uppercut
qui me percute
le knock -out
me sauve du burn-out
trouver une réponse
à une consigne absconse
est une merveille
qui me ré-veille
un challenge
proposé par un ange
la nouvelle virginité
libère la créativité
repartir à zéro
avec les mots
le temps d'un rodéo
ou d'un tango
jubilation
de l'improvisation
la première phrase
fait table rase
le lion est dans l'arène
la fantaisie se fait reine
le barrage craque
le flot des mots débarque
la pensée se libère
la libre association opère
le voyage commence
nouvelle expérience

AEV 2021-35 Dominique mandoline 2 jacob-norden-tableau-william-feronje découvre des rivages
surgissent des paysages
la coque de noix flotte
tangue et ballotte

j'ai le cortex
en plein vortex
de la mécanique des flux
coulent des idées farfelues
laisser venir
un vrai plaisir
sensation de liberté
d'agilité et de fluidité
la souplesse retrouvée de l'enfance
et de son innocence.

25 décembre 2020

Histoire d'en finir avec l'année 2020 / Dominique H.

NB : Cette histoire se situe exactement dans cent ans , fin 2120.

Notre planète bleue a survécu
et avec elle quelques tribus.
Il faut dire que notre chère Terre Mère
pour survivre a dû virer au vert.

Alors, elle se pause ce soir
pour raconter aux survivants une histoire.
Comme autrefois
elle commence par, « Il était une fois...".
Ecoutez mes enfants, ce conte d'antan,
il y a bien longtemps, tout juste cent ans...

C'était en 2020, une année particulière
qui a mis la tête à l'envers
à tous les habitants de la Terre.
Non, ce n'était pas une guerre..
Seulement un nouvel individu est apparu,
il a mis un énorme chahut,
il a franchi les barrières,
il a traversé les frontières.
Un micro-organisme microscopique
juste minuscule mais hyper médiatique.
Eh oui ! tout ça
pour ça !

 

Penchés sur son berceau , les experts
qui avaient remplacé les sorcières,
ont disserté, discuté.
Ils se sont mêmes disputés
pour déterminer son sexe
tant l'affaire semblait complexe.
Les érudits patriarcaux ont dit
que c'était de toute évidence une fille
et l'ont appelée « lacovide »
mais ça sonnait un peu trop morbide.
Alors le langage populaire
se saisissant de l'affaire
a décrété, lui, que c'était un gars
et l'a dénommé Corona.

C'était l'époque, espérons terminée,
où l'homme, par son hubris borné,
semblait encore ignorer
que tout dans la nature était relié.
Les canicules se sont succédées
des milliers de villes ont été inondées.
En cent ans de douloureuses expériences
l'homme dut revoir sa prétendue science
et retrouver avec modestie
quelques notions d'écologie.

Alors durant cette étrange année,
2020, les humains vécurent confinés,
la mode se mit au cache-nez,
il fallait même un papier pour se promener !
Pour s'occuper, certains cuisinèrent ,
ou encore jardinèrent
mais d'autres déprimèrent ;
Les cinémas fermèrent
et même les bistrots chômèrent !
Bien sûr certains dérogèrent
et trinquèrent dans les chaumières !
Bref, pour beaucoup ce fut l'enfer !

Les soignants furent surmenés,
les libertés malmenées
la culture ratatinée
Heureusement les amoureux ont continué
à se câliner !
Enfin c'est dans l'intimité qu'ils durent
réveillonner.Dur, dur !

Heureusement en 2021, avec la nouvelle année,
beaucoup se sont fait vacciner,
beaucoup de bébés sont nés
et la vie a continué !

AEV 2021-12bis Dominique H - Nouveau-né

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25 décembre 2020

Quatre heures du matin ! / Dominique H.

AEV 2021-12bis Dominique H - Lune

Quatre heures du matin !

C'est l'heure précise
où l'oeil de la lune me vise.
En noctambule incorrigible
elle me prend pour cible,
elle vient me dévergonder
et m'agiter les idées.

Son rayon stéréotaxique
me déclenche un orage synaptique,
elle me foudroie le cortex
et mes neurones dansent en vortex.
Dans un crépitement de flash
mes idées jouent au squash.

Des zigzags bleus éclairent
des pensées éphémères
qui à peine jaillies
se sont déjà évanouies,
fugaces étoiles filantes,
rapides lueurs traçantes.

Quelles empreintes minuscules
garderont mes cellules
de ce feu d'artifices mental
qui m'apparut génial ?
Au réveil, je ne me souviendrai pas
de ces idées et de leurs ébats.

17 novembre 2020

Gwenola et l'octopus / Dominique H.

Ce texte constitue un des chapitres du roman entrepris la semaine dernière, "La  Mutation turquoise".

Gwenola M. est née en 1990, bien avant la mutation turquoise mais, avant de devenir Docteur en biologie marine, elle a été une enfant particulière. Elle s'est passionnée toute petite pour la mer. Depuis ses deux ans, « Tadic », son grand-père, Fanch de son prénom et facteur en retraite de son état, l'emmenait avec lui à chaque grande marée à la pointe de Mousterlin.

AEV 2021-08 Dominique mousterlin

Tadic était plus que son ancêtre ; Gwenola et lui étaient aussi amis comme cochons. Pendant qu'il fouillait les rochers avec son croc à la recherche de homards, de tourteaux et d’étrilles qui sur la côte sud de la Bretagne avaient tourné chèvres, Gwenola, elle, passait les deux heures dans les mares à observer tous azimuts : les crabes verts qui marchaient de travers, les tentacules verts et violets des anémones de mer qu'il ne fallait pas toucher, lui avait dit Tadic, parce qu'ils piquaient comme les orties. Les crevettes qui venaient lui chatouiller les orteils la faisaient rire comme une baleine. Elle aimait organiser aussi des courses de bernard l’ermite en les mettant à la queue leu leu et elle encourageait le plus rapide. De temps en temps Tadic relevait la tête et, ne la voyant plus, lançait :

- Où es-tu, ma crevette ? Je ne te vois plus, tu as encore marché en crabe ! ».

- C'est toi, Tadic, qui marches en crabe »

- D'accord, mais là j'avais une bonne raison parce qu’il y avait anguille sous roche, regarde : un congre ! ».

***

Un jour ensoleillé de septembre 1994, par coefficient 109, la marée commençait à monter, le panier de crabes était plein : des étrilles et un homard, il était temps de rentrer. Sur le chemin de retour, Tadic ne pouvait s’empêcher de taquiner encore quelques derniers rochers couverts d'algues.

- Tiens, encore un !» dit-il en sentant son croc qui résistait. Ça doit être un gros tourteau.

Puis, tout athée qu'il était, il s'écria :

- Santez Anna Béniguet ! Viens voir Gwénola ! Viens voir l'oiseau rare, le mouton à cinq pattes ! ».

L'enfant accourut vite.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? C'est pas un mouton, c'est pas un oiseau ! C’est quoi ? C'est un
monstre ? »

AEV 2021-08 Dominique O-rubescens

Puis après un temps d'observation et de réflexion :

- On dirait un paquet de congres amoureux ? Ou alors un serpent de mer avec un gros ventre ou c'est peut-être une grosse limace qui a avalé des couleuvres ? ».

- Rien de tout ça, ma belle ! C'est un poulpe ou, si tu préfères appeler un chat un chat, c'est un octopus ! Je n'en crois pas mes yeux ! J'en voyais quand j'étais enfant mais ils avaient disparu des côtes bretonnes depuis l'hiver rigoureux de 62-63, quand la mer avait gelé et que Mémé est morte ! ».

Gwenola regarde attentivement la drôle de bête.

- Je comprends pas, Tadic, tu as dis « otobus » mais je ne vois pas les roues? ».

Tadic se mit à rire comme une baleine.

- Oc-to-pus, Gwenola, pas otobus ! Pas de roues mais des ten-ta-cules, huit tentacules ! ».

Gwenola, très concentrée, ne dit rien, elle se répéta les mots dans la tête : « oc-to-pus, ten-ta-cule », puis de plus en plus vite « octopus, tentacule ». Mais voilà que la bête se mit à bouger un peu, à ramper, à se déformer, et surtout elle passa du marron au gris puis au bleu. « C'est vraiment un monstre » se dit Gwenola. Alors Tadic lui expliqua :

- Il change de couleur parce qu'il a peur ! Je vais le laisser retrouver sa liberté, la mer remonte vite et il pourra continuer à vivre sa vie et replonger, nager dans les profondeurs. ».

Puis ils firent étape chez Tadic à Fouesnant pour un goûter réconfortant de pain-beurre-chocolat, le temps pour le homard de quitter son habit bleu et pour les étrilles de virer du brun au rouge-orangé. L'opération mystérieuse du changement de couleur se passait dans le pen-ty mais Gwenola n'était pas autorisée à approcher l'énorme lessiveuse en zinc posée par terre sur un gros brûleur à gaz.

« C'est ma caverne de sorcier » disait alors Tadic en prenant sa grosse voix. Gwenola obéissait, surtout qu'elle se demandait vraiment si son grand-père n'était pas un peu sorcier puisqu'il pouvait changer la couleur des crabes et des homards.

AEV 2021-08 Dominique renault 5

Dans la Renault 5 turquoise, sur la route du retour, Gwenola se mit à chanter :

- Octopus-pus-pus, puce de mer ! Puce de mer-mer-mer, mère Michèle ! Mère Michèle-chèl-chèl, ch'est la vie ! Ch'est la vie-vie-vie, vis ta vie ! Vis ta vie- vista vie-vie vie, vis ta vie-vis ta vie-.vista vie-vie-vie, vis ta vie-vie-vie !»

Et Tadic renchérit :

- Vis ta vie, tu l'as dit, ma petite fille ! Ah ! Qu'est-ce qu'on rit le mercredi ! Nnous voici arrivés !».

Tadic gara la voiture devant le salon de coiffure. Ils y retrouvaient Marie, la fille de Tadic et la maman de Gwenola, Hervé, son papa, et Corentin, son grand frère de neuf ans. En déposant ses belles étrilles dans la cuisine ce jour-là, le grand père dit :

- Mercredi prochain, j'aimerais bien emmener Gwenola et Corentin à Océanopolis à Brest. Je pense que ça pourrait les intéresser. ».

Corentin dit qu'il préférait l'entraînement de judo, mais Gwenola sauta de joie. Marie et Hervé dirent oui d'autant plus volontiers que le mercredi était une journée chargée au salon de coiffure pour Marie et pour Hervé aussi : il travaillait à la caisse d'allocations familiales.

Cette nuit-là Gwenola dormit comme un loir et rêva de gros câlins avec un octopus multicolore qui lui faisait des gros baisers sonores. Désormais les mercredis de Gwenola seraient pendant de longues années des journées de la mer et du grand père.

AEV 2021-08 Dominique océanopolis

***

Le lendemain de la grande marée de septembre 1994, Gwenola passa sa journée, comme cinq jours par semaine, à l'école maternelle. Elle était en moyenne section et aimait bien l'école. Sa nouvelle maîtresse, Fabienne, aimait bien aussi Gwenola qu'elle découvrait chaque jour un peu mieux depuis la rentrée. C'était une petite fille à la fois calme et intéressée qui choisissait de se concentrer sur les puzzles dès qu'elle avait un moment libre. Ce qui surprenait Fabienne c'est qu'elle préférait dessiner des poissons, des crabes ou des bigorneaux plutôt que des bonhommes. D'ailleurs ses bonhommes étaient plutôt rudimentaires, elle en était toujours au stade du bonhomme têtard. Mais ce jeudi-là, Gwenola dessina un beau bonhomme avec une tête, deux gros yeux, sans cou mais avec un gros ventre, deux bras, deux jambes et aussi quatre longs appendices entre les jambes. Très fière elle alla le montrer à Fabienne.

AEV 2021-08 Dominique dessin-de-poulpe-pour-enfants-ecancerargentina

Le dessin déclencha une certaine perplexité chez la maîtresse car il y avait du progrès mais pas que !

- Oh ! Il est beau ton bonhomme ! En même temps, il est un peu bizarre !»

Gwenola lui dit

- Mais non, Fabienne, c'est pas un bonhomme, c'est un poulpe et même, si tu veux appeler un chat un chat, c'est un oc-to-pus, avec des ten-ta-cules, c'est Tadic qui me l'a dit ! ».

Fabienne qui venait d'arriver en Bretagne était plutôt ignorante des choses de la mer. Elle sortait aussi d’un stage sur l'observation des dessins d'enfants et le bonhomme de Gwenola l'avait percutée. Elle se faisait même du souci pour l'enfant et ses pensées s'embrouillaient entre grand père, octopus, pénis… C'était trop pour elle.

Elle avait eu du mal à s'endormir le jeudi soir et le lendemain, le vendredi, jour de passage de la psychologue scolaire dans l'école, Fabienne chercha à la rencontrer pour lui montrer le bonhomme de Gwenola. Anne, la psychologue, regarda attentivement le dessin, remarqua qu'il y avait des vagues, des rochers, le soleil et surtout elle reconnut la bête :

- Il est magnifique cet octopus ! ».

Fabienne se détendit. Le soir quand Hervé vint chercher sa fille à l'école, la maîtresse lui dit en rigolant :

- Je me coucherai moins bête ce soir ! Grâce à Gwénola, je sais maintenant ce que c'est qu'un octopus ! ».

AEV 2021-08 Dominique octopus 2

Grâce à cette anecdote devenue célèbre dans la famille, Gwenola put assumer tranquillement sa réputation de petite fille curieuse dans tous les sens du terme et son grand frère Corentin, depuis, l'appelait tendrement « Puce de mer ». A l'école, elle comprenait vite et s'ennuyait souvent alors elle dessinait sur ses cahiers en attendant que les autres aient fini.

Un jour elle apporta un livre qu'elle montra à Fabienne et lui demanda si elle pouvait le regarder entre deux activités. C'était un livre illustré sur la faune et la flore de l'estran que son grand-père lui avait offert. Fabienne trouva que c'était une bonne idée et parfois, mine de rien, en ouvrant le livre, quelle que soit la page, elle apprenait plein de choses. C'est ainsi que lui vint l'idée d'organiser avec ses collègues une sortie scolaire à Océanopolis.

Ainsi dès l'âge de quatre ans les rêves et les pensées de Gwenola naissaient déjà de la mer, et ce n'étaient que les premiers pas vers la recherche en biologie marine. 

10 novembre 2020

Do Houat. - L'Ere de la mutation turquoise / Dominique H.

Quatrième de couverture 

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Printemps 2019, trois bébés naissent en Bretagne, trois filles : Ida, Aziliz et Ayélé. Elles naissent avec une petite tache turquoise sur l'occiput et l'iris de leurs yeux est également turquoise. Au cours de l'année une cinquantaine de ces bébés particuliers naissent dans le grand Ouest mais aussi quelques cas sporadiques de par le monde. Il s'agit d'une mutation. Les généticiens et les chercheurs en biologie marine se mettent à travailler sur cette «mutation Turquoise» qui pourrait être d'origine épigénétique et, semble-t-il, en lien avec le phytoplancton.

Printemps 2020 un nouveau Corona virus SARS-CoV2 parti de Chine contamine rapidement la planète et tous les crédits de recherche seront consacrés à la course aux vaccins. Nos bébés turquoise ne préoccupent plus grand monde sauf quelques chercheurs un peu fêlés dont Gwenola M. Les bébés turquoise grandissent et, une fois l'agitation coronale passée, la recherche reprend. Leur cohorte est suivie de près par les chercheurs de plus en plus nombreux, et, en particulier les neurobiologistes.

2045, Ida a 26 ans : les bébés turquoise sont adultes, en bonne santé, et se révèlent particuliers au niveau cérébral, leur striatum préférant l'ocytocine, l'hormone du bonheur du groupe, à la dopamine, l'hormone qui nous fait rechercher notre plaisir individuel immédiat. Une deuxième génération naît et les mères mutées transmettent aussi la mutation turquoise à leurs garçons.

2070, Aziliz a 51 ans : la troisième génération va naître, la mutation se propage de façon exponentielle... C'est la nouvelle pandémie.

2100, Ayélé a 81 ans : comment va le monde muté ?

Ce premier roman a été écrit rapidement pendant le deuxième confinement, en période d'agitation médiatique et politique. L'écriture s'est alors imposée comme une réanimation mentale vitale. Dans cette fiction écrite au présent, l'auteure touche à la science, la poésie, la philosophie.

***

Chapitre 1 

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Eté 2018, je nage avec délectation plage du Pont à Saint Malo. Palmes, masque et tuba, je m'offre ma balade aquatique préférée, le long des rochers avant la Pointe de la Varde, une brise de Sud-Est caresse la mer haute et calme, le soleil est au zénith, la température de l'eau à 21 degrés et celle de l'air à 28 degrés : paradisiaque. Je serais presque tentée de bénir le réchauffement climatique mais ma conscience ne me le permet pas, je sais que nous allons vers la catastrophe, vers le chamboulement d'écosystèmes bénéfiques. Déjà, en trente ans, je mesure la diminution de la biodiversité, je n'observe plus autant de poissons en me baignant : quelques lieux, parfois deux ou trois bars, de rares vieilles. Cet été, ce que je vois le plus, ce sont les bancs de maquereaux serrés les uns contre les autres dans une chorégraphie dynamique, chatoyante, et aussi la danse ondulante de leurs proies, les lançons. Je ne me lasse pas de suivre le ballet fluide et gracieux de ces petits poissons aux éclats turquoise et argentés et aujourd'hui je les trouve particulièrement colorés.

AEV 2021-07 Dominique - Palais des congrès de Vannes

Septembre 2018, Palais des Congrès à Vannes, colloque annuel du Réseau Périnatal de Bretagne, le dernier congrès pour moi avant que je ne tire ma révérence sur la scène professionnelle. Je me réjouis d'y retrouver mes deux bonnes amies sages-femmes, Brigitte de Quimper et Christiane de Rennes. Cette année, je suis un peu stressée puisque je figure avec elles sur le programme des communications du colloque. Avec Brigitte et Christiane, nous avons décidé, voici quelques mois, de nous lancer pour une observation étonnante sans savoir où cette aventure allait nous mener. Bien que le texte de notre communication ait reçu l'aval des organisateurs, nous avions conscience de risquer le ridicule mais, au fil des mois, nous étions de plus en plus déterminées. Nous allions intervenir en tant qu'observatrices d'un curieux phénomène pour ensuite refiler le bébé aux scientifiques. Nous avions intitulé notre exposé ainsi : « Trois bébés aux yeux turquoise nous interrogent ».

***

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Cette aventure remonte à notre randonnée rituelle de printemps où nous retrouvons notre bande des Semelles de feu, le temps d'un week-end. Comme d'habitude nous marchons en discutant de tout et de rien et voici que Brigitte, un peu excitée, nous dit en s'adressant à Christiane et moi :

- Les filles j'ai un scoop ! A ma dernière garde, j'ai mis au monde une petite fille un peu particulière : en accompagnant la flexion de la tête sous la symphyse pubienne, j'ai vu qu'elle présentait sur l'occiput une tache turquoise, oui, vraiment turquoise, de la taille d'une noisette. J'étais surprise, mais, tout se passant bien, je n'ai rien dit aux parents sur le moment. La naissance s'est déroulée normalement et j'ai déposé Ida, c'est son prénom, sur le ventre de sa mère, l'offrant à l'émotion et au bonheur de ses parents. Je veillais à la sortie du placenta quand j'entendis le père s'exclamer, émerveillé :

- Oh elle ouvre déjà les yeux ! Oh ils sont turquoise ! C'est incroyable cette couleur !».

Je souris à ces paroles d'accueil des parents à leur enfant, mais je me disais aussi « oui, cette couleur turquoise est vraiment incroyable, je n'ai encore jamais vu ça ! ».

Christiane interrompt alors Brigitte d'un : « C'est bizarre, il m'est arrivée la même chose en mars, Une petite fille aussi, Aziliz, même tache turquoise que tu décris sur l'occiput et, comme Ida, des yeux turquoise ! ».

J'interviens à mon tour « Et moi, le huit mars, j'ai aidé à naître une petite fille qui est née avec une tache turquoise au-dessus de la nuque et aussi des yeux turquoise. Elle s'appelle Ayélé et elle est noire, elle est magnifique !».

Derrière nous un copain marche seul, Lucas, un pédiatre attaché à une consultation de génétique. Notre conversation l'extrait de ses pensées et il nous interpelle :

- Les filles, j'ai d'abord cru que vous déliriez, que vous aviez encore pris vos tisanes de champignons préférés mais l'observation de trois nouveau-nés présentant la même particularité, sur un territoire circonscrit, et sur une courte période est un événement et mérite une enquête génétique, c'est le protocole ! ».

Brigitte répond :

- Tu crois, Lucas ? C'est nécessaire de troubler les parents ? Leur enfant va bien, comment va-t-on leur annoncer ça? ».

Lucas a une réponse claire.

- Je m'en occupe, j'ai l'habitude. Il existe un texte explicatif destiné aux parents d'enfants à particularité, il est très bien fait et, selon la procédure, je mets le réseau périnatal en copie. C'est en rapprochant des évènements inhabituels et en cherchant à les comprendre que la recherche avance.

***

La particularité a été jugée mineure, les enfants se développent normalement mais les Semelles de Feu se retrouvent tous les six mois et se racontent leurs anecdotes. Qui sait, votre petite histoire va peut-être rejoindre la grande ? D'ailleurs, vous devriez préparer un texte pour le colloque de septembre à Vannes. Sérieux, pensez-y !».

Depuis Lucas nous donne des nouvelles, l'enquête génétique est lancée mais il faut attendre de longs mois pour avoir les premiers résultats. Le jour du colloque notre communication ressemble plus à une anecdote de sages-femmes un peu illuminées qu'à une avancée génétique quelconque, bien que Lucas soit quand même co-signataire de la communication. Noyée parmi de nombreux exposés sérieux, notre histoire extraordinaire ne marque pas les esprits. Mais, à l'issue de la journée nous respirons mieux et, à défaut de faire avancer la science, nous évitons au moins la rétention d'information. Je vais pouvoir partir en retraite sereinement et je rêve déjà à mon prochain long été à Saint-Malo.

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***

Avant Noël, Lucas nous envoie un mail disant brièvement qu'il y a du nouveau et nous adresse en pièce jointe un article de génétique en anglais sur la découverte d'une nouvelle mutation sur le chromosome X. J'y vois un retour poli à l'envoyeur sans mesurer l'intérêt de l'article scientifique, d'autant plus que l'anglais n'est pas ma tasse de thé. Ce courriel met au contraire Christiane en émoi et c'est qui elle réveille mon intérêt pour notre affaire. Elle est toujours en activité et lit la newsletter du Réseau périnatal : la dernière fait état de la naissance d'une cinquantaine d'enfants « turquoise » en Bretagne mais aussi de quelques cas sporadiques de par le monde. De nombreux laboratoires de génétique sont au travail et ont établi des contacts avec des laboratoires de recherche en biologie marine. L’anecdote est en train de devenir une affaire très sérieuse, et ce n'est que le début.

En Janvier 2019 Ouest France, interview en dernière page, un bel article sur « Gwénola M., une quimpéroise, chercheuse en biologie moléculaire au laboratoire de BIOM de Banyuls-sur- Mer ». Maintenant que je suis en retraite, j'ai le temps de lire le journal. Il se trouve que la mère de Gwenola, coiffeuse à Quimper, a comme cliente la mère d'Aziliz, le deuxième bébé turquoise. Lors d'un week-end breton en juin, la mère de Gwenola lui parle des yeux turquoise d'Aziliz. Ecoutant sa mère lui raconter cette histoire extraordinaire, la chercheuse ressent alors une connexion neuronale explosive dans son cerveau, une sorte de décharge électrique intense. Instantanément elle branche le récit de la tache turquoise du bébé à ses recherches du moment au laboratoire de Banyuls.

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Gwenola M. travaille sur les « bloom », ces efflorescences intermittentes de phytoplancton et leur contamination virale chronique. Elle a découvert une mutation qui rend certaines cellules résistantes aux virus. Les cellules devenues résistantes ont acquis, par le biais d'une nouvelle enzyme, la capacité de dégrader des oligo-éléments de cuivre et d'aluminium et les cellules. La chercheuse se souvient de son émerveillement quand elle a découvert sous son microscope l'incroyable couleur des cellules turquoise. Gwenola M. et son équipe ont publié leur découverte dans un article de la prestigieuse revue scientifique internationale Science Advances fin 2018, en précisant que les travaux en sont à leur début.

Un groupe de travail de recherche pluridisciplinaire dénommé, « Turquoise » se constitue alors. Des chercheurs en micro-nutrition et des neurobiologistes du cerveau rejoignent les généticiens et les biologistes moléculaires, ainsi que des sociologues. Le réseau périnatal est aussi connecté au groupe Turquoise. Les pièces du puzzle des recherches fragmentées commencent à s'imbriquer les unes aux autres et des hypothèses s'ébauchent. Mais printemps 2020 un événement planétaire sidère le monde entier : un petit Coronavirus contamine en quelques mois quelques millions de personnes, paralyse l'économie et les crédits des laboratoires sont tous fléchés sur la mise au point de vaccins.

Heureusement quelques fêlés de laboratoires résistent encore au chant des sirènes des multinationales de l'industrie pharmaceutique engagées dans la course au vaccin, et continuent à chercher à comprendre le lien entre les cellules turquoise du phytoplancton et les petites filles turquoise. Le début de réponse est épigénétique, c'est à dire à la fois génétique et environnemental.

Des chercheurs en micro-nutrition ont établi par enquête du comportement alimentaire que les mères de ces petites filles sont très gourmandes de maquereaux sous toutes ses formes : grillé, en rillettes, fumé, mariné au vin blanc. Les premiers bébés turquoise sont nés au printemps 2019 et je me souviens maintenant des pêches miraculeuses de maquereaux durant l'été 2018. Je me souviens aussi que cet été-là j'avais noté que les lançons étaient plus turquoise que l'été précédent

Les généticiens ont trouvé chez les mères des filles turquoise une micro-mutation sur le chromosome X qui ne s'exprime que lorsqu'il y a deux chromosome X donc chez les bébés filles seulement.

AEV 2021-07 Dominique - maquereau

Les sociologues qui se sont intéressés à l'environnement humain des mères mutées ont retrouvé dans leur entourage proche un pêcheur de maquereaux (conjoint, père, frère, ami, voisin...). Ils ont aussi étudié la répartition géographique des bébés turquoise et s'ils ont pu rattacher le premier foyer à la baie du Mont Saint Michel, la propagation s'est faîte ensuite sur les côtes bretonnes puis en Bretagne puis dans le monde entier.

AEV 2021-07 Dominique - ADNLes chercheurs en biologie marine savent depuis longtemps que la baie du Mont Saint Michel est particulièrement riche en phytoplancton. Les amateurs des moules délicieuses de la Baie le vérifient régulièrement. Les scientifiques connaissent aussi la chaîne alimentaire du maquereau : au stade larvaire et juvénile, ce poisson se nourrit essentiellement de phytoplancton et des micro-crevettes du krill, le zooplancton. Adulte, le maquereau nage la gueule ouverte et se nourrit de petits poissons : sardines, sprats, lançons qui eux même se nourrissent de phytoplancton. Et le maquereau fait partie de la chaîne alimentaire des êtres humains, dont certaines femmes enceintes : vous me suivez ? Les sages-femmes observent les bébés aux yeux turquoise, les chercheurs observent les cellules mutées turquoise au microscope, c'est la chaîne de la science, en l'occurrence, le mystère de l'hélice de l'ADN turquoise.

3 novembre 2020

Mon oncle, Monsieur Hulot / Dominique H.

AEV 2021-06 Dominique - Villa Arpel 1Mon oncle est atypique et peu fréquentable, enfin c'est ce que dit mon père de son beau-frère. Maintenant que j'ai dix ans et que je le connais depuis deux ans, je me rends compte de tout ce qui sépare ces deux personnes : un univers, rien que ça, et celui de mon oncle m'intéresse bien plus que celui de mes parents, voilà, c'est dit.

Longtemps mes parents, sous prétexte de me protéger de « sa folie », m'ont caché l'existence de Monsieur Hulot, mon oncle. C'est le frère officiel de ma mère bien que je soupçonne quelques différences dans leur ADN d'origine. J'ai appris depuis que feu ma grand-mère maternelle pouvait avoir la cuisse légère. Mais comme cet homme original et inattendu n'en fait qu'à sa tête, il décida un jour de sonner à la Villa Arpel, notre très belle maison d'habitation à Neuilly. J'avais alors huit ans et AEV 2021-06 Dominique - Villa Arpel 2je m'ennuyais, seul ce jour-là comme bien souvent, mon père passant ses journées dans le bureau de PDG de son usine de plastiques et ma mère étant partie place Vendôme ou avenue des Champs-Élysées troquer l'argent du plastique contre quelque quincaillerie de luxe. Elle m'avait quitté d'un semblant de rapide câlin ponctué de l'injonction habituelle de n' ouvrir à personne.

Je me souviens bien de ce coup de sonnette qui me tira presque définitivement de ma mélancolie. L'écran du visiophone me révéla un personnage étrange : un chapeau vert, une pipe, un nœud papillon, surtout une tête montée sur roulement à billes avec un périmètre de rotation de près de trois cents degrés. En appuyant sur « mode grand angle », je découvris son allure générale : grand, très grand, un imperméable mastic trop court, de même que son pantalon qui laissait voir des chaussettes rayées, des bras trop longs, des jambes trop longues. Le tout donnait à cet individu bizarre un air de grand échalas, un peu penché en avant, en appui sur le guidon de son solex et pour compléter cette vision surréaliste, un perroquet en cage trônait sur le porte-bagages.

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AEV 2021-06 Dominique - 838_mon_oncle_13- Monsieur Hulot ! » s'annonça-t-il. Ce nom ne m'évoquait personne. Il semblait décidé à attendre qu'on lui ouvre. Il tournait la tête à droite, la retournait à gauche, tirait sur sa pipe, en expirait des bulles, parlait à son perroquet. C'en était trop, il m'intriguait et malgré l'interdiction de mes parents, je ne résistai pas à l'envie de lui ouvrir, d'autant plus que cette étrange personne me semblait justement être quelqu'un ! Il pénétra dans la propriété sous la surveillance des diverses caméras à micros directionnels disposées dans tous les coins. Il béquilla son solex avant de libérer son perroquet qui se posa aussitôt sur son épaule gauche. Le mécanisme de bienvenue du faux dauphin de notre bassin les salua en crachant son jet d'eau turquoise parfumé aux algues. Monsieur Hulot sursauta, s'arrêta, hocha la tête, leva les yeux au ciel en vissant son index sur sa tempe droite et déclara, en s'adressant à l'oiseau :

- Tu vois, Jacquot, il paraît que ce signe extérieur de richesse symboliserait le progrès ! Les propriétaires de la Villa Arpel, ma sœur et son mari, sont des adorateurs du dieu « Moderne ». Ce nouveau dieu, né outre-Atlantique, nous contamine à vitesse V, mais, comme tu le sais, Jacquot, je suis entré en résistance ».

- Okay Man ! » répondit le volatile.

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C'est alors que je me risquai à ouvrir la porte d'entrée. S'attendant à voir sa sœur, Monsieur Hulot fut surpris de me découvrir.

- Tiens, Jacquot, je te présente mon neveu ! Je connaissais son existence, mais c'est la première fois que je le vois, c'est un événement pour moi. Mon neveu, je te présente Jacquot, mon agréable compagnon anglophone, et je suis ravi de découvrir enfin ta bobine.».

Je me souviens que j'étais sans voix, sous le choc de découvrir que j'avais un oncle et quel oncle ! Les codes sociaux que mes parents m'avaient inculqués ne me semblaient pas du tout adaptés à un échange avec cet extra-terrestre dégingandé, à des années lumières de mon microcosme. Monsieur Hulot vint alors à mon secours :

- Serais-tu muet, mon neveu? Ou serait-ce simplement que je te mets dans l'embarras ? Nous allons en rester là pour aujourd'hui, mais j'ai vraiment envie de te revoir, ne serait-ce que pour te faire sortir de ce bunker. Je te propose un code secret : je vais revenir bientôt, mais je ne tiens pas à tomber sur tes parents. Alors quand tu seras seul chez toi, désormais, tu mettras un tissu vert à la fenêtre de ta chambre à l'étage. Je passerai régulièrement et lorsque je le verrai de la rue je saurai que je peux sonner.»

La parole me revint un peu :

«C'est entendu, Monsieur Hulot. Je ferai ainsi. J'ai été ravi de faire votre connaissance et j'espère vous revoir bientôt !».

- Ah enfin j'entends le son de ta voix et je décèle dans ton intonation le formatage avancé d'une pseudo bonne éducation ! Il est grand temps que je m'en mêle ! Tu vas me revoir, je te le dis !». Et après avoir tiré la langue au dauphin cracheur automatique, le voilà reparti sur son solex, Jacquot dans sa cage sur le porte-bagages.

AEV 2021-06 Dominique - Tati nuitJ'étais sidéré mais j'ai eu la présence d'esprit d'effacer l'historique du visiophone, pressentant que mes parents s'opposeraient à la poursuite de cette aventure débutante et déjà grisante pour l'enfant BCBG que j'étais. Quand ma mère revint, je faisais tranquillement mes devoirs dans ma chambre.

Ma double vie commença et mes résultats scolaires s'en ressentirent, dans le mauvais sens évidemment. Mes parents furent convoqués et je laissai les adultes se dépatouiller avec cette situation déshonorante pour eux. Ils eurent l'idée d'embaucher un professeur particulier mais je m'enfermai dans ma chambre, refusant de le voir. La semaine suivante je montai d'un cran en affublant l'homme de noms d'oiseaux. J'entendis ma mère se confondre en excuses auprès de lui puis proférer la menace suprême à mon égard :

- J'en parle à ton père ce soir ! ».

Le conseil de famille se passa sans moi et le lendemain matin mon père m'attendait au petit déjeuner pour m'annoncer solennellement la sentence :

- Nous avons décidé, ta mère et moi, de te faire consulter un psychologue.».

Chose dite, chose faite et un rendez-vous fut pris dans la semaine auprès d'une psychologue réputée de Neuilly.

AEV 2021-06 Dominique - psychologue-phrase-drole-super-pouvoir-cadeau-t-shirt-femmeElle me reçut seul, déclarant à ma mère dépitée mais néanmoins souriante que « à dix ans on est grand » ! La porte refermée, elle m'assura sans attendre de la confidentialité de nos échanges. Cette entrée en matière favorisa bien entendu la magie du transfert. Rapidement je compris que je pouvais faire alliance avec elle et je m'ouvris sans détours de ma tristesse de fils unique élevé dans une prison dorée et de ma vie scolaire bien rangée dans une école d'enfants de riches. Je lui révélai bien sûr le secret de famille entourant mon oncle sulfureux. Elle m'écouta et grâce à la bouffée d'oxygène mental de ces séances hebdomadaires, mes résultats scolaires s'améliorèrent, ma mère reprit ses virées dépensières et ma fenêtre de chambre s'orna dès que possible du tissu vert.

Alors ma double vie commença en compagnie de Monsieur Hulot que j’appellerais bientôt «Mon oncle» autant par respect que par affection et aussi par logique puisqu'il persista à m'appeler «Mon neveu». Selon notre code, il arrêtait son solex dès qu'il repérait le signal vert, boycottait le visiophone mouchard, lui préférant sa trompette ; je me précipitais alors pour m’installer sur le porte-bagages et nous démarrions en trombe avec un « Roulez, jeunesse !» qui deviendrait rituel.

AEV 2021-06 Dominique - tati-mon-oncle-maisondetatiA notre première fugue, il me fit les honneurs de son appartement de banlieue ou plus exactement de sa maison sur les toits. Il louait une sorte d'atelier d'artiste au dernier niveau d'un immeuble de trois étages, à Clamart. A peine arrivés au bas de l'immeuble, le solex béquillé, je vois mon oncle lever les bras pour atteindre la rambarde d'escalier du premier étage. Il en décrocha deux mousquetons attachés chacun à une corde d'escalade, puis arrima le premier crochet au guidon du vélosolex et le second au porte-bagages. Les deux cordages libres sur deux mètres se réunissaient ensuite en un seul relié à une poulie, elle-même fixée solidement sur la balustrade de la terrasse du dernier étage. C'est avec émerveillement que je vis le solex s'élever dans les airs et s'arrêter au dernier étage. Mon oncle se contenta alors de lever les bras pour accrocher l'anneau terminal du cordage dans un troisième mousqueton fixé à un barreau de l'escalier au premier étage. Quel choc de culture pour moi qui n'avais connu depuis ma naissance que high- tech et automatismes !

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Après avoir monté les marches quatre à quatre et avoir ouvert la porte de son royaume, mon oncle se courba cérémonieusement devant moi et m'invita à entrer dans sa pièce unique. Rien à voir avec une caverne d'Ali Baba : la lumière entrait par la verrière qui ouvrait sur une terrasse, la vue dégagée plongeait sur les toits et aussi sur une fête foraine, la pente lambrissée des toits donnait à la pièce une ambiance cosy, les meubles se réduisaient à l'essentiel ; le lit semblait trop petit pour le grand homme, une cafetière émaillée à pois décorait la table centrale, sur une étagère quelques livres, au sol un arrosoir près de deux plantes vertes, à côté une trompette, au mur un tableau représentant un joyeux facteur dégingandé tenant son vélo un jour de fête, sous le lit une valise et un crocodile à roulettes, près du lit un dé rouge à quatorze faces, gros comme un ballon. Deuxième choc de culture : pas de robot, pas de formica, pas de télévision mais une fantaisie spartiate qui m'était totalement inconnue et qui me ravissait. J'en avais plein les yeux ! Mon oncle coupa court à mon étonnement émerveillé :

- Bon, c'est tout pour aujourd'hui, je te ramène vite fait, en espérant que ta mère traîne encore dans les boutiques. ».

« Bis repetita placent », le solex entreprit sa descente puis, à peine installé à califourchon sur le porte-bagages, j'eus juste le temps de m'accrocher à la selle avant le démarrage en trombe et le « Roulez, jeunesse !» direction Villa Arpel.

Dépose brève :

- Salut, mon neveu, au prochain signal vert ! ».

Ouf, ma mère n'était pas encore rentrée ! Je montai aussitôt dans ma chambre pour ouvrir mon livre de physique avec l'idée de confronter la poétique de la poulie aux lois de la mécanique. Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ?

Ce jour-là j'avais visité un petit coin de banlieue et découvert le monde stupéfiant de mon oncle extraordinaire, un monde qui me faisait rêver. De surcroit, chaque semaine, j'avais le plaisir de faire le récit joyeux de mes escapades clandestines à ma psychologue complice. Ces séances neutralisaient ma culpabilité d'enfant sage. Mes parents payaient, mes professeurs me félicitaient et je sentais chez mon oncle une vraie jubilation. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ce qui devait arriver arriva : un jour ma mère rentra avant moi. Evidemment, avec mon oncle, nous nous étions préparés à cette éventualité : quand je partais, je laissais un mot d'excuse sur la commode de l'entrée : « Ne t’inquiète pas, Maman, je vais à la bibliothèque municipale chercher un livre pour un exposé que j'ai à faire sur l'époque paléolithique » et j'avais toujours dans mon petit sac à dos un livre que mon oncle m'avait offert sur « Homo Sapiens, notre ancêtre », un vaste sujet qui pourrait servir plusieurs fois si besoin. Nous avions répété la scène tous les deux et j'étais au point. Ce fut d'ailleurs très simple : ma mère, satisfaite de mes résultats scolaires, jeta un œil distrait à l'ouvrage, passa sa main manucurée dans mes cheveux avant de m'expédier dans ma chambre :

AEV 2021-06 Dominique - itw-deschamps-tati,M136026- Ah mon grand garçon studieux ! Allez, file travailler ! Tu nous feras la lecture quand tu auras fini, ton père sera fier !».

Evidemment, l'exposé sur la chasse aux mammouths laineux était déjà prêt mais j'étais certain que mes parents oublieraient vite cette histoire d'exposé, rassurés qu'ils étaient par ma brillante scolarité retrouvée.

Ma belle vie de neveu heureux continua, mon oncle m'apprit à prendre le bus 189 qui m'amenait de Neuilly à Clamart pour rejoindre ses combles enchantés et enchanteurs. Grâce à lui j'étais devenu expert en excuses vraisemblables. Nous ridiculisions en secret mes parents et je racontais ensuite tout ça à mon autre amie, ma psychologue préférée que mes parents continuaient à bien payer pour leur plus grand soulagement. Tout lunaire qu'il fût, mon oncle était un bricoleur de première et il se délectait à me révéler les secrets de ses systèmes divers et variés. Il était passionné par les gorges des poulies et la démultiplication des forces : va-et-vient de fil à linge, treuil pour monter les courses. Il m'avait même fabriqué une tyrolienne pour rejoindre le trottoir d'en face ! Son monde me grisait !

AEV 2021-06 Dominique - DoisneauJe l'aimais, il m'étonnait, il faisait sérieusement des choses pas sérieuses, il éclairait ma vie. Je l'adorais tellement que je me mis à avoir peur de le perdre. Le succès de ses poulies magiques lui tournait parfois la tête, son cerveau était souvent en ébullition et je sentis comme une escalade dangereuse. Il se persuada de pouvoir régler tous les problèmes de sa vie grâce aux poulies et je le trouvais trop bizarre quand, me prenant à témoin, il répétait sans cesse :

- Tu vois, j'ai le génie des systèmes ! ».

Ainsi, un jour de trafic intense, une situation qui le stressait beaucoup et qu'il ressentait comme une entrave à sa liberté, il me proposa un raccourci dont le risque fatal m'apparut aussitôt : il projetait de nous élancer du troisième étage avec son «solambule», à toute vitesse sur son fil à linge, pour rejoindre l'autre côté de la rue ! Je refusai tout net, je n'avais pas du tout envie de mourir maintenant que ma vie était devenue intéressante ! Que pouvais-je faire pour le détourner de ce projet délirant ? J'étais désemparé, désespéré, il fallait absolument le dérouter et vite ! Il s'agissait d'une urgence vitale ! Je m'entendis débiter :

- Mon oncle ! C'est grave, j'ai oublié mon rendez-vous chez ma psychologue, c'est dans quarante-cinq minutes, il faut absolument que vous m'accompagniez, dix kilomètres à solex en prenant les trottoirs c'est jouable ! »

AEV 2021-06 Dominique - tati-mon-oncle-solexEt je dévalai les escaliers sans attendre la réponse. Le solex suspendu dans les airs descendit aussi vite que moi. J'avais tenté le pari qu'une virée transgressive sur les trottoirs amuserait le grand homme. Pari gagné, le solex toucha le macadam avant moi, je sautai sur le porte-bagages et bientôt le moteur vrombit accompagné du familier « Roulez, jeunesse !».

Toute ma vie je me souviendrai de ce trajet trépidant Clamart-Neuilly. Secoué sur le porte-bagages, agrippé à mon oncle, je me voyais déjà faire les présentations et confier mon grand souci à ma bonne fée, j'étais certain qu'elle saurait que faire, qu'elle trouverait un système à elle.

Voilà, nous sommes arrivés, le solex se gare devant la plaque en cuivre de ma psychologue, je donne la main à mon oncle, je sonne... C'est maintenant une histoire de grands et moi je n'ai que dix ans. 

 

13 octobre 2020

Faut-il avoir peur d'écrire ? / Dominique

AEV 2021-05 Dominique crayon

C'est clair que vos écrits peuvent être sous haute surveillance. Comme vous le savez, à partir du moment où vous lâchez un texte dans la nature, une foule d'anonymes risque d'émettre un concert de protestations et vous vous exposez alors à une monstrueuse cacophonie et autres fausses notes.

D'autres vous diront qu'écrire n'est que du bonheur. C'est pas faux. Ecrire est en quelque sorte jouer sa partition ou encore donner le la de la voix, mettre un bémol, jouer sur la corde sensible. Voilà, écrire c'est s'exprimer : j'adore, c'est énorme !

Evidemment, quelquefois, il faut revoir sa copie, c'est le risque du métier. Mais on ne risque pas de perdre la vie à faire de la poésie. Tout au plus, on peut avoir l'impression parfois de pisser dans un violon ou de jouer du pipeau. Mais quel plaisir quand, à l'atelier d'écriture, nous avons le sentiment de nous entendre comme larrons en foire, surtout quand, en partant d'une totale improvisation, nous nous retrouvons autour de textes décalés, voire surréalistes. Comme si nous avions accordé nos violons.

En même temps, il arrive que je grogne quand notre chef d'orchestre énonce une consigne improbable, du grand n'importe quoi. Alors j'hallucine, intérieurement je rechigne, je trépigne. Mon agacement va crescendo. Mais il faut bien monter au créneau. De rage, j'écris une première phrase, un couac, que je rature aussitôt. La deuxième sonne encore un peu faux mais elle en déclenche une troisième et alors la magie de l'atelier se révèle une fois de plus.

AEV 2021-05 Dominique Ubu

Ce huis clos avec unité de lieu, la salle Mandoline, unité de temps, le mardi soir, et unité d'action, écrire, opère de nouveau. Un texte naît, à mon plus grand étonnement, et m'amène en un lieu inconnu de moi une heure auparavant, un lieu étrange mais qui me ressemble cependant puisque j'y décèle mon ADN.


Quand notre metteur en scène siffle la fin de la récréation, j'émerge de mon rêve merveilleux. Au fil du temps, depuis plus de cinq ans maintenant, la salle Mandoline m'est devenue un lieu incontournable bien que peu fréquentable pour la bonne société puisque nous copinons souvent avec Ubu et autres pataphysiciens... Encore une fois, que du bonheur ! Merci infiniment !

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L'Atelier d'écriture de Villejean
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