Hubert-Antoine / Anne-Françoise
Hubert-Antoine vivait heureux. Il habitait un petit quartier sympathique de l’Ouest de Rennes. Il était nudiste, comme la plupart des propriétaires du lieu. Il n’y avait guère qu’une ou deux demoiselles avec des robes rouges à pois noirs, un ou deux autres avec des tenues rayées jaunes et noires et un Apollon qui se distinguaient. Hubert-Antoine était nu comme un ver. En fait, Hubert-Antoine était un ver, de terre.
Il y avait aussi Huguette, qui était toujours habillée. Autrefois, elle avait pris soin de son jardin, semant, binant, taillant. Mais elle était maintenant trop vieille et ne se déplaçait plus que difficilement avec sa canne. Hubert-Antoine avait pris le relais, cultivant le petit potager d’Huguette, labourant ici et là. Il faisait quelques escapades dans les jardins avoisinants, dégustant chez celui-ci une fraise, chez celui-là un bout de carotte et une belle feuille de salade chez cet autre. Il lézardait ensuite un peu au soleil avant d’aller se coucher dans sa maison en terre. C’était la belle vie !
L’automne arriva. De grosses pluies délugèrent sur le petit jardin. Huguette sortit de chez elle pendant une accalmie. Elle chuta sur le sol rendu glissant. Huguette, qui n’était ni casse-cou ni casse-pied, ô comble de l’ironie, se cassa le col du fémur droit, le col du fémur gauche, le col de l’humérus droit, le col de l’humérus gauche, le col de l’utérus droit, le col de l’utérus gauche, le col du Tourmalet, le col chic et la binette. Bref, elle cassa sa pipe. Elle rendit l’âme dans un dernier soupir où Hubert-Antoine perçut un faible « Je me casse !», soupir que le vent violent de ce jour-là emporta funestement… Hubert-Antoine en fut très triste mais n’eut pas trop le loisir d’y penser, occupé qu’il était à écoper le sous-sol de son logis qui était inondé. Huguette fut mise en terre, ce qui fit plaisir à Hubert-Antoine, dans un autre jardin où il y avait trop de cailloux de l’avis des copropriétaires de son potager qui lui rendirent régulièrement visite.
Un jour, un homme vint arracher toutes les mauvaises herbes chez Huguette. Sans ménagement aucun, il s’attaqua à la terre, il sortit son arme et bêcha avec ardeur. Il ne vit pas Hubert-Antoine qui se trouvait là et le coupa en deux ! Il y avait maintenant Hubert d’un côté et Antoine de l’autre. Ils pansèrent leurs plaies, prenant soin de leur ex-copropriétaire de corps. L’homme planta plus tard salades, radis, courgette, fraises, carottes et autres légumes encore. Hubert et Antoine n’eurent plus à voyager aussi loin pour se nourrir, ce qui tombait bien vu que leurs capacités de déplacement avaient été considérablement réduites depuis l’accident.
Dans l’espace resté libre entre les petits pois et les framboises, Hubert aida Antoine à se reconstruire une petite maison puis ce fut Antoine qui aida Hubert à faire de même juste en face.
Hubert et Antoine apprirent à se découvrir, à composer avec leurs caractères différents, à se respecter, à s’apprécier. Le week-end, un invitait chez lui, le week-end suivant, c’était chez l’autre.
Ils vécurent heureux, ne se marièrent pas et n’eurent pas d’enfants.