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L'Atelier d'écriture de Villejean
3 octobre 2023

Le Récit d'Arrête VI / Jean-Paul

AEV 2324-04 GorilleAh bien sûr, si j'avais eu un gorille, les choses auraient été bien différentes !

Déjà je lui aurais appris à faire des acrobaties, du jonglage, des tours de magie. Je serais allé me poser sur le pont à l'entrée du village le jour du marché. Un petit môme qui montre un gorille, ça les aurait changés, les gens, des montreurs d'ours, des bohémiennes qui dansent et des troubadours. Ils m'auraient glissé la pièce et pas qu’un peu !

Ça aurait arrondi les fins de mois difficiles de mon papa, celles qui commencent dès le neuvième jour du mois et pourtant c'est un bûcheur mon papa. Le boulot ne lui fait pas peur, il en abat comme pas beaucoup. Il sait montrer sa force et tout le monde voit bien de quel bois il se chauffe. Enfin tout le monde se chauffe avec le bois qu'il coupe vu qu’il est bûcheron, mon papa.

AEV 2324-04 BonbonsSi j'avais eu un gorille Papa m'aurait laissé des sous de mon pestacle « singe-ing in the rain » pour que je m'achète des bonbons. Les bonbons c'est eux que j'aurais semés à la place des boules de mie de pain quand Papa et Maman nous ont perdu la deuxième fois dans la forêt avec mes six frangins. Ça m'aurait fait mal au cœur de les jeter par terre mais au moins on aurait retrouvé le chemin de la maison comme la première fois.

Les bonbons, les oiseaux n'en mangent pas. Il y aurait bien eu le risque des pies voleuses, celles qui prennent tout ce qui brille pour de l'argent comptant, le ramassent dans leur bec et vont le cacher dans leur nid.

AEV 2324-04 SerpePeut-être que le gorille serait venu à notre secours ? Parce que là, en tout cas, présentement, ça commence à craindre un max ! La nuit est tombée, la forêt est immense et on est complètement paumés. Les hiboux hululent dans les hêtres hantés, la hardiesse nous lâche honteusement et cette avalanche de « H » ne nous aide pas à nous frayer notre chemin dans les taillis. Heureusement qu’Averell, notre aîné, le plus grand et le plus idiot des sept frères Poucet a ramassé cette vieille serpe rouillée sur le chemin. Malgré l’entonnoir sur la tête qui le ridiculise et le phénomène de jetlag permanent qui le caractérise, il élague.

AEV 2324-04 ChipsSi seulement on était dans un vrai conte de fée, on aurait vite fait d'arriver dans une clairière enchantée avec une causeuse installée au milieu d’une clairière sous un rayon de pleine lune qui éclairerait comme en plein jour ! Je ne sais pas qui se ferait des bisous dans cet endroit-là. Paraîtrait que Blanche-Neige est morte empoisonné par des chips au paprika et que Cendrillon ne vaut guère mieux depuis que le roi a décidé de faire la chasse aux va-nu-pieds. Comment ça s'écrit en écriture inclusive, « va-nu-pieds » au féminin ?

Mais macache ! Pas plus de causeuse que de bonbons ou de gorille !

- Là-bas ! Une lumière ! Et ici un chemin creux praticable ! s’écrie, enthousiaste, Arrrête II, le troisième des frères Poucet.

AEV 2324-04 entonnoirIci, je vous dois une explication parce qu’on ne s’est pas vraiment présentés. Après Averell Poucet nos parents ont décidé de baptiser leurs enfants « Arrête » et de leur donner un numéro d’ordre. Arrête II, Arrête III... Moi je suis Arrête VI. Ce n’est pas une mauvaise idée : les gamins on est toujours obligé de leur dire « Arrête ! ». « Arrête ! »c’est aussi ce que disait Maman à Papa quand il en mettait un en route sans le faire exprès.

Fin de la parenthèse. Nous suivons le chemin en direction de la lumière et effectivement nous voilà maintenant positionnés devant une grande maison en plein milieu de la forêt.

- Qu'est-ce qu'on fait ? On frappe et on demande l'hospitalité en tant que migrants économiques ?

- Ouais ça pourrait marcher mais enlève ton entonnoir du dessus de ta tête, Averell, si c'est toi qui causes.

Averell a tiré la chevillette et de l’autre côté de la porte aucune bobinette n’a cherri ou chu ou cherraton mais la tenancière de cet hôtel s'est pointée. Voyant qui on était à travers le judas, la portière nous a ouvert la portière.

AEV 2324-04 ChouWaooh ! Les jetons qu'on a eus ! Pire qu’au loto où on a les yeux en bille de ! Avec un vieux tromblon à la main et une-lampe tempête dans l’autre, c'était une vieille ogresse de l'armée en déroute qui fixait étonnée notre bande de scouts. Surtout elle avait une tête de chou, ronde, verte, frisée posée sur ses épaules de fumeuse de havanes.

Est-ce que c'est bien ici l’auberge de jeunesse ? a demandé Arrête III « j’crois qu'on est arrivés ».

Arrête III « j’crois qu’on est arrivés » c'est le ravi de notre crèche. Après lui tu tires l'échelle ! C'est pour ça qu'il a ce surnom « J’crois qu'on est arrivés ». Maman a dû dire à papa « On a atteint un sommet, on ne pourra pas faire pire !

Contre toute attente et même contre tout à l'oncle l'ogresse a répondu :

- Oui. Vous êtes combien ?

- Sept, j'ai répondu parce que de tous mes frères je suis le seul qui sait compter. 

AEV 2324-04 Chaussure de rando

- Il me reste un dortoir mais vous essayez de ne pas faire de bruit ni de répandre d'odeur en retirant vos chaussures de randonnée. Nos sept filles sont déjà endormies dans la chambre voisine de la vôtre.
Elle nous a précédés à l'étage, a ouvert la chambre et elle nous a prévenus.

- Demain dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, vous partirez. Mon mari qui est juge et sa vieille mère sont des ogres cruels qui dévorent les enfants. Ils reviendront demain de l’enterrement de Barbe-Bleue. Ils sont allés déposer sur sa tombe une raquette de fleurs en souvenir des parties de tennis qu'ils ont disputées ensemble. Allez, maintenant, bonne nuit les petits !

Le lendemain matin on n’a pas demandé notre reste et avec la serpe magique d’Averell on s'est taillés.

On a même retrouvé le chemin du village ! On a jeté un œil sur les titres de « Ouest-France » à la devanture de l'épicerie. Sûr quelle n'était pas près de revoir son mari l'ogre, la femme à la tête de chou !

Le journal titrait « Un juge et une ancêtre violé·e·s par un gorille !». L’article précisait que, par édit royal de sa majesté le roi du royaume, les deux victimes et le coupable auraient tous trois la tête tranchée pour avoir profané de leurs turpitudes un espace, celui du conte, destiné à la préservation d’un monde parfois cruel des enfants toujours bons, naïfs, innocents et charmants.

Du coup, je ne sais pas bien pourquoi, l’envie de posséder un gorille m’est complètement passée. 

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