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L'Atelier d'écriture de Villejean
25 janvier 2022

A quoi rêvent les pions ? / Maïck conteuse

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Maître Lahire n’en finissait plus de gamberger.

Il ne supportait plus la place qu’on lui assignait, petit parmi les petits, invisibles, sans dents, soumis chaque jour aux exigences de ses royales majestés. Pourtant il avait été dans les bonnes grâces de la Reine. Mais cela n’avait duré qu’un temps, celui d’une saison. Il était tombé en disgrâce.

Depuis, il sillonnait le parvis, au gré des caprices du souverain et de sa Dame. Avançant, reculant, faisant pas de côté après pas de côté. Épuisé, terrifié, risquant chaque jour, chaque minute, de se faire dégommer, il serrait les dents, se rapetissait le plus possible sous son casque.

Pour ne pas penser à sa mort inéluctable, il les observait, de loin bien sûr, impossible de s’en approcher. Jour après jour, se positionnant, tel le voyeur du couple Royal, il enregistrait le moindre détail : leurs déplacements, leurs hésitations, leurs retours en arrière, leurs décisions inconsidérées et risquées, menaçant leurs adversaires, jouant de leur cheval, manipulant le fou, se réfugiant derrière la tour du château.
Bref, tout, il savait tout d’eux, depuis tant d’années qu’il subissait son funeste sort, rongeant son frein et mûrissant sa vengeance.

Tel un fou, englué dans son délire, il oscillait entre espoir, désespoir et volupté à l’idée de ce qu’il leur réservait. Il fallait que ce soit une œuvre d’art, placer la beauté avant la victoire. Il préparait, minutieusement, une délicate et discrète décapitation, dont il se délectait d’avance.

Là, il lui semblait que la colère le nourrissait comme bonne conseillère. Il se voyait déjà, dans l’instant ultime, leur jouant un tango irrésistible. Mais il était aussi parfois torturé par de sombres pensées. Successivement enthousiaste, dépressif, il flirtait avec le désespoir. Il lui semblait que décidemment, le fou était fou. C’était lui le fou ! Un psychopathe en liberté !

Hésitant, chancelant, haletant, il prenait de plus en plus de risques. Ses idées tourbillonnaient en lui, chaque jour : « vous croyez que c’est possible ! » Puis il remettait au lendemain. « Et quoi ? Même un imbécile le ferait ! ».

Un matin, plus déterminé que jamais, il s’était avancé, à la suite du roi, cherchant à se rapprocher toujours plus, ignorant les rugissements de son souverain, les hurlements de la Reine, il s’était élancé… Son ultime pensée fut une question : "Y a-t-il une chatière à la porte du paradis ? Serai-je assez petit pour y passer ?".

2122-17 Maïck - Chatière

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