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L'Atelier d'écriture de Villejean
1 décembre 2020

Entre les trous de la mémoire / Jean-Paul

Appia 01 B Entre les trous de la mémoire

T’en souviens–tu, la Seine ? Ou plutôt vous en souvenez-vous de mes virées le long de vos quais ?

Oui, je sais, c’est de l’histoire ancienne et ce n’est pas vous que je regardais. Je farfouillais dans les bacs verts des bouquinistes où je trouvais quelquefois, tel le pêcheur de perles, des trésors de papier.


C’est drôle comme avec les années qui cognent mes dix ans à Paris sont devenus quelque chose de flou. J’étais à l’époque un drôle de petit bonhomme, discret comme un personnage de Sempé, qui allait écouter en concert des gens comme Higelin, Steve Hackett ou Neil Young, fréquentait assidûment le cinéma Olympic, le Studio 28 ou ceux du Quartier latin, lisait énormément et c’est sans doute chez Gilbert jeune, sur le boulevard Saint-Michel, que j’ai trouvé ce poster de Dominique Appia.

Billet de concert Neil Young 3-03-76

Il ne fut pas difficile d’ajouter une image aussi bizarre à mon mystère ambiant et à mon studio d’intello miteux. Pour une solitude comme la mienne la science-fiction, l’imaginaire, le rêve étaient le carburant dont j’avais besoin pour être bien dans ma fusée.

Je m’étonne, aujourd’hui que je suis devenu un dinosaure, de n’avoir jamais éprouvé d’inquiétude devant les tableaux d’Appia, de Magritte ou de Delvaux. Famille pour famille, les beaux enfants des peintres surréaliste m’ont accompagné pendant quarante-quatre saisons et si j’écrivais de la poésie douce-amère à l’époque, je n’ai jamais pensé qu’il fallait écrire pour ne pas mourir. J’avais la légèreté du flocon papillon et l’ai sans doute encore.

Le centre du motif, ce tas de livres qui brûle à même le plancher dans un appartement ouvert aux quatre vents ne m’a jamais semblé un symbole oppressant. La glaciation du temps à gauche, le buste de géant dans la pièce plus sombre et le miroir vide ne m’ont jamais mis le cœur à l’ombre. Je ne me suis jamais vraiment demandé ce que ça fera le jour où ça craquera. Peut-être que je suis au fond aussi inconsistant que les deux enfants du tableau qui n’ont ni ventre ni sexe et rêvent de prendre un bateau demain pour arriver à La Rochelle par la mer, de visiter les cathédrale de Gulliverte, d’entendre l’histoire des douze petits cochons ou de redresser la tour penchée de Pise.

Et pourtant, Madame la Seine, je ne suis pas qu’un rêveur Lennonien. J’ai toujours fait la vaisselle chez moi, toujours bossé sans à-coups et il aura fallu, pour qu’on m’apprivoise, qu’une sorcière comme les autres - ou pas ! - vienne me faire l’honneur d’une valse marine. On s’est connu, on s’est reconnu et on ne s’est pas séparés. J’ai suivi la femme du vent dans son pays bleu de western breton. L’éternelle histoire !

Voilà pourquoi je ne connais plus personne à Paris, à part vous. J’aurai tant de choses à vous dire si un jour je reviens mais si je ne parle pas ne vous inquiétez pas. Je sais que vous êtes une porteuse d’eau, que votre temps est précieux et que vous avez à faire par les champs inondés. L’Apollinaire enfant qui pleure sur le pont Mirabeau ou l’adepte de la java d’autre chose qui arrive avec ses « Me v’là ! J’ai une lettre ouverte pour Madame Elise LaSeine que c’est même pas grave si c’est Thérèse dans la vie en vrai», je comprends très bien que ça vous glisse dessus.

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