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L'Atelier d'écriture de Villejean
2 février 2021

Tonton Riri / Josiane

Tonton Riri avait un quotidien bien huilé, une sorte de train-train que rien ni personne n’aurait pu mettre en péril.

Il se levait à l’aube et préparait dare-dare son petit café dans lequel il versait quelques gouttes de lait. A la suite de quoi il sortait précautionneusement du placard une boîte en fer sur laquelle on pouvait voir Riri, Fifi et Loulou, ses héros favoris de bande dessinée lorsqu’il était enfant. Elle lui avait été offerte par sa tante Mimi et il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. De la boîte il sortait trois petits gâteaux secs en forme d’étoile dont je n’ai jamais su le nom. Où se les procurait-il ? Ceci était toujours pour moi un mystère. Jamais quatre, jamais deux….toujours trois qu’il trempait dans son café au lait et dégustait religieusement avant de refermer la boîte, de la mettre en lieu sûr et, vous n’allez pas le croire, de filtrer avec une passoire à mailles très fines le reste de café au lait qu’il débarrassait ainsi des morceaux de gâteaux tombés dans le bol. Puis goulument, il dégustait son café au lait débarrassé des miettes indésirables.

AEV 2021-17 Josiane - 01 Chat

Ensuite venait le tour de Lady Gaga, sa chatte angora. Il lui préparait un repas aux petits oignons. Des crevettes décortiquées coupées en minuscules petits morceaux sur lesquels l’animal se jetait chaque matin avec la même voracité.

Tonton Riri entonnait alors « Le petit quinquin » tout en enfilant une pèlerine hors d’âge et se coiffait d’un bonnet de laine, cadeau de Mémé Toc-toc. C’est ainsi qu’il nommait sa grand-mère car elle avait un petit grain de folie charmant qui permettait au petit Riri de passer des vacances de rêve auprès de cette femme qui admettait de son petit-fils tout ce que lui interdisaient ses parents, un couple de grincheux, toujours mécontents de leur sort et que Riri encombrait prodigieusement.

Une fois revêtu de sa pèlerine et de son bonnet, il chaussait des bottes trop grandes pour lui, qui faisaient flop-flop à chaque pas. A peine sorti, il sifflait Jojo, son berger allemand, et partait pour une longue promenade sur le sentier des douaniers tout proche de sa vieille chaumière. C’était alors pour lui le meilleur moment de la journée.

AEV 2021-17 Josiane - 02 nuages et lacLe soleil se levait à peine sur la mer et, seul sur ce sentier la plupart du temps battu des vents, il se croyait le maître du monde. Jojo gambadait devant lui puis le rejoignait pour s’éloigner à nouveau faisant ainsi deux fois le trajet de son maître.

Il profitait de chaque pas, de chaque respiration et s’enivrait des embruns et des parfums de la végétation qui s’éveillaient avec le jour naissant. Dire que d’autres partaient au bout de la terre, au mépris de la planète. Il recevait des cartes postales de tous les coins du monde : Le lac Titicaca, la grande muraille de Chine, New-York, Hong-Kong, le Mexique et son Popocatepetl, etc. etc. Tout cela n’était pour lui que de la poudre de Perlimpinpin destinée à montrer que l’on avait réussi et que l’on pouvait s’offrir le bout du monde. Mais il n’était pas nunuche, il préférait ses promenades planplan, pied ferme sur sa terre bretonne qu’il n’avait jamais quittée et qui ne le décevait pas.

Au quatrième kilomètre se trouvait la maison de Vroum-Vroum ainsi nommé parce qu’il circulait à motocyclette, une motocyclette qu’il avait un peu trafiquée et qui faisait un bruit d’enfer. Il s’arrêtait tous les jours chez VroumVroum qui lui offrait un petit remontant, histoire de tailler une bavette, puis il rebroussait chemin.

Le retour ne se faisait pas sans peine et dix heures sonnaient au clocher du village lorsqu’il déposait sa pèlerine au porte-manteau de l’entrée. A dix heures quinze il appelait Lulu son copain de toujours qui, moins chanceux que lui, avait dû se résigner à aller vivre en ville. Comme lui, il avait du mal avec le bling-bling des cités : qu’avait-on besoin de changer de vêtement à tout bout de champ, de s’offrir le dernier téléphone à la mode, de changer de voiture à la moindre panne. Ils avaient de longues discussions philosophiques se terminant toujours par une phrase cinglante à l’encontre de ces «villotins», bobos pas très futes-futes, plutôt olé-olé, qui préféraient les flonflons de la fête aux grondements de la mer et aux hurlement du vent.

Il était alors temps de songer à reprendre des forces et tonton Riri se coupait une large tranche de pain dans la miche qu’il avait pétrie et cuite la veille dans le vieux four à pain qui avait servi à son grand-père surnommé Fanfan la tulipe (à cause de son prénom, François, et de son penchant pour la gent féminine) et à son père. Il tartinait largement ce pain d’un bon fromage blanc tout droit venu de la ferme de la mère Juju sise à quelques tours de roue de vélo. Quelquefois il ajoutait à ce maigre repas une belle tranche de lard cuit qu’il partageait avec Jojo ou quelque oeuf sorti de son poulailler. Ses arbres fruitiers lui donnaient pommes et poires en suffisance pour passer l’hiver. L’été il se régalait de fraises, framboises, pêches et autres douceurs qu’il partageait volontiers avec le voisinage.

Venait ensuite l’heure de la sieste, l’hiver près de la grande cheminée et l’été sous un chêne sans âge. La sieste durait longtemps, si longtemps que d’aucuns pensaient qu’il avait dû rencontrer une mouche tsé-tsé malveillante.

Il n’était pas rare que cette pause dure jusque vers seize heures, au grand dam de Lady Gaga qui n’avait de cesse de réveiller le dormeur en minaudant comme une jouvencelle énamourée. Mais rien n’y faisait, Tonton Riri dormait profondément du sommeil du juste.

Vroum-vroum qui un après-midi lui rendit visite prit même peur, le croyant trépassé. Il essaya le tam-tam, les guili-guili, rien n’y fit. De guerre lasse, il lui versa un seau d’eau sur la tête ce qui réveilla notre homme mais le mit de fort méchante humeur. Vroum-vroum ne rendit plus jamais visite à Tonton Riri à l’heure sacrée de la sieste. Le réveil était difficile, la fin de l’après-midi se trainait en longueur, l’heure du dîner se faisait attendre, Tonton Riri prenait un petit en-cas, deux biscuits en forme d’étoile, jamais un, jamais trois. Le rituel était immuable.

Le diner était frugal, une soupe concoctée avec les légumes du jardin dans laquelle il taillait des morceaux de pain, et le fromage blanc de la mère Juju. Tonton Riri se couchait tôt, il dormait dans un lit alcôve avec Lady Gaga qui lui tenait lieu de bouillotte pendant les grands froids, Jojo le berger allemand veillait sur son sommeil couché sur une peau de chèvre au pied de son lit.

***

Tonton Riri s’est endormi pour toujours. Il n’a pas supporté le confinement et s’est laissé mourir. Ne plus pouvoir arpenter le sentier côtier, ne plus pouvoir rendre visite à Vroum-Vroum lui était sans doute devenu insupportable. C’est la mère Juju qui, ne le voyant pas venir quérir son fromage blanc de la semaine, s’ enquit de lui et le trouva privé de souffle au pied de son chêne.

Je suis son seul héritier, j’ai voulu faire un sort aux petits gâteaux en forme d’étoile qui m’intriguaient depuis toujours et auxquels Tonton Riri n’avait jamais voulu me faire goûter. Au fond de la boîte j’ai trouvé la recette…. Et devinez ce qu’ils contenaient ? De la farine, du sucre, du miel, des oeufs, de la levure et… du haschich !!!!

AEV 2021-17 Josiane - 03 Riri, Fifi et Loulou

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