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L'Atelier d'écriture de Villejean
26 mai 2020

Voilà ce que c'est de donner trop de pain aux canards ! / Dominique H.

AEV 1920-32 Dominique Romancier affamé

Félix a été ravi de recevoir enfin un message de Béatrice l'invitant à une soirée « jeux d'écritures ». Certes ce n'est pas une déclaration d'amour mais, pour le moins, l'invitation à la poursuite de leur histoire. Béatrice est vraiment une experte dans l'art de raccrocher les wagons sans en avoir l'air. Félix, pour sa part, a tout du savoir ne pas faire de manières, alors, entre ces deux-là, la règle du jeu est finalement simple, il suffit de la connaître. Et puis Félix aime bien écrire, Béatrice aussi et surtout, ils ont plaisir à écrire ensemble. Selon leurs conventions, ensemble peut être en même temps ou pas, dans le même lieu ou à distance mais avec la même contrainte, la même matière première. Ce qui compte c'est que la liberté créative de chacun soit garantie : les jeux d'écritures sont en soi une aventure, l'imaginaire n'ayant pas de frontières. Autre avantage, la fiction permet parfois d'envoyer un message subliminal voire d'égratigner en douceur.

Il se demande bien quelle consigne farfelue elle aura imaginé ce soir et comment la magie de l'inattendu convoquera une fois de plus le délire ou la poésie. Mais au-delà de cette mise en scène bien rodée, le principal pour Félix, ce soir, c'est surtout qu'ils seront en tête à tête. Voilà déjà deux nuits qu'il rêve de jeux interdits...

Il est venu à bicyclette par le chemin de halage du canal d'Ille-et-Rance. Les onze kilomètres qui séparent leurs deux habitations sont pour lui une sorte de préliminaire à la rencontre amoureuse, quand une pointe d’angoisse se mêle à la joie de retrouver sa belle. En posant son vélo contre le mur, sous la glycine, il pense à leur dernière séparation précipitée, Béatrice étant pressée de lui épargner sa mélancolie. Depuis le temps, elle devrait savoir pourtant que ces moments où affleure sa fragilité sont justement l'opportunité pour Félix de lui manifester des égards... Il s'attarde à regarder autour de lui et se dit qu'il aime bien la paix familière de cette maison ancienne, à l'abri des taillis des bords de l'eau.

Il est ponctuel et n'aurait pas voulu montrer son impatience en arrivant en avance. La porte est grande ouverte, il fait beau et le soleil est encore haut. Le tintement familier du carillon que Félix a offert à Béatrice lors de leur dernière escapade dans les Pyrénées orientales annonce son arrivée en égrenant des notes cristallines : « la-ré-fa-sol-la-ré-fa-la ». Face à la porte, leur affiche fétiche de Marabout-Hopper avec la cow-girl au volant du Chevrolet rouge, joli souvenir qui le fait sourire et penser à Béatrice avec son panama dans sa Kangoo. Il est visiblement attendu : sur une jolie nappe, un pot à crayons, du papier, un grand vase transparent plein de carrés de papiers pliés colorés et, à côté, un paquet de vieilles cartes postales retournées. Egalement un plateau avec un pichet de citronnade et deux verres en libre-service.

Béatrice apparaît, refermant la porte de la cuisine, estivale dans une robe à fleurs mouvante, souriante, sa mélancolie s'étant, semble-t-il, évaporée. Moment de tendres retrouvailles assez rapidement écourté par la maîtresse des lieux qui déclare que l'écriture n'attend pas. Il ne faudrait pas quand même que Félix s'imagine avoir été invité uniquement pour la bagatelle, Béatrice a aussi besoin de plaisirs intellectuels partagés.

- Alors je t'explique : dans le vase, quarante papiers et sur chacun un mot qui évoque l'enfance ou autre chose. Tu es libre d'en tirer au sort un, cinq ou vingt maximum, les vingt autres étant pour moi. En complément des mots, tu choisis une ou plusieurs cartes postales dans la pile. Je m'applique la même règle et nous avons une bonne heure pour délirer. Il y a un pot de citronnade sur la table. Top, c'est parti, à toi l'honneur, et tu gardes pour toi les mots que tu tires !»

Félix commence à piocher dans le vase et à découvrir des mots qui ne l'inspirent pas du tout. Il est habitué à cette angoisse de la page blanche, il lui faut toujours un peu de temps pour qu'opère la mystérieuse alchimie de la contrainte consentie. Mais cette fois, c'est le pompon, les mots restent muets, sans échos. Il pressent que la convocation de son enfance, par trop sérieuse, voire austère, ne va pas l'amuser. Alors il tente sa chance du côté des cartes postales retournées et là, bonne surprise, ce sont des cartes de Plonk et Replonk, les deux hurluberlus helvétiques adeptes d’absurde et autre pataphysique. Ca lui va bien.

AEV 1920-32 Dominique trop-de-pains-aux-canards

Rapidement il fait son choix et une carte l'inspire immédiatement. Déjà l’ambiance en est poétique : en sépia, une belle dame de la Belle Epoque est assise dans une barque sur les eaux turquoise du Lac Léman. Elle jette du pain aux canards. Ce pourrait être un dimanche après la messe parce que la dame semble convaincue de faire une bonne action. Félix se surprend à la dénommer Victoria comme si c'était une vieille connaissance et comme d'habitude, une fois l'objet nommé, il prend vie et le délire décolle. Observant de plus près sa tenue collet monté, il se dit que ses vêtements ostentatoires de bonne chrétienne ne sont que des oripeaux masquant une roublardise cupide, une bêtise coupable et un hubris démesuré. Et que dire de son sourire enjôleur...

Prends garde Félix, elle va bientôt t'appeler « mon canard » et t'attirer dans son lit. Tu n'as rien à y gagner, tu y laisseras même des plumes, Béatrice sera furieuse et, en ces temps de Corona, ils le répètent à la radio, la stricte fidélité est de rigueur. Et puis souviens toi de ta bonne éducation quand ta mère, Louise, te disait de te méfier des jolies filles de la société d'en haut qui cachaient souvent sous leurs jupons affriolants des maladies vénéneuses. Trêve de supputations et autres élucubrations, Félix revient à la raison, laisse momentanément tomber Victoria au fond du lac pour s'intéresser enfin au drôle d'oiseau. Il se rappelle qu'il ne faut pas prendre les canards sauvages pour les enfants du bon dieu et se dit que ce canard bizarre est de toute évidence génétiquement modifié, à moins que ce ne soit un mâle d'oie blanche ? En tout cas cet animal gourmand est devenu géant. En combien de temps, la carte ne le dit pas. La dame au cortex mal affuté remonte des profondeurs et semble très fière des effets spectaculaires de sa générosité, d'autant plus qu'elle est friande de magret de canard. Avec son mari, catholique mais néanmoins braconnier, elle fait la paire : il lui a promis de venir une nuit faire son affaire à ce volatile grassouillet, surtout que lui, c'est le foie gras qu'il préfère.

Mais voilà que Victoria qui ne réfléchit pas plus loin que le bout de son joli petit nez retroussé, dans son inconséquence béate et sa sollicitude intéressée pour ce palmipède prometteur, va déclencher un vrai drame. La dame est en réalité en train de commettre un crime contre cette espèce animale. En effet, elle continue à gaver le gros volatile mais pour qu'il grossisse encore plus, c'est maintenant avec de la pâtisserie qu'elle le nourrit. Dès qu'il la voit, le canard monstrueux lui palme après, le bec ouvert. Ce qu'elle ignore, c'est que cette nourriture trop riche a en outre des effets aphrodisiaques. Alors, depuis les trois semaines que dure le gavage, le mâle, repu, obèse mais lubrique, féconde jour et nuit toute les jolies canettes qui bougent dans les roseaux. « Dans vingt-huit jours, à raison de dix-huit œufs par nid, un joyeux baby-boom de canetons s'annonce » se dit Victoria, et, ravie d'avance, elle se met à rêver comme Perrette.

Elle imagine des nichées de gros canetons qui hériteraient de la génétique de leur père et lui fourniraient des magrets ad libitum et ad vitam. Elle et son mari organiseraient un élevage industriel dans leur propriété, ils raseraient les arbres du petit bois près de l'étang, ils deviendraient riches, très riches et son homme n'aurait plus besoin d'aller braconner.

Eh bien non, le scénario réel qui va surgir n'est pas du tout celui-là : les nombreux nids de la roselière restent désespérément vides et bientôt les canes, dans un dernier cancanement à la mort, se mettent à mourir les unes après les autres : hécatombe au lac.

Des riverains intrigués préviennent le garde- champêtre qui lui-même, inquiet, alerte la sécurité vétérinaire qui, tout aussi perplexe prévient la maréchaussée du canton : cordon sanitaire, baignades et canotage interdits ! Victoria, trop occupée pour lire les journaux, ignore tout de ce remue-ménage et continue son gavage méthodique : son palmipède mâle préféré est magnifique.

Elle est en pleine action dans sa barque quand un pédalo silencieux activé par deux hommes masqués en uniformes, l'accostent courtoisement mais néanmoins fermement : « Madame, vous ne lisez pas les pancartes ? Le canotage est interdit depuis deux jours. Les autorités sanitaires nous ont mandatés pour ordonner à tous les citoyens du canton de rester chez eux, confinés et masqués jusqu'à nouvel ordre. En conséquence, nous vous prions de regagner immédiatement le ponton et votre habitation. Nous vous remettons un patron d'aide à la fabrication d'un masque aux normes ». Victoria pourrait, avec son charmant sourire, faire valoir son innocence et sa bonne action mais la peur du gendarme la sidère et pas un mot ne sort. « Veuillez obtempérer s'il vous plaît ! ».

Victoria, abasourdie, s'exécute, retrouve tous ses gestes automatiques de bonne rameuse, amarre sa barque, rejoint sa maison et ouvre les journaux de la veille encore pliés. Elle tombe des nues en lisant les nouvelles : il est question d'une épidémie venue de Chine par les canards migrateurs, que le microbe responsable se promène dans l'air et qu'il pourrait contaminer les humains... Paniquée, elle se met aussitôt à pédaler sur sa Singer et c'est masquée qu'elle accueille son mari de retour des bois, tout sourire, la gibecière pleine. Elle lui fait signe de ne pas s'approcher d'elle et lui tend son masque au bout du balai. Les deux couverts sont disposés en bout de table, espacés de deux mètres et elle lui montre du signe du menton le plat au centre de la table, bien contente en un sens de ne plus avoir à faire la domestique.

A la fin du repas, elle se re-masque, débarrasse sa seule assiette et fait sa petite vaisselle personnelle avant d'indiquer par gestes qu'elle invitait son mari à faire de même. Eberlué, il commence à s'énerver. Elle lui montre alors les journaux sur le fauteuil près de la cheminée et elle consent enfin à ouvrir la bouche pour lui dire : « Lis les nouvelles, tu vas comprendre, c'est grave ! Alors moi, j’ai décidé de dormir à l'étage. Bonne nuit ». Le mari lit les journaux, fait sa vaisselle et va se coucher en bas, seul dans le lit conjugal. Après une courte réflexion, il se relève, remet sa gibecière, prend son fusil et un grand sac et quitte la maison à vélo à l'insu de sa femme. Il se dirige vers la roselière et plus précisément vers la hutte sommaire qu'il a déjà fabriquée depuis quelques jours pour observer facilement les habitudes du monstre. Il avait prévu d'attendre la pleine lune dans trois jours pour accomplir son forfait mais, après l'article du journal, c'est ce soir ou jamais qu'il lui faut faire son sort à la bête, sinon adieu magrets et foie gras.

AEV 1920-32 Dominique braconnierLa nuit est claire, un seul coup de fusil a suffi, deux heures après il est de nouveau dans son lit, la bête ébouillantée, plumée, découpée. Les deux énormes magrets et le foie gras bien emballés dans des torchons reposent au frais dans le cellier. Pendant trois jours, il n'en dira rien à Victoria.

Le lendemain matin, à la une des journaux un scoop extraordinaire révèle le fond de l'affaire et met fin à cette mascarade. L'article décrit en détail le beau travail du vétérinaire légiste réquisitionné. C’est un homme méthodique et rigoureux et le journaliste de la gazette du canton est du même acabit. Les lecteurs sont convaincus : l'article, précis et bien documenté, n'a rien d'une infox. Tout le monde est soulagé, ou presque... sauf Victoria qui se demande bien quand elle va être démasquée.

Voici le texte intégral de l'article : « Intrigué par le ballonnement anormal qu'il observe sur les femelles volatiles décédées, le vétérinaire décide courageusement de procéder à des autopsies. Masqué, ganté, il incise l'abdomen des cadavres et découvre, dans la cavité coelomique des canes, l'unique ovaire gauche caractéristique de l'espèce aviaire et dans l'oviducte la présence de plusieurs jeunes œufs, de cinq à dix, les plus gros étant les plus proches du cloaque. Ces œufs sont anormalement gros et le plus gros, dans l'utérus, là où se forme la coquille est même énorme. Il les mesure avec un pied à coulisse et confronte leur taille aux dimensions de la filière génitale des malheureuses canes : la ponte naturelle était impossible, seule une césarienne aurait pu les sauver. Le vétérinaire consciencieux, interviewé, conclut son rapport d'autopsie en écrivant : décès de cause naturelle due à une rétention d'oeufs, par disproportion ovo-maternelle. Mais ce diagnostic pose une autre question au scientifique que je suis: pourquoi une épidémie de gros œufs chez les canes de notre canton ? Le mystère reste entier».

En lisant l'article, la mauvaise conscience de Victoria s'allume dans son cerveau, elle réalise son crime. Elle comprend que c'est le baiser cloacal en tir groupé du gros canard qu'elle a gavé et drogué avec application qui a transmis son ADN modifié aux fluettes canettes. Un instant son orgueil la titille, elle imagine son portrait à la une des journaux avec un titre flatteur «grâce à la contribution de Victoria à la science, le mystère des gros œufs de canes du canton a pu être éclairci». Mais elle mesure que ce serait l'exposition publique de sa coupable cupidité. Elle tremble de peur et se met à prier son dieu par crainte du châtiment. Elle s'agenouille et lui demande le pardon, elle ne pouvait pas savoir, elle lui promet de piocher dans son gros compte en Suisse et de faire un don pour la toiture de la chapelle qui vient de brûler, sous condition bien entendue qu'il n'oublie pas de le défiscaliser l'année prochaine. Elle choisit de rester discrète, comme son mari.

Morale de l'histoire :« Voilà ce que c'est de donner trop de pain aux canards ». Ainsi, selon l'implacable loi de la nature, ce déséquilibre, issu d'une transgression, se régule tout simplement par l'extinction locale d'une espèce. C'est ainsi, on en a vu d'autres et on en verra d'autres. Le problème c'est qu'entre deux catastrophes les hommes oublient. Notre espèce humaine est dérégulée, elle, par un striatum hypertrophié qui ne pense qu'à la satisfaction de ses plaisirs immédiats, « Tout le monde sait ça » dirait Mino. Point final.

Félix a écrit d'un seul jet et a un peu dépassé l'heure. Il est content, il se dit qu'avec Hubert, Jacques et Corona, ils vient de s'offrir une jolie partie carrée dans le lit des mots et des délires à la manière d'Alfred Jarry, un vieux copain de lycée, à un siècle près. Et, bénéfice secondaire, le côté fable de son texte, en cette période de dé-confinement, lui a fait le plus grand bien.

Béatrice écrit encore, s'interrompt, promène ses yeux dans le vague en suçant son crayon, rature, évite de croiser le regard de Félix, soupire... La vie, ce soir, semble plus difficile pour elle que pour Félix.

Alors, délicatement, il remplit les deux verres de citronnade, se lève en prenant le sien et dit à Béatrice : « (Amour, juste pensé mais pas prononcé) prends ton temps, je vais faire un tour dans le jardin ». En sortant, il refait tinter son carillon préféré puis se promène dans l'happy-culture de Béatrice parmi les iris et les pivoines, respire les roses, évite de marcher sur les laitues qui poussent entre les délicates nigelles bleues. « La-ré-fa-sol » et voici Béatrice qui le rejoint, le verre à la main.

AEV 1920-32 Dominique Plonk pangolin

 

AEV 1920-32 Dominique contamiNain

- Bon, rentrons, nous allons pouvoir lire. Je vais commencer, pour me libérer de ce texte alambiqué que j'ai pondu dans la douleur. Je n'étais pas inspirée par les mots de mon enfance qui comme la tienne a tiré plus du côté du sérieux que de l'humour sans drame suffisant non plus pour me raccrocher à l'absurde. Alors j'ai fait comme toi, j'ai tiré des cartes de nos chers amis Plonk et Replonk. Ayant préparé la consigne, j'avais une longueur d'avance sur toi, parce que les derniers jours j'ai pu me faire livrer les toutes dernières cartes liées au Corona et au confinement : je t'en montre quelques-unes. Tiens celle-ci avec les nains de jardin bien connus scellés dans des cubes de béton « Je ne veux pas être contaminain, alors je sors pas de mon cube », signé « un nain confit né ». Cette autre « On z'a pas gardé les pangolins n'ensemble, merci donc de respecter une distance raisonnable » ou encore celle-ci plus franchouillarde : « Messieurs, merci de bien vouloir vider vos deux coudes après chaque éternuement ». J'aurais dû choisir celle qui montre l'infantilisation des vieux qu'ont de l'âge (nous !) : « Pendant le confinement les vieux perdent les pédales » avec sur la photo des personnes très âgées assises sur un banc agrippées à un landau en guise de déambulateur. Je me serais bien défoulée avec une saine colère contre cette discrimination par l'âge, comme l'a fait Bernard Pivot. En y repensant maintenant, celle qui aurait pu vraiment me faire décoller c'est plutôt celle des librairies : « La Confineriez n'est pas du gâteau, je ne peux pas te feuilleter, je ne voudrais pas te briser », ouvrant à l'infini sur la littérature. Je m’y collerai peut-être demain.

AEV 1920-32 Dominique désertFinalement, c'est le texte d'une dernière « le sens de la vie » qui m'a conduite vers cette autre, plus ancienne : celle du militaire de la coloniale planté en plein cagnard au milieu d'un désert de dunes à côté d'un panneau indicateur « Attention, ralentir, virage dangereux à gauche ». Voilà déjà un moment qu'il a ralenti, lui. Il s'est fait un selfie des années trente en mettant le retardateur et regarde l'objectif, le regard vide, statique puisque ses bottes commencent à se recouvrir de sable et que ses propres traces ont disparu : on ne sait pas d'où il vient, ni où il va. A côté de lui les traces du chameau qui est passé. Le chamelier lui a probablement donné à boire mais ils ne parlent pas la même langue et ils sont en guerre. Peut-être que les chars ennemis sont en route ? Le chamelier ne s'attarde pas, il va bientôt disparaître à l'horizon, un horizon qui semble arrondi pour rappeler que la terre est ronde : cet homme est seul au monde, pas un palmier même à l'agonie, pas de GPS évidemment pour se fabriquer un parcours, pas d'étoiles puis qu'il sera mort avant la nuit. Le drame absolu. Il restera seulement cette photo pour témoigner qu'il était là ce jour-là.

Et me voilà partie dans des élucubrations, que je ne vais pas te lire, sur les angoisses existentielles que m'a déclenchées le confinement. Je réalise ce soir que c'est encore trop tôt pour moi, je suis encore collée au confinement, je vais devoir continuer à « Souchonner » pendant quelques jours...

Il l'a senti venir le coup classique du Souchon, « sale con de faux frère » pense Félix sans le dire! Il se sent confire et re-confire. Mais en même temps, depuis quelques minutes, des effluves familiers de la fatale quiche lorraine aux asperges vertes viennent émoustiller sa muqueuse olfactive qui transmet le message à son striatum. Béatrice ne va quand même pas l'éconduire maintenant. La comédie de la grande mélancolique a assez duré ! Et puis il a faim !

Béatrice décrypte sur le visage de Félix sa déconfiture intérieure. Alors, sentant qu'il ne faut pas qu'elle exagère, elle vient l'enlacer tendrement pour lui susurrer :

- Chéri, je suis impatiente d'entendre ton texte, tu m'as semblé très inspiré, je t'ai vu sourire plusieurs fois et tu écrivais très vite sans lever la plume. Puis nous mettrons le couvert pour dîner et tu ouvriras la bouteille de rosé Lo Bartas que j'ai mise au frais, elle devrait bien s'accorder avec ta quiche préférée qui a bien doré. A la fin du dîner, la nuit sera tombée, et comme tu n'as toujours pas de lumière sur ton vélo, je te confinerai avec plaisir cette nuit, histoire de te protéger, parce que je t'aime. Alors ? tu me le lis ton délire ?

« Ca c'est du condensé ! » se dit Félix, jusqu'alors en apnée ! Il expire de bonheur, sent son striatum frétiller et commence à lire son hypertrophique histoire de gros canard tout en se disant que demain est un autre jour.

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