Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'Atelier d'écriture de Villejean
10 mars 2020

Déformation professionnelle / Jean-Paul

M. Ferdinand FLURE
Agence Dupondet et Dupontet
120, rue de la Gare
65125 LES HAUTS DU TOURMALET

                                                                                    M. Florent Fouillemerde
                                                                                    Agence Fiat Panda
                                                                                    4, rue des Petits champs
                                                                                    35000 RENNES

                                       
                                                                       Les Hauts du Tourmalet, le 10 mars 2020


                         Mon cher Florent

Avant de mettre définitivement la clé sous la porte de cette agence de détectives privés où nous nous sommes connus, j’ai entrepris de vider tout le pavillon.

Je ne te raconte pas le nombre de voyages que j’ai dû faire vers la déchetterie-déchèterie ! Il y a tellement de vieilleries à virer en pareil cas qu’on ne sait même plus comment s’écrit ce mot !

J’ai également fait l’acquisition d’une broyeuse à documents papier. Inutile en effet de garder trace des filatures que nous avons effectuées à Roubaix ou ailleurs, des photos compromettantes remises à une épouse jalouse ou un mari soupçonneux. Toutes ces pratiques n’ont plus grand intérêt pour personne depuis que les déclarations d’amour ont pris forme d’envois de sextapes par messagerie effaçable (ou pas) sur Internet. Ce qui explique, par ailleurs, la faillite de mon agence. Trop "ancien monde".

Cela me fait penser à l’une des cartes dont je veux t’entretenir ce jour : elle commence par ces mots : «Salut, branleur !». Bonjour la familiarité ! 

Et donc, dans ma folie ménagère d’avant vidage des lieux, j’ai mis la main sur une boîte à chaussures emplie de cartes postales. Les unes sont signées Jean Dupondet et les autres Joseph Dupontet. Ce sont, tu t’en souviens, les deux bonshommes moustachus auxquels on avait racheté la maison. Elles sont toutes adressées à Ernestine Dupontet, à la même adresse que notre agence, 120 rue de la Gare, Les Hauts du Tourmalet.

Est-ce que tout cela sera suffisant pour reconstituer l’histoire des détectives qui nous ont précédés ici ? Maintenant que je suis à la retraite j’ai bien l’intention de me lancer dans l’histoire du 120 rue de la Gare à travers les âges !

02 07 12 Guidel recto

J’ai commencé à dépouiller ce courrier très particulier. Nos deux larrons à chapeau melon ont été de sacrés voyageurs, surtout Joseph qui a beaucoup sillonné la Bretagne, l’Espagne et l’Italie.

Chacune de ses cartes postales est une petite énigme et je soupçonne fort qu’il faut décoder certains des éléments qu’il envoyait à sa chère maman. Ainsi de ce séjour sur la route côtière de Lorient ou il commente avec humour ses « drôles de vacances ».

« On visite surtout le fond des gamelles qu’on gratte à la paille de fer une fois qu’on a fait cramer l’omelette pour vingt-cinq personnes ; on dort dans le froid et l’humidité et on ne trouve même pas cinq minutes pour finir son Maigret. »

J’ai du mal à l’imaginer en train de faire la vaisselle d’un camp scout mais le métier exige parfois de tels travestissements ! J’ai vérifié : il n’y a pas eu de meurtre au golf de Ploemeur ni de cambriolage à Larmor-plage en juillet 2002. C’étaient peut-être de vraies vacances au bord de la Laïta. Pourtant le cachet de la poste fait foi qu’il y a bien eu un « Festival des sept chapelles » à Guidel. Si ce n’est pas là un titre de polar régional, je veux bien être changé en Land rover du capitaine Marleau !

05 02 Barcelone rectoA côté de ça Joseph Dupondet a mené plusieurs investigations au-delà des Pyrénées. Voilà ce qu’il dit du parc Güell de Barcelone dans lequel l’architecte Gaudi a beaucoup utilisé la mosaïque : « L’Espagne est un pays où l’on tue beaucoup de taureaux dans les corridas, sans doute parce que l’œil noir de Carmen a trop regardé le toréador ».

Le reste de la carte est anodin à première vue : « Hôtel bien situé, très calme, avec petits déjeuners royaux » mais le timbre apposé ne laisse aucun doute : il devait être sur une affaire Miro-bolante. Peut-être enquêtait-il sur les velléités d’indépendance de la Catalogne ? Peut-être s’est-il infiltré dans les réunions secrètes où l’on préparait cela dans les arrière-salles du musée de l’érotisme ou dans un des attelages du musée des corbillards ?

Timbre Miro Barcelone

99 03 18 Lyon-Villeurbanne rectoMais venons-en à Jean Dupontet. Lui envoie à sa tante Ernestine des cartes postales de Lyon où « malgré le soleil du printemps, il est obligé de suivre six heures de cours par jour ». Il dit n’avoir pas emmené son appareil photo mais je pense que c’est pour tromper la censure. Le cachet de la poste indique « Villeurbanne P. Principal 18 mars 1999 ». A cette date il restait certainement encore à la mairie de Villeurbanne des traces compromettantes du passage de Charles Hernu en ces lieux.

SD Jersey rectoCertaines cartes sont parfois signées des deux cousins. Celle de Jersey, par exemple. Je suis sûr qu’ils enquêtaient sur la fameuse affaire du gang des trois trèfles qui a tant défrayé la chronique à l’époque. La carte elle-même est un mystère : les deux timbres ne sont pas tamponnés et pourtant Ernestine a bien reçu le message codé : le montant du transfert du joueur de foot Portelet a été placé dans un coffre du Montorgueil castle. Joseph écrit même « L’île n’est pas attrape-touristes pour deux ronds : ils ont assez à gagner avec leur paradis fiscal et nous sommes bien les seuls à nous y balader à pied.

 

AEV 1920-21 JP Timbres de Jersey

J’ai gardé le meilleur de cette première exploration cartophilique pour la fin. J’ai enquêté sur cette Ernestine Dupondet. J’ai découvert que son nom de jeune fille était Loges. Aujourd’hui Joseph pourrait s’appeler Dupondet-Loges. Je crois me souvenir qu’une rue porte ce nom à Rennes. Peux-tu me le confirmer et mener des investigations là-dessus de ton côté ? Elle avait une sœur jumelle, Eléonore Loges, et c’est justement celle-ci qui a épousé Emile Dupontet, le père de Jean. Les Dupondet-Dupontet sont donc cousins par les femmes, ce qui explique leur extraordinaire ressemblance.

 AEV 1920-21 A Joseph Dupondet
Joseph Dupondet
par Henri Cartier-Bresson

 AEV 1920-21 A Jean Dupontet
Jean Dupontet
par Henri Cartier-Bresson

Je t’enverrai dès que possible la suite de mes investigations.

Bises à Isabelle et bonne fin de carrière à toi !


P.S. Prends note de ma nouvelle adresse à compter du 1er avril : M. Ferdinand Flure, 3, rue du Nombril en forme de cinq à Sète, 34000.

Publicité
Publicité
Commentaires
L'Atelier d'écriture de Villejean
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité