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L'Atelier d'écriture de Villejean
30 mai 2017

Une jeune fille aux yeux pers / Eliane

AEV 1617-28 serveuse

Elle avait les yeux pers, il avait les yeux vairons.

Elle portait une robe incarnat sur sa peau d'albâtre.

Il la contemplait, admiratif, mais elle ne le regardait pas. Elle était au bout du rouleau, elle avait servi des cafés, des cafés au lait, des cacaos toute la journée mais bien sûr il ne le savait pas. Il ne savait pas qu'elle avait dû sourire à des clients acariâtres, éviter les mains baladeuses de quelques abrutis ou réparer les dégâts de quelques « absents » qui avaient renversé leur tasse.

Il ne voyait rien de tout cela, animé du désir de lui être agréable. Il avait envie de lui offrir du champagne, des roses rouges et même, et surtout, de l'emmener au septième ciel.

Alarmé, il vit un homme s'approcher d'elle. Un grand mec à la chevelure d'ébène et à l'air altier. Ouh, la, la ! La compétition allait être rude ! Mais la belle tourna la tête et regarda par la fenêtre. Sauvé pour cette fois-ci, mais il avait eu la frousse.

Brusquement, tous les hommes lui paraissaient être des ennemis, des dangers. Par exemple celui-là qui fumait un havane dans le fauteuil Club, ou cet autre, véritable statue de bronze, accoudé au bar.
Même celui-là qui ne payait pas de mine avec sa tignasse couleur carotte.

Bon, assez, il lui fallait être dans l'action. Quelle stratégie adopter ? Il ne fallait pas se planter, se faire rembarrer sous peine d'avoir le cœur lourd et de se traîner des tonnes de cafard. Tout cela le rendait anxieux.

Il en était là de ses ruminations quand brusquement elle se leva, prit son sac et sortit.

Il décida de la suivre.

Elle semblait d'humeur insouciante, un léger sourire grenat sur ses dents de porcelaine. Elle marchait d'un pas alerte, dansant, dans cette ville de pierres grises et d'ardoises brillantes de pluie.

Elle était comme délestée du poids qui, un instant avant, ployait ses épaules.

Curieux il la suivait, inquiet de sa destination mais charmé par cette ballerine qui évoluait devant lui.

Elle s'arrêta devant un grand porche marron, sonna, le porche s'ouvrit et se referma derrière elle.

Arrivé à son tour devant ce portail, il constata qu'il ne portait aucune indication, aucun nom, seulement une sonnette couleur argent.

Il sonna, on lui demanda qui il désirait voir. Il ne connaissait pas le nom de la belle. A tout hasard il dit : « Isabelle ». « Il n'y a aucune Isabelle ici. » Il resta coi, dégrisé, dépité.

Puis il sonna à nouveau : « Excusez-moi, mais il y a une jeune femme qui vient d'entrer, elle a perdu une barrette, une belle barrette incrustée de saphirs. Je voudrais la lui rendre. On lui demanda d'attendre puis on l'informa que non, nulle barrette de ce genre n'avait été perdue.

Contrarié, déboussolé, il ne savait que faire. Il tenait tellement à l'aborder, à lui adresser la parole, à tenter sa chance.

Il décida d'attendre, elle finirait bien par sortir, même si ce n'était que le lendemain.

Il alla s'asseoir sur un banc et resserra sa veste autour de lui. L'espoir était incrusté en lui.

Mais il avait froid et il avait faim. Il grelottait. Un passant compatissant lui demanda s'il avait besoin d'aide. Il lui lança un regard noir, haineux, en déclarant qu'il n'avait rien demandé. Le passant effaré passa son chemin.

AEV 1617-28 coralie

Le temps passait et, à la longue, il eut vraiment trop froid et trop faim. La mort dans l'âme, il se décida à entrer dans ce café, un peu plus loin, qui éclairait le trottoir d'un rectangle jaune.
Il se sentait amer, commanda un chocolat chaud. Il voulait bien aussi les quelques groseilles qui traînaient sur le bar.

Derrière celui-ci deux serveuses ronchonnaient. « Vraiment elle exagère, elle a maintenant une demi-heure de retard. » Le patron intervint : « Finalement Coralie ne viendra pas ce soir, mais il n'y aura plus beaucoup de clients maintenant, Solange, tu peux partir. »

Il leva les yeux : « Coralie, cette jeune femme aux yeux pers, à la peau laiteuse qui aujourd'hui portait une robe rouge ? ».

Les serveuses acquiescèrent et il se sentit soudain envahi d'un doux bien-être. Voilà ! Elle travaillait ici, désormais il saurait où la trouver.

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