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L'Atelier d'écriture de Villejean
6 février 2024

La Famille M. / Jean-Paul

 

 

C'était au temps, au temps des balbutiements, au temps des balbutiements de la photographie.

 

Au temps... mais pas autant que ça. D'abord la photographie en couleurs existait déjà. C'était au temps des balbutiements du XXe siècle. Comme à toutes les époques on avait prononcé des vœux pour que le progrès apporte du bonheur à tout le monde. Mais le progrès est un drôle de zigoto, un méchant sacripant. Au lieu du bonheur il a livré la Première Guerre mondiale.

 

Alors les belles épaulettes du capitaine, ses clinquantes médailles arborée comme des trophées, son quant-à-soi et ses gants blancs ont peut être connu la boue de Verdun, les tranchées de 14-18, le raffut des bombardements.

 

Et dès lors ce portrait est une aimable parenthèse et ce balbutiement photographique est un chef-d'œuvre.

 

***

 

Toutes les photos de la famille M. sont en vrac les unes par-dessus les autres dans une chemise bleue. Aucune indication sur la couverture. Rien d'écrit au dos de chacune, excepté sur celle des institutrices en chignon : « Madlle Roset in memory of the year 1899-1900 ».

 

Elles sont toutes en noir et blanc, pour beaucoup de belle qualité, prises par un photographe professionnel. Il faudrait dresser la liste de ces artistes de l’immortalisation pour qu'on se croie dans un roman de Patrick Modiano :

 

Louis, 29 boulevard Saint-Martin Paris ;
E. Hoffmann Genève ;
F. Besson Chambéry ;
Baillif-Vial Annemasse.

 

***

 

Parfois je me demande si ces gens et si moi-même qui ai pratiqué le sport photographique en laboratoire amateur nous n'avons pas vécu notre vie dans un monde qui était lui-même en noir et blanc !

 

***

 

De Mademoiselle Roset nous savons qu'elle était institutrice parce que la chemise bleue contenait son « Brevet de capacité pour l’enseignement primaire ». On lit sur ce document sa date et son lieu de naissance. On subodore, parce qu'on a trouvé le même certificat au nom de Théophile M. que l'on se trouve en présence d'un couple d'instituteurs. Sont-ils de ceux qu'on appelait les hussards noirs de la République ?

 

***

 

 

On confierait bien l'enquête à Florent Fouillemerde, le plus amateur des détectives privés que nous connaissions, mais il a pris sa retraite la semaine dernière. On a arrosé ça avec un planteur martiniquais concocté par dame Brigitte donc je ne vous dis que ça.

 

Et c'est pourquoi on ne peut compter que sur le jeu des ressemblances pour essayer d'identifier Théophile et Sophie.

 

Ils sont certainement les parents de Guy et Serge M. dont les certificats d'études primaires figurent eux aussi dans la chemise bleue.

 

Comment se prénommait le troisième frère ? Il y a plusieurs photos du trio : enfants dans une blouse à carreaux, jeunes hommes brillantinés en costume des années 30, en mode Charles Trénet, et puis, plus âgés, la fleur à la boutonnière sur une photo prise peut-être en marge d’un mariage mais pas celui de la grande photo.

 

Marina Bourgeoizovna, ma collaboratrice à moi, a connu Serge M. et l'a identifié au deuxième rang à droite.

 

J'ai tendance à penser que Théophile et Sophie jeunes sont sur la photo de E. Hoffmann, celle où l'on voit un berceau blanc. Mais il y a un air de ressemblance entre Sophie et la compagne du capitaine. S'agirait-il de deux sœurs ?

 

***

 

On peut très bien se dire que cela n'a pas d'importance. Sans ce syndrome de Diogène qui caractérise quelque peu ma belle-famille - on ne jette rien, ça peut toujours servir ! - ces photos auraient pu partir à la baille et j'aurais pu ne jamais entrer en contact avec elles.

 

Mais on a beau être huit milliards d'individus sur la terre je sais que je dois être reconnaissant à Théophile et Sophie d'avoir engendré Serge et je dois être reconnaissant à Serge et Lucienne d'avoir engendré Colette.

 

Et si Colette qui était la marraine de Marina B. n'avait pas trouvé ce travail à la B.N.F. à Anne F. et si je n'avais pas sympathisé avec cette native du Capricorne qui m'as mis en contact avec Marina et si et si et si... je ne serais peut-être pas aussi heureux qu’en ce moment, à Rennes, à jubiler intérieurement des espèces de farces, d'histoires et d'émotions que l'on peut tirer d'un paquet de 23 vieilles photos en noir et blanc en compagnie de sept personnes dotées d'imagination et d'humour : il leur en faut, ne serait-ce qu'un peu, pour supporter ainsi mes consignes d'écriture excentriques !

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6 février 2024

Nostalgie, quand tu nous tiens / Marie-Thé

 

 

Je me suis souvent demandé pourquoi l’odeur forte, l’allure et le corps musclé des chevaux ont toujours provoqué en moi des émotions soudaines et incontrôlées.

 

Ce matin, cherchant un document dans mon grenier, je découvre une superbe photo de José et Amélie, mes grands-parents, avec leurs deux chevaux.

 

Ils sont jeunes, à peine la trentaine. Ils ne savent pas encore qu’ils auront dix enfants et que la ferme dont ils viennent d’hériter deviendra une exploitation prospère régentée par leur benjamin le siècle suivant.

 

Leurs enfants sont tous allés à l’école jusqu’à l’âge de douze ans, puis de quatorze ans pour les plus jeunes.


Au fur et à mesure qu’ils ne sont plus scolarisés, ils restent travailler à la ferme quelque temps avant de quitter le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés, comme le chante si justement Jean Ferrat.


Certains rencontrent une fille qui est héritière d’une ferme. C’est ainsi que mon père, beau garçon, un brin baratineur, a séduit Joséphine, ma mère, au bal du village. Ils se sont installés dans la petite exploitation de Joséphine que progressivement ils ont modernisée.


Je suis leur sixième et dernière fille.

 

Parents et enfants formions une équipe joyeuse et insouciante. Bien que la ferme se soit équipée d’un tracteur mon père ne s’est jamais résolu à vendre ses chevaux. Chaque année, un poulain naissait dans l’écurie. Nous avions des fous-rires en voyant ce cheval miniature se dresser maladroitement sur ses jambes. Celui-ci était vendu quelques mois plus tard.

 

Tous les dimanches, nos oncles et tantes venaient partager notre repas. Avec nos nombreux cousins, nous partions batifoler dans les champs jusqu’au goûter. Alors ma mère taillait des grandes tranches de pain que nous dévorions avec du beurre et du chocolat.

 

Je regarde cette photo de mes grands-parents que j’ai à peine connus. Alors montent en moi des odeurs de feux de cheminée, de vaches, de chevaux, de champs de navette ou de terre humide et je deviens nostalgique de la vie simple et chaleureuse vécue dans mon enfance.

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