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L'Atelier d'écriture de Villejean
26 mai 2020

La Soupe / Adrienne

AEV 1920-32 Consigne

Panneau indiquant le léger virage à effectuer vers la gauche pour porter la cuillère dans l’assiette de soupe. 

Pour cela il faut évidemment tenir la cuillère à soupe dans la main droite.

D’où l’utilité d’un policeman.

CQFD 

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26 mai 2020

La Poupée décapitée / Raymonde

Fin des années 50, au cœur de la Bourgogne, à 5 kilomètres de Chardonnay (ça vous dit quelque chose ?)  :

" Au pied d'une vigne nous naquîmes un jour
D'une mère digne de tout notre amour "

Des faux jumeaux, mon frère type méditerranéen comme ma mère et moi type " nordique " comme mon père.

Même si, à cette époque, les enfants jouissaient d'une grande liberté, les garçons avaient des jeux de garçons et les filles des poupées, des dinettes.

Nous étions relativement pauvres, habillés comme des perroquets avec des pulls tricotés, détricotés, retricotés avec des laines de toutes les couleurs ; 100/100 locavores et scolarisés à six ans, pas d'école maternelle au village.

Donc, jusqu'à six ans, la campagne environnante était notre immense terrain de jeux, parfois interdits :
- faire du feu
- fumer des branchettes d’arbustes qui dégageaient une odeur âcre et nous faisaient tousser
- goûter à tout ce qui était mangeable (comestible, moins sûr !)
- faire vivre des expériences inédites et insolites au souffre-douleur du groupe.

Il ne fallait pas se faire " choper " sinon c'était la punition ! Coups de houssine sur les mollets, vite oubliés, et prêts à tenter d'autres expériences. Ma mère avait le coup de houssine facile et le premier qui lui tombait sous la main prenait pour les deux. Comme je courais moins vite que mon frère ... J'avais alors un sentiment d'injustice.

Ma copine Nono pouvait tout faire sans jamais rien risquer. Que je l'enviais! Elle pouvait prendre les poussins dans son lit, n'était pas obligée de finir son assiette de haricots verts et avait une télévision. Un indescriptible désordre régnait chez eux, j'adorais !

Chaque Noël, nous avions un jouet chacun et, un noël en particulier, j'ai eu une poupée qui fermait les yeux quand on la secouait un peu, le mécanisme était assez aléatoire !
J'y tenais beaucoup. Ma grand-mère lui avait confectionné des vêtements ; j'en prenais grand soin.

Mon frère avait eu une panoplie d'indien, les westerns étaient à la mode. Et avec toute la bande de garçons du village, ils se sont improvisés chasseurs de tête. Ils ont décapité nos poupées et accroché les têtes sur les piquets de la clôture.

Vision d'horreur ! J'étais effarée, sidérée ! Quelle violence ! Quel manque de cœur !
Et ce qui m'a le plus marquée : pas de punition !

Ma mère a remis tant bien que mal la tête de ma poupée en place. Elle a ensuite dodeliné du chef les yeux mi-clos pendant de nombreuses années .Elle a fini à la déchetterie il y a peu de temps.

AEV 1920-32 Raymonde Plonk

26 mai 2020

La Cave / Raymonde

Nous avions notre souffre-douleur, Jojo, petit dodu qui avait un épi sur le devant de la tête et que nous avions surnommé Riquet-à-la-houppe. 

Il tombait beaucoup plus souvent que la moyenne dans les orties, allez savoir pourquoi !

J'avais décidé de lui cacher son cartable, aucune raison rationnelle, aucun compte à régler, juste un défi ! Je lui subtilisai sur le chemin du retour de l'école, quand nous nous arrêtâmes pour jouer. Et je le jetai par le premier soupirail de cave venu, chez Gégène.
Ni vu, ni connu ! 

Fin des jeux. Chacun reprend son cartable et, mystère, il en manque un ! Je cherche activement comme tout le monde. Le cartable reste introuvable !
Le coupable doit se dénoncer sinon ! Sinon quoi ?  Les garnements sont les premiers suspectés mais pas les filles ! Une fille ne ferait pas ça ! Et moins encore moi. Pensez donc, une petite fille si sage qui travaille bien à l'école, même pas un soupçon de soupçon !

Le comble est que Jojo a pris un sacré savon par ses parents :

- Tu pourrais faire attention à tes affaires !
- Tu crois qu'on a les moyens de... !
- T’as rien dans le ciboulot !

J'avais à la fois un peu honte et un sentiment de fierté de mobiliser quasi tout le village à la recherche de ce cartable. Je n'ai pas menti : on ne m' a rien demandé ! Le cartable a été retrouvé bien longtemps après quand Gégène a fait un peu de rangement dans sa cave. L'affaire n'a toujours pas été élucidée ! Cold case ! Je compte sur votre discrétion.

Je croise chaque été Jojo quand nous allons en vacances dans mon village natal.

AEV 1920-32 Raymonde B Plonk Bottetrain

20 mai 2020

Consigne d'écriture 1920-31 du 19 mai 2020 : 5 consignes de Pascal Perrat

5 consignes de Pascal Perrat

AEV 1920-31 Entre2lettres-e1539749742913-130x107

Nous allons au moins une fois par an emprunter des consignes au blog-atelier d'écriture "Entre2lettres" de Pascal Perrat.

C'est le cas cette semaine. Vous avez le choix entre écrire plusieurs petits textes courts ou un long en partant de ces cinq propositions. Vous avez aussi le droit de tout mixer !

493 Cure de jouvence

La cure de jouvence à laquelle il ne croyait pas,dépassa toutes ses espérances. Il rajeunit de dix ans. S’il avait été raisonnable il en serait resté là…

Inventez la suite, sachant qu’il peut s’agir de quelqu’un : homme, femme ou tout autre chose.


492 La forêt domaniale

C’est une forêt domaniale, Lulu en a hérité. Chaque arbre porte le surnom du membre de la famille qui l’a planté. Aujourd’hui, Lulu a décidé d’éclaircir quelque chose avec Féfé, un vieux châtaignier qui en sait plus qu’il n’en dit sur Lolo.


491 Le sourire de la fleur

Sur l’étal d’un fleuriste une fleur lui avait souri. Croyant avoir rêvé elle revint sur ses pas pour s’en assurer. À son grand étonnement…


490 Salut Vélin !

– Salut Vélin ! Comment vas-tu depuis que t’es recyclé ?
– Un peu chiffon, parfois, et toi ?

Continuez le dialogue.


488 Lettre à mon « ostéopote »

Cher ami, toi qui est « ostéopote », quel est ton avis ? Depuis que le printemps est là j’ai comme un pré dans le cerveau. Dès l’aurore, j’entends tintinnabuler les clochettes d’un troupeau broutant dans ma tête.

Rédigez la réponse de l’ostéopote.

AEV 1920-31famille-stylo-e1584461511776

19 mai 2020

Salut Vélyn ! / Dominique H.

- Salut Vélin ! Comment vas-tu depuis que t'es recyclé ?

- Un peu chiffon, parfois, et toi ?

Pointe d'humour sans concession autorisée par la complicité et l'intimité que partagent ces deux amis de longue date. Depuis leurs récentes grandes retrouvailles, ces deux phrases étaient devenues leur code secret de salutation.

- Bof ! répondit Félix, je suis en mode « pause ». Béatrice « souchonne » à Betton, elle a besoin de calme pour déconfiner. Alors je m'occupe et l'idée m'est venue de venir faire un tour du côté de ta forêt domaniale. Quelques coups de pédale et me voilà. J'avais aussi envie de te voir depuis les dernières finitions de ton recyclage et de savoir si ta peau avait gardé la douceur du vélin à l'ombre du confinement.

- Ce en quoi, répondit Evelyne, moi aussi je suis ravie de te voir en chair et en os, Félix, après ces huit longues semaines confinées et surtout de revoir ton sourire en coin ponctuer ton humour à nul autre pareil !

AEV 1920-31 Dominique - rose jaune

Félix fait comme chez lui et installe dans un joli vase col de cygne en pâte de verre opalescent une sublime rose jaune.

C'est aussi cette rose qui m'a fait penser à toi, Evelyne. Je sortais mon vélo tout en balisant mentalement mon itinéraire quand une senteur abricotée m'arrêta : c'était l'arôme d'une rose fraichement éclose du rosier-tige Nicolas Hulot, celui que j'ai planté l'automne dernier près de l'allée. Je l'ai regardée avec tendresse, peut-être même avec amour, et elle m'a souri ! J'ai cru rêver, je suis revenu sur mes pas et, à mon grand étonnement, l'ourlet des trois pétales du bas dessinait vraiment un beau sourire. Et par un chemin de traverse du pré de mon cerveau, je l'ai aussitôt imaginée dans ton joli vase vert d'eau. Voilà, mon itinéraire était fait : direction la coquette masure de Vélyn dans la forêt domaniale de Lulu. Avec un peu de chance je te trouverais chez toi encore confinée. Bingo ! J'ai gagné, et toi aussi : me voici arrivé la bouche en coeur, la rose dans la poche extérieure plus un saucisson dans le fond du sac à dos. Je sais que tu as une bonne cave. Beau programme !

Minette, la vieille chatte d'Evelyne, a observé la scène de retrouvailles des deux potes et n'en pense pas moins : s'il y en a un qui connaît sa maîtresse Evelyne dans tous les coins, ou presque, c'est bien Félix. Ces deux-là se connaissent depuis la sixième et à vrai dire, c'est à cette époque que la démarche mentale de «recyclage» de Vélyn a commencé.

Vélyn est né à Rennes, mais il a vécu ses dix premières années à Londres, sa mère, Véronique, y ayant accompagné son père, John, peu après la naissance de leur fils. Véronique avait connu John dans la librairie où elle était vendeuse, rue Saint- Georges, il cherchait un guide touristique de la Bretagne. John venait d'arriver en France, il travaillait « dans les affaires », il était grand et mince, roulait à vélo, son accent était charmant. Bref il avait tout pour plaire. Adroit de ses mains, il bricola un tandem et les voilà tous les deux partis en août faire le tour de la Bretagne, la canadienne dans les sacoches. A Carnac, le condom craqua et neuf mois après, en mai 1950, un petit garçon naquit. Son père le reconnut, et déclara sous le prénom anglais épicène d'Evelyn et son nom Smith.

Pour la famille de Véronique ce prénom étranger ambigu fut la goutte qui fit déborder le vase du déshonneur familial et elle décida de vivre sa vie. La nouvelle famille habitait en meublé dans une chambre de bonne de la rue Saint-Georges, au-dessus de la librairie. C'est là que Véronique était venue se réfugier trois mois avant la naissance pour échapper aux remontrances familiales. Elle avait eu vingt et un an, gagnait sa vie et avait donc les moyens de sa liberté. La naissance se passa comme une fleur à la maternité de l'Hôtel-Dieu, John reconnut l'enfant et le déclara donc sous le prénom d'Evelyn rapidement transformé en Vélyn avec la prononciation à l'anglaise.

Quand Vélyn eut un mois, John et Véronique se rendirent à la gare à pied, le père tenant fermement le tandem alourdi par les sacoches pleines à craquer et la mère poussant le landau rempli par leur linge qui tenait lieu de matelas au bébé. Vélyn était un bébé florissant comblé par le sein de sa mère, les bras de son père. Vélyn a souvent entendu ses parents se remémorer cette expédition : Rennes-gare Montparnasse, gare Montparnasse-gare du Nord, quatre kilomètres cinq à pied dans les rues de Paris, puis Paris-Calais en train, puis Calais-Douvres en bateau, et enfin Douvres-Londres en train.

AEV 1920-31 Dominique - cadenas

A Londres John retrouva ses repères et son réseau et la famille se débrouilla. Vélyn apprit la langue maternelle et la langue paternelle et Véronique devint aussi bilingue. Dès que Velyn fut scolarisé, John l'aida à trouver un travail de vendeuse en librairie. Cette vie heureuse aurait pu continuer ainsi si John n'avais pas succombé aux charmes d'une nouvelle vendeuse en librairie. Elle était portugaise et John partit un beau jour vivre au Portugal, il aimait charmer, il vivait dans l'instant et oublia tout simplement sa famille de Londres.

Pas de mariage, donc pas de divorce. Vélyn avait alors huit ans. Véronique qui n'avait pas un tempérament de victime continua à payer le loyer, hébergea une fille au pair et resta vivre à Londres encore deux ans. Puis, ayant renoué avec certains liens d'avant, elle revint vivre à Rennes. Vélyn avait eu dix ans, et bon élève, était prêt à entrer au collège. Véronique retrouva facilement son ancien travail d'autant plus qu'elle maitrisait bien l'anglais et que Rennes sortait de sa léthargie séculaire de ville administrative pour devenir une ville étudiante. Véronique trouva à se loger rue d'Isly et Vélyn entra au lycée de l'avenue Janvier, bientôt nommé lycée François René de Chateaubriand puis en 1971 lycée Emile Zola.

C'est là qu'il rencontra Félix et que leur amitié démarra rapidement. Après l'école, ils fréquentaient tous les deux la section de gymnastique du patronage de la Tour d'Auvergne. Ils partageaient le goût pour cette discipline et Véronique qui travaillait jusqu'à dix-neuf heures et le samedi toute la journée était rassurée de savoir que Vélyn ne traînait pas dans les rues de Rennes en son absence.

Mais ce qui souda encore plus leur amitié c'est que Félix prit franchement la défense de Vélyn quand il fut victime de railleries : bon élève, particulièrement en anglais évidemment, jeune avec un physique encore d'enfant, il dérangeait certains, surtout les plus âgés qui avaient commencé leur puberté. Alors l'intimidation et l'humiliation étaient tentantes et la prononciation de son prénom à la française, Evelyn, se prèta à une raillerie facile : « Vélyn le vilain ! ». Ce fut une solide amitié qui dura pendant toutes les années du lycée, renforcée aussi par les camps d'été qu'organisait le super aumônier du lycée.

Félix aida vraiment Vélyn à survivre à son adolescence inconfortable et douloureuse. Vélyn cumulait les difficultés : l'absence de son père, un prénom épicène commençant de surcroît par Eve, une petite taille liée à une puberté tardive, puis le tumulte hormonal, les hésitations de l'orientation sexuelle et encore plus de celle de l'identité de genre. Vélyn avait expérimenté avant la puberté l'attrait qu'il déclenchait chez les garçons dont certains se révèleraient homosexuels par la suite, mais aussi l'intérêt des filles qui recherchaient aussi sa compagnie, il était gentil et délicat disaient-elles.

AEV 1920-31-Dominique-Adam-et-Eve

Vélyn était perdu dans toute cette confusion, et encore plus quand sortirent les premiers poils et les boutons... Heureusement, la peau de son thorax resta glabre et il échappa à la pomme d'Adam « Normal, remarqua Félix, ton prénom commence par Eve !».

Pour Félix, la vie était beaucoup plus simple : il rêvait clairement des filles et son premier poil sur le thorax lui fut un ravissement attendu. L'absence d'ambiguïté de Félix fut d'ailleurs d'un grand secours pour Vélyn qui pouvait s'ouvrir de ses atermoiements à son ami sans risquer de le troubler. C'était plus facile d'en parler à Félix qu'à sa mère qui, bien qu'occupée, n'était pas sans ressentir le désarroi de son fils, mais tous ces sujets autour de l'orientation et de l'identité sexuelle étaient encore tellement tabous dans les années soixante.

Alors Félix et Velyn partageaient les plaisirs des agrès, des barres parallèles, et bientôt 1une autre passion les accapara : les Beatles. Véronique avait pu offrir un électrophone à Vélyn pour son succès au brevet. Alors ils passèrent de la gymnastique sportive à « Salut Les Copains » pendant une courte période puis rapidement à la musique anglaise. Vélyn écoutait en boucle « Please, please me », il avait quinze ans. 

Puis ce fut le bac en 1967 et chacun partit de son côté. Velyn avait choisi Paris pour vivre sa vie plus librement qu'à Rennes et mettre de la distance avec sa mère, ses amis.

Il a fait des études d'architecture puis s'est orienté vers le design. Son métier l'a passionné et la vie parisienne culturelle l'a nourri. Par contre, sa vie affective fut une succession de hauts et de bas, de liens éphémères avec des hommes et des femmes, sans pouvoir créer de famille. Il s'allongea longtemps sur le divan d'une femme psychanalyste. Sans résoudre son problème d'identité, ce soutien régulier l'aida à vivre.

Pendant ce temps, Félix qui n'aimait pas se compliquer la vie fit des choix plus pragmatiques. Voulant éviter un métier trop accaparant, il choisit les sciences économiques puis les statistiques et fit carrière à l'INSEE. Il aimait la précision des chiffres et les conclusions claires. Ainsi il gagna bien sa vie, le cerveau occupé à simplifier des problèmes complexes. Le reste du temps il gardait l'esprit libre. Il était adapté à l'air du temps, se maria puis divorça à l'amiable au bout de dix ans et s'occupa de ses deux filles avec un système de garde conjointe.

Pendant plus de quarante ans les deux amis se amis ne se sont pas revus, les quelques tentatives de rapprochement initiées par Félix restant sans suite. Les rares fois qu'il croisait Véronique dans les rues de Rennes, elle répondait « Vélyn va bien, son travail marche mais sa vie est compliquée ». A l'heure de la retraite, Véronique s'est retirée à la campagne et Félix apprit plus tard qu'elle était décédée depuis 2010, elle avait quatre-vingt-deux ans.

Et voici trois ans qu’Evelyne a refait subitement surface à Rennes. Il lui avait fallu la conjonction de la retraite, de la loi du 18 novembre 2016 et probablement de quelques bonnes étoiles pour qu'elle s'autorise à changer d'état-civil tout en débutant une transition hormonale et physique. Ce fut pour elle une libération sans nom et une véritable renaissance. Elle a pu suivre patiemment les étapes de ce parcours médical complexe grâce à une endocrinologue compétente de Rennes qui l'a soutenue pour accepter les tâtonnements du traitement. Et, bénéfice secondaire, les œstrogènes ont été une vraie cure de jouvence, en particulier pour sa peau. Elle a seulement gardé sa voix un peu grave qui rappelle un peu celle de Juliette Gréco.

Par une amie, Lulu, Evelyne dégota une jolie maison dans la forêt domaniale. Au fond de son terrain, un vieux châtaignier, Féfé, lui tient compagnie et lui raconte des histoires.

Une fois bien installée, elle retrouva facilement les traces de Félix, elle se sentait prête et même impatiente de retrouver physiquement cet ami de jeunesse qui, sans qu'il le sache, l'a accompagné toute sa vie durant. Elle l'invita chez elle... par SMS en signant Evelyne suivi de sa date de naissance.

Félix tomba des nues et répondit aussitôt sans réfléchir « Oui, où tu veux, quand tu veux ! Je te joins une photo pour te préparer à l'état des lieux ».

Evelyne répondit aussi par une photo, et Félix la trouva très belle et très chic, avec bizarrement un petit air de Béatrice... A la retraite Evelyne était passée du design à la couture ou, comme elle aimait dire à l'art du chiffon. Elle était très douée pour recycler le moindre bout de tissu en fringue originale cool-class.

Et aujourd'hui, pour ces retrouvailles post-confinement, magnifique dans la dernière robe un peu décolletée qu'elle s'était créée, Evelyne avait réservé une nouvelle surprise à Félix, une surprise de taille : 90 B, la dernière étape du recyclage.

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19 mai 2020

Une fleur m‘a souri / Madame C.

Ce matin, passant comme chaque matin devant “La belle églantine“, le fleuriste de mon quartier, je m‘attarde à la devanture. Ce n‘est pas mon habitude, je suis un homme pressé et actif, les romances florales ne sont pas pour moi. Ma secrétaire gère très bien ce chapitre quand le hasard de la vie m‘impose d‘offrir des fleurs. Je jette un oeil rapide sur diverses compositions aux couleurs pastel et je m‘éloigne rapidement.

Quelques pas plus loin, une pensée me taraude : elle m‘a souri ! Pas la fleuriste ! Non ! Une fleur m‘a souri ! Le plus étonnant est que celle qui m‘a souri l‘a fait si timidement, si discrètement, que je pense être le seul à l‘avoir senti. Je reviens en arrière pour la contempler .

AEV 1920-31 Madame CCe n‘était certes pas une aguicheuse, de celles qui, tous pétales ouverts, s‘offrent aux regards, de celles qui exhibent leurs couleurs tapageuses, de celles qui vous entêtent de leurs parfums tenaces, de ces fausses vierges drapées dans leur blancheur. C‘était celle que l‘on ne remarque pas, oubliée au milieu d‘une composition, raide, crispée, noire. La tulipe noire m‘avait souri !

Je restai un long moment à la regarder, si seule au milieu des autres. Mon coeur se mit à battre curieusement, mes jambes tremblaient. J‘entrai dans la boutique et achetai le bouquet, refusant l‘emballage que proposait la vendeuse.

En courant, j‘arrivai à mon bureau et le posai devant moi. Je pris délicatement la tulipe et lui murmurai des mots que je n‘avais jamais dits, des mots d‘amour, je crois. Je me précipitai comme un fou dans le bureau de Josette, ma secrétaire. Toujours si sobre et si sévèrement vêtue, elle me regarda et elle me sourit.

- Josette, vous êtes ma tulipe noire, je vous aime, dis je en lui tendant le bouquet.

19 mai 2020

Cure de jouvence / Marie-Thé

Une semaine après leur retour des dernières vacances à Petit-Fort-Philippe, Marie ressentait un malaise. Félix ne la titillait plus, elle était de plus en plus serrée dans ses pantalons et surtout elle éclatait en sanglots pour un rien. 

AEV 1920-31 Marie-Thé - Abbé Soury

Levée de bonne heure ce samedi matin, Marie se dit qu’elle devait retrouver de la vigueur. « Fais donc une cure de jouvence de l’Abbé Soury, ça ravigote » lui avait dit sa mère la veille au téléphone.

Pendant 15 jours elle a siroté à petites gorgées la fameuse potion, surveillé sa nourriture et 3 fois par semaine elle a fait du jogging dans son quartier pendant une demi-heure.

Le lundi suivant, dans l’ascenseur, le beau brun du 5e étage lui dit en lui mettant la main sur l’épaule : « Vous êtes resplendissante ce matin ». Toute la journée Marie en est tourneboulée.

Le mardi, toujours dans l’ascenseur, il lui caresse la joue. Marie devient rouge comme une pivoine quand il lui chuchote à l’oreille d’un ton espiègle : « A demain !».

Le mercredi, il l’embrasse sur la joue et lui fixe un rendez-vous. Si elle avait été raisonnable, elle en serait restée là. Mais aujourd’hui elle n’a pas envie d’être sage, elle se sent rajeunie de 10 ans. En passant devant l’étal du fleuriste elle croit rêver en voyant une fleur lui sourire. Elle revient sur ses pas et s’esclaffe devant une anémone rouge au cœur noir qui se balance au gré du vent. « Oh la la, je fabule, je suis vraiment sur un petit nuage ! ».

Ce même matin, Félix a croisé le concierge qui, d’un air narquois lui dit qu’il avait vu sa femme, « belle à croquer », sortir de l’ascenseur tout sourire avec le Don Juan du 5e étage. « Elle est bien mignonne vot’ petite femme, Mr Félix ! ».

Toute la journée Félix a ressassé les paroles du concierge. Il y a bien longtemps qu’il n’a pas vu Marie sourire, sauf depuis 3 jours où elle fredonne « La Vie en rose » en souriant d’un air mélancolique. 



Il la connaît sa Marie. Le type du 5e pourrait bien l’ensorceler. Marie, c’est son amour « à lui ». Il va la reconquérir. Le soir même, il l’accueille comme une reine et l’emmène au cinéma voir son acteur fétiche, André Dussollier. Dans la nuit Marie se demande ce qu’il y a dans la Jouvence de l’Abbé Soury pour que, d’un seul coup, les hommes s’intéressent à sa petite personne.

19 mai 2020

Le Diagnostic de l'ostéopote / Raymonde

Cher ami, toi qui es " ostéopote" quel est ton avis ?
Depuis que le printemps est là, j'ai comme un pré dans le cerveau.
Dès l'aurore, j'entends tintinnabuler les clochettes d'un troupeau broutant dans ma tête.

Ma chère amie,

AEV 1920-31 Raymonde - Amélie N

Vous m'aviez contacté l'autre jour, dès potron-minet, pour me faire part de votre effarement quand en vous regardant dans le miroir, vous trouviez que vous ressembliez à une loutre mouillée aux yeux globuleux.

Certes vous n'êtes point une beauté fatale, Marie-Chantal ! Vous faites partie de cette lignée qui, au fil du temps, à force de mariages consanguins, est un peu " dégénérée". Je dis " vous " en pensant large, toute votre famille proche et moins proche. Enfin ce que j'en connais !

 Vous m'aviez également appelé, toute affolée, un soir entre chien et loup pour me dire que vous aviez le sentiment d' être habitée par un être étrange qui affirme que 1 et 1 font 11 et non pas 2 et que vous étiez d' origine belge.

 Prenez-vous bien votre traitement pour vos troubles de la personnalité ? Les clochettes du troupeau qui tintinnabulent dans votre tête sont vos neurones qui se désintègrent. Ding ! Ding ! Dong ! Au rythme où ça va, vous serez décérébrée dans peu de temps.

 Pensez à régler mes honoraires par virement dès que possible, avant que vous soyez interdit bancaire. Et dites à votre mari Charles-Hubert qu'il doit augmenter son traitement contre les hallucinations, lui aussi a cru voir une loutre dans votre salle de bain.

Bien à vous. 

19 mai 2020

La Fleur qui parle / Raymonde

Sur l'étal d'un fleuriste, une fleur lui avait souri.
Croyant avoir rêvé, elle revint sur ses pas pour s'en assurer. À son grand étonnement elle entendit :

- Bonjour, Fleur de Tonnerre ! Tu caches bien ton jeu, l'empoisonneuse, tu viens chercher de la belladone, de la ciguë ou du pavot ? Qui veux-tu éliminer de ta vie ? Remarque, parfois, il y a des tronches qui ne me reviennent pas, les hypocrites qui achètent des fleurs pour se faire pardonner leur goujaterie ou leur infidélité, les radins qui veulent le moins cher, les snobs qui donnent le nom latin des fleurs et des plantes. Peu trouvent grâce à mes yeux. Seul le petit enfant qui vient acheter une fleur à sa maman avec ses petites pièces dans la main ou ce jeune homme pour sa mamie qui est à l'hôpital. Et on en entend des histoires vraies ou fausses, va savoir !

- Mais je ne m'appelle pas Hélène, mon prénom est Marguerite !

- Marguerite, fleur sauvage que l'on effeuille pour savoir si c'est à la folie ou pas du tout !

AEV 1920-31 Raymonde - Bégonia

- Eh ! Pas si vite ! Vous ne savez rien de moi, Mr Bégonia ! Je puis vous envoyer sur les roses !

- Voyez-vous ça ! Ne vous méprenez pas, je ne vous conte point fleurette, je voulais simplement que vous vous intéressiez à moi. En ce moment, il n'y en a que pour les orchidées !

- Pouvez - vous m'assurer que vous n'allez pas déprimer si j'oublie de vous arroser ? Que vous n'allez pas vous dessécher si j'omets de vous mettre à l'ombre lorsque le soleil est au zénith? Saurez-vous rester seul quand je partirai en vacances ?

- Je puis vous l'assurer, je suis peu exigeant, j'ai seulement besoin d'attention et de compagnie.

Et c'est ainsi que Bégonia enchanta la vie de Marguerite pendant de longues années.

Puis Marguerite s'en est allée, Bégonia l' a accompagnée, il refleurit chaque année.

19 mai 2020

La Cure de jouvence / Jean-Paul

La cure de jouvence à laquelle il ne croyait pas a dépassé toutes ses espérances. S’il avait été raisonnable, il en serait resté là mais le Monde est comme ça, insatiable, il part dans tous les sens. Surtout le jeunisme n’a jamais été aussi développé qu’en ces années 2010. Golden boys, traders à la Jérôme Kerviel, Mr et Mme Smith, Angelina Jolie. C’est comme ça qu’on a vu tous les vieux enfourcher une trottinette (électrique) ou un vélo (électrique forcément) pour aller manifester dix ans plus tôt contre le nucléaire et le tout-financier. Allez le Monde, en route !

Faut dire, en 2010, le Monde venait de se payer la crise des subprimes et ça avait coûté bonbon, voire mistral gagnant, à bon nombre d’Américains. Alors du coup le Monde a encore voulu rajeunir de dix ans pour voir si ça n’était pas mieux encore avant.

AEV 1920-31 Loterie solaire- Jean-Paul

Il a franchi sans bug le tournant de l’an 2000 et s’est retrouvé au vingtième siècle. Encore cinq ans et on vivait sans Internet ! On collait à nouveau des timbres sur les lettres en léchant le cul de Marianne ! On ne savait rien de l’Amazon – c’était juste un fleuve ou une chasseresse à un seul sein – et on commandait ses soutiens-gorge (quel pluriel à la con !) à la Redoute à Roubaix ou aux Trois Petits Suisses à Pré Saint-Gervais.

Et puis en reculant encore le Monde a chuté du mur de Berlin, il est passé du bilan globalement positif de la fin du socialisme à l’Est au monde du rideau de fer avec d’un côté la queue pour pas de viande et de l’autre des manifs de vieux qui clamaient « Ce qu’il leur faudrait c’est une bonne guerre froide !».

Après, ou plutôt avant, je ne sais plus : je n’étais pas né. Et de toute façon ce retour vers les jours heureux, moi je n’y crois pas. Les jours heureux c’est aujourd’hui. Ma cure de jouvence je la fais tous les jours : je me replonge dans mes bandes dessinées, j’écris des bêtises, je caresse ma guitare et je relis – sur une liseuse - mes bouquins de... science-fiction !

Sorti de là, le Monde va où il veut ! Je n'en ai cure !

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