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L'Atelier d'écriture de Villejean
21 mars 2023

Lettre à un fantôme / Jean-Paul

Cher fantôme,

Depuis combien de temps sommes-nous ensemble ? Ensemble sur la même planète, absents-présents au monde qui nous entoure et, de plus en plus, au fur et à mesure qu'arrivent d'autres créateurs, d'autres bavards du net et des réseaux sociaux, plongés dans l'anonymat et l'oubli ?

Moi, d'être devenu un fantôme pour le monde du travail, ça me va ! La réalité d'un individu libre, en bonne santé, à qui il est permis d'écouter son cœur-enfant et de se balader dans les musiques, les livres, les lieux de spectacle et de relations sociales de sa ville, ça me convient tout à fait.

Mais toi, fantôme de papier, comment peux-tu survivre et ne pas sombrer dans les oubliettes à l'heure du manga dominant, du jeu vidéo d'après blockbusters, de métavers, de smartphones et d'influenceurs·ses ?

AEV 2223-24 Jean-Paul - Lettre au fantôme

Et puis d'abord si tu es « LE fantôme du Bengale » pourquoi indique-t-on sur la couverture de tes fascicules « aventures américaines » ?

Je me souviens que je t'ai découvert chez mon arrière-grand-mère sur une page ou une demi-page de ses magazines féminins, « Nous deux » ou « Intimité du foyer » et on pouvait lire quelque part la formule « Copyright Opera mundi » ou quelque chose comme ça. Il y avait aussi « Arthur et Zoé » ; j'ai découvert récemment que dans la version originale Zoé s'appelait Nancy ! Nan ? Si ! Mais rien à voir avec la place Stanislas !

C'est fou, l'imagination ! L'imagination des Américains encore plus que la nôtre, même s'ils ne sont que des Européens mal descendus du bateau Emigration et que le mal de mer de la traversée les a chanstiqués à jamais ! Il y a donc eu un type dans les années 30 ou 40 du siècle dernier, un nommé Lee Falk, qui t’a imaginé et un autre qui t’a dessiné avec un costume moulant rouge, un slip noir par-dessus, un revolver à la ceinture et un loup noir façon Zorro ou carnaval sur les yeux. A l’origine ta combinaison d’homme grenouille était violette mais pour des raison de difficulté d’encrage elle est devenue rouge dans l’adaptation française.

Est-ce que c’est là la tenue la plus pratique pour survivre dans la jungle ? Faudra qu’on demande à Tarzan et à son slip léopard ! On ne comprend pas bien pourquoi ton compagnon noir nommé Lothar est vêtu lui aussi d'une peau de bête alors qu’on trouve tout à la Samaritaine ! Est-ce du racisme à la mode d’Hollywood ? L’acteur noir qui joue le rôle n'a pas accès aux mêmes magasins de costumes que le grand blanc athlétique à mâchoire carrée ?

[Gasp ! J’ai confondu ! Lothar, c’est chez Mandrake le magicien !]

Si je t'écris ce jour, cher fantôme, c'est pour que tu m'aides à résoudre un mystère. Je ne sais pas comment ma mère s'y est prise pour former ma tête dans le secret de ses entrailles mais elle y a mis pas mal de curiosité, beaucoup de goût pour les images et là-dessus s’est greffée une propension certaine à amasser du vieux papier dans mon grenier ! Il s'y trouve, là-haut, une collection du magazine « Robinson » que mon beau-père m'a confiée, des numéros de « Charlie mensuel », de « Pilote, mâtin quel journal ! » et maintenant un carton plein de tes aventures américaines.

Cher fantôme du Bengale, sont-elles intéressantes au moins ? Est-ce que l'on peut fantasmer sur les formes de ta compagne Diana ou est-ce que c'est « Chasse gardée, pas touche !» ? Devrai-je attendre d'être malade, immobilisé, impotent pour ouvrir ne serait-ce qu'un seul de tes fascicules et savoir ce que tu as à nous raconter ? Car je n'ai encore jamais lu une seule de tes aventures !

C'est que notre vie est bien occupée, agitée, saccadée ! N’en déplaise au pauvre Georges Wolinski, on n’a plus le temps de s'allonger deux heures d'affilée pour lire sur un lit ou dans un canapé en mangeant des chocolats !

Pour ma part je cours d'une répétition de musique à un atelier d'écriture, d'une balade photographique à un cours d'illustration, je découvre grâce aux dévédés le cinéma américain des années 50, je fais tout pour tout connaître des ouvertures échiquéennes et de la pensée macronienne... Enfin non, pas vraiment pour ce dernier point, j’ai des défauts mais pas celui-là !

Tout roule très bien pour nous, les déjà retraités, mais sans doute un peu trop vite : nous sommes des petites gouttes de pluie qui prennent le train sans billet jusqu'à l'éternel qui est ceci, ici, maintenant. 

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