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L'Atelier d'écriture de Villejean
17 janvier 2023

Viens marcher avec moi cette nuit ! / Jeanne

Viens marcher avec moi cette nuit !
Come walk with me tonight !

L’homme, dépourvu d’enthousiasme et d’optimisme pour la vie, méditait devant son verre de vin. Solitaire parmi tant d’autres ce soir-là, il fixa le liquide rougeâtre disposé devant lui, parvint à en sentir les effluves et tenta de boire par télépathie. Il pensait qu’il y arrivait très bien puisque l’ivresse détachée de l’alcool ça s’appelle la folie en son siècle et lui était fou. Enfin, c’est ce qu’il pensait mais il y pensait avec tellement de volonté et d’intentions malsaines pour lui-même qu’il y croyait comme il croyait en Dieu.

Dillon 4 rouge3

Las de la soirée, las de vivre, il attrapa son verre et avant d’avoir avalé, saisit de son autre main la carafe de vin afin de remplir ce qu’il appelait son «désespoir». Il n’était pas saoul, rejetant tellement tout ce soir-là que même le flou de l’ivresse ne l’atteignait pas. Les habitués du bar le comparaient souvent à un Loup des steppes et lui-même, pitoyable dans la vision qu’il avait de son être, se comparait à cet animal solitaire. Malheureux il pensait que les douleurs de l’âme qu’il endurait étaient les pires ; comme tout homme qui souffre, il était le plus à plaindre, le plus à consoler, le plus à aimer.

Soudainement, il vit une forme rouge au coin du bar, une forme aux cheveux longs et aux jambes courtes. Très belle d’après son premier jugement, il observa que la jeune femme lisait ; il se dit que la lecture lui offrait une allure d’autant plus élégante. Pris d’une pulsion que d’habitude il ne prenait pas en compte, il agit brusquement : « Si elle aime lire, je vais lui donner de quoi lire ! » se dit-il. Habitué de littérature ancienne, il se mit à écrire un poème pour la jeune femme en rouge. Il aurait pu s’approcher et lui demander par quel ouvrage ses yeux étaient-ils passionnés, mais c’était un fou qui savait écrire. Dix minutes plus tard tout au plus, ces lignes étaient nées :


Viens marcher avec moi cette nuit,
Je te ferai goûter ma chère amie
A des plaisirs solitaires, marauds,
Que tu as sûrement touchés, salauds,
Seule et rouge comme toutes celles-là
Qui vêtues, d’un coquelicot aplat,
S’amusent seules sans savoir, malheureuse,
Qu’avec moi c’est sûrement mieux, peureuse.


Finalement, il était un peu saoul, il dit : le « salaud » c’est pour la rime, elle me pardonnera.

Il se leva avec son mouchoir de décasyllabes et s’approcha de la chanceuse qui tout de suite lui sourit. Puis on l’entendit rire dans tout l’espace du bar et lui on le vit rougir, comme un caméléon se camouflant avec la robe de la jeune femme. Après un long regard où se rencontrèrent espoir et désespoir, le joli coquelicot se leva, prit le bras du pauvre fou et bientôt, on ne vit qu’une tache grise au loin, avec, à ses côtés, une forme rouge.

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