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L'Atelier d'écriture de Villejean
18 mai 2021

Paella aux cocos / Anne J.

Le lendemain matin, lorsque Quand et Où se réveillèrent ils ne savaient plus très bien, à force d’avoir bu la veille, lequel était Quand et lequel était Où. Où savait qu’ils devaient aller rencontrer aujourd’hui le drôle de coco de Paimpol mais il ne savait pas où. Quand savait qu’ils devaient aller un jour à Lannion mais il ne savait pas quand.

- Mais pourquoi à Lannion, demande Où ?

AEV 2021-31 Anne J

- Parce que c'est là que nous allons rencontrer Mallargé et c'est lui qui nous dira quand et où nous pourrons rencontrer le drôle de coco de Paimpol.

- Et c'est qui ce gars-là ?

- C'est un personnage qui conduit le carnaval et que l'on brûle dans la rivière à la marée montante le dernier jour du carnaval mais depuis plus de 20 ans, il n'y a plus de carnaval. Les chars coûtent trop cher à fabriquer et les gens préfèrent regarder des séries à la télé plutôt que de coller du papier journal mouillé sur des structures métalliques pendant leurs longues soirées d’hiver.

- De toute façon cette année les carnavals ont tous été annulés ! Alors ! Tu as une piste, pour le trouver ton Mallargé ?

- Oui, il est réfugié dans la crypte de l'église de Brelevenez, elle aussi fermée pour cause de Covid et il se gave de galettes et de crêpes arrosées de chouchen et de cidre doux.

- Intéressant ! On y va ?

210516 285 042

Et voilà nos deux perroquets partis, sous une pluie battante et un fort vent de noroît qui leur retroussait les plumes. Heureusement ils avaient acheté l'indispensable tenue locale, celle que portent tous les habitants et habitantes de la région les jours de semaine : un ciré jaune avec la capuche ou le chapeau à larges bords et des bottes bleu marine avec une bande blanche (marque Aigle, en vente dans tous les magasins). Une chance, car ils auraient été encore plus ridicules avec un gilet de velours noir, un chapeau à larges guides, des culottes bouffantes et des botocoëts.

Avec le vent, pas moyen de voler, ils ont dû monter en clopinant les marches des escaliers, 142 tout de même, pour admirer la vue qu’on a du cimetière autour de l'Eglise.

Après être entrés dans la vieille église humide et froide, ils descendent les marches inégales qui mènent à la crypte où ronfle Mallargé après une cuite nécessaire pour survivre dans ce caveau glacial.

- Le coco de Paimpol ? me dites-vous. Quelle drôle d'idée, c'est indigeste ces trucs là et ça donne des flatulences, très peu pour moi !

- On nous a parlé d'une extraordinaire recette et nous voulons la goûter.

Mallargé sort de la tombe voisine un vieux grimoire avec une couverture en cuir et feuillette.

- Bouillon de sorcière, non. Philtre d'amour, non plus, potion pour faire revenir un marin infidèle aux iles Marquises, c'est pas ça, suppositoires pour protéger des icebergs à Terre Neuve, non. Non, je n'ai pas le bon chapitre.

- Quelque chose avec du chorizo, des encornets et des moules, nous a t-on dit.

210516 285 029- Je n'ai pas çà, ce doit être plus tardif que ce vieux bouquin. Descendez donc à la librairie du coin, elle s'appelle Gwalarn, ce qui comme vous savez veut dire « vent d'ouest » et les libraires y sont gentils et compétents.

- C’est loin ?

- Non vous redescendez et traversez la place du Marchallac’h.

- Du quoi ? Ils ont des drôles de noms ici, on est en pays musulman ?

- Imbéciles ! C’est une chance pour vous : on leur a imposé pendant 50 ans de parler français exclusivement, sinon il ne vous restait plus qu'à apprendre le breton !

Nos deux lascars redescendent les fameux escaliers et trouvent en effet dans une rue piétonne la célèbre librairie qui vend, entre autres, des livres de cuisine ; miracle, il y a là une recette intitulée « paella aux cocos de Paimpol », avec les fameux haricots blancs, des encornets, du safran, du chorizo, des petits pois. Ils en ont l'eau au bec

Ils sortent tout étourdis de la librairie, manquent de rater une marche car ils sont plongés dans la lecture du livre quand ils voient arriver un camping-car, conduit par deux individus sous l'emprise de l’alcool et du cannabis, qui dévale la rue piétonne fort en pente en arrachant les étals et les rambardes des terrasses. A pleine vitesse, l'engin continue sa course, prend son virage pour débouler sur la place du centre et s’arrête a 3 cms de la vitrine du café « Le Barns ».

- Mais on est où ? gémit Quand. Sur un circuit de formule 1 ?

– Et c'est quand, le passage du tour de France à Lannion ? bredouille Où.

AEV 2021-31 Anne J

Nos perroquets sont à terre et ne tiennent plus sur leurs pattes, ils ont bien besoin d’aide. Arrive alors une femme en coiffe, poussant une grosse brouette, c’est Mame Goudig, en pleine action ; elle charge les deux victimes dans sa brouette et les trouve bien légers par rapport à son ivrogne de mari qu’elle ramène au bercail tous les soirs de virée dans cette curieuse ambulance. Elle remonte la rue d’un pas allègre.

- Où est ce qu’on va ? demande Où.

- Et on mange quand ? ajoute Quand

- Je vous emmène « Aux Trois amis », c’est une gargote aux volets orange dans la rue Crec’h Ugien. C’est là qu’on sert la paella aux cocos de Paimpol la plus fameuse de la ville, arrosée d’un petit rosé bien frais.

Quelques heures plus tard, après une grande assiette de cocos de Paimpol, une bouteille de rosé, de nombreux petits verres de chouchen en guise de digestif et deux irish coffees bien tassés, le tout dans une atmosphère de pub irlandais surchauffé, nos volatiles se mirent, l’un à la guitare et l’autre au piano et jouèrent tout leur répertoire.

Qu’importent les drôles de cocos de Paimpol pourvu qu’on ait les haricots !

A minuit ils terminèrent leur récital en envoyant « J'aime Paimpol et sa falaise » et se dirent qu’au moins ils savaient où et quand ils pourraient se reposer de cette journée bien remplie : c’était ici et maintenant et c’était déjà quelque chose !

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