V comme valse / Adrienne
L’agent 212 était frappé du mal d’amour. Non pas d’une simple amourette : c’est un ange qu’il avait vu descendre de l’autocar, un ange qu’il aurait bien emmené au bal s’il était prince, ou au bar manger des frites chez Eugène.
C’était un sentiment neuf et bizarre qui lui donnait des idées de balades dans les bois à cueillir la bruyère. Des envies de maison en briques roses, avec un vieux buffet patiné et du canard aux navets qui mijote au coin du feu.
Pas un de ces buildings chagrins des chansons de Renaud, comme celui où il vivait… chouette chanson, triste cité.
Jamais l’agent 212 n’avait été client dans ce genre de commerce et c’est le cœur battant d’émotion qu’il y pénétra.
La fille derrière le comptoir était de celles à qui on propose un flirt dans un train couchette entre Nice et Paris ou des galipettes sur la douceur du gazon.
L’agent 212, qui ne savait pas faire la distinction entre une fleur de serre et celle des champs, se sentait comme une grenouille sur du gruyère au moment de dire ce qu’il était venu acheter.
Des roses rouges, fit-il au hasard, et la jeune fille leva les yeux au ciel – Ah ! Les hommes ! Quel manque d’imagination !
Je crois que l’agent 212 a un grain, avait dit Laverdure. En tout cas, il n’est pas dans ses manières habituelles !
En effet, le même jour et au même lieu du passage de l’autocar que la dernière fois, au coin du Jardin Botanique, parmi les touristes en promenade dans la ville et les mémés jetant des morceaux de pain aux oiseaux, chaque samedi donc on pouvait voir l’agent 212 habillé en costume trois pièces comme monsieur le sous-préfet à une distribution de prix, entre la statue d’un poète avec son luth et le buste du maire précédent.
Et sous les yeux ébahis de Laverdure, au moment où la nuit tombait et une belle pleine lune éclairait la scène, il esquissa une valse parmi les primevères.