Avant-jour / Anne J.
C'est un photographe très matinal qui a pris cette photo dans sa balade de l'avant jour. Il avait laissé son épouse à l’hôtel pour errer tranquille dans les rues de Venise et nous avons un peu bavardé sur le pont du Rialto.
Moi, c'est Antonio et je traverse subrepticement la place St Marc. Je rentre d'une virée nocturne et d'une belle nuit d'amour avec Roxane, la belle chatte persane du palais des Conti. Celui qui est assis au centre de la place c'est Roméo, le matou des Borgia, beau gosse, mais sans la classe d'un vrai chat de Venise. Je rentre dare-dare, ma maîtresse va s'inquiéter et ameuter tous les voisins du quartier. Pas question de lambiner, j'entends le tic tac de l'horloge de San Giorgio Majore qui rythme toute la vie de Venise. Il y a des années-lumière que je ne suis pas rentré aussi tard !
Le photographe matinal m'a demandé si j'étais parent avec un certain prêtre roux bien connu à son époque et encore célèbre aujourd’hui. Je lui ai demandé comment il le savait : il m'a dit m'avoir entendu pousser la chansonnette sous le balcon de ma belle amoureuse et a prétendu que cela avait un air de déjà-vu. C'est plutôt un air de déjà entendu, je pense ?
A vous, je peux bien le dire mais ne le répétez pas surtout : j'ai hérité de mon ancêtre Antonio 1er le pouvoir de miauler de façon synchrone avec les accords du violon. C'est cela le secret des sublimes concertos du musicien de Venise, un chat noir, amoureux d'une belle, et j'en suis très fier
***
Antonio s'éclipsa subrepticement de son pas souple de félin, le soleil qui se levait derrière les nuages agrandissait son ombre. Au coin du palais, juste avant de franchir la chatière, il aperçut le chapeau de Mattéo, l'amant de sa maîtresse. Le gondolier avait mis son bateau au sec pour l'hivernage et avait sans doute occupé toute la nuit la place laissée libre sur le lit qui d'habitude était le sien . En silence, il se glissa dans la chambre d’où provenaient les sons du violon. Vivaldi bien sûr ! Plus que parfait comme tempo !