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L'Atelier d'écriture de Villejean
6 mars 2019

L'Horizon / Dominique H.

AEV1819-20 patrick-modiano-lhorizonDepuis quelques temps Bosmans pensait à certains épisodes de sa jeunesse , des épisodes sans suite, coupés net, des visages sans noms, des rencontres fugitives. Les paysages aussi se mêlaient, ceux de Berlin et ceux de Paris. Un visage de femme revenait souvent, celui d'un amour de jeunesse justement.Il l'avait rencontrée à Berlin, l'espace d'un été, dans une librairie. Elle feuilletait un roman de George Sand. Etonné, il avait osé l'aborder, ou peut-être était-ce son physique de sylphide qui l'avait attiré. Elle était svelte, élancée, gracieuse, presque irréelle avec son visage aux traits fins.

Elle parlait bien le français. Elle l'avait suivi à Paris la fin de l'été mais leur idylle n'avait pas duré. Depuis il papillonnait de blondes anorexiques à d'autres blondes éthérées, à la recherche de son amour de rêve. L'an dernier il avait cru l'avoir retrouvé.

Le premier soir où Bosmans était venu la chercher à la sortie des bureaux, elle lui avait fait un signe du bras dans le flot de ceux qui passaient sous le porche.

Pendant plusieurs mois ils se sont retrouvés ainsi à la sortie des bureaux pour aller boire un verre à une terrasse, traîner dans une librairie ou aller au cinéma. Il restait parfois dormir chez elle. Avec le temps les désirs se sont dilués.

Avec le temps... L'autre jour, il suivait la rue de Seine.

Ses souvenirs se mêlaient. Il s'est cru à Berlin avec la femme de sa jeunesse. Avec elle il avait aussi marché dans Paris.Il rêvait d'elle encore la nuit.

Quelqu'un lui avait chuchoté une phrase dans son sommeil : "Lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses" et il la nota dans son carnet, sachant bien que certains mots que l'on entend en rêve et qui vous frappent et que vous vous promettez de retenir vous échappent au réveil ou bien n'ont plus aucun sens.

AEV1819-20 patrick-modiano-lhorizon-L-UOoBKUPendant des mois, il a traîné sa mélancolie dans les rues, le jour dans la brume de l'hiver, la nuit à la lumière blafarde des lampadaires.

Au lycée où il enseignait la littérature, il s'était lié à un collègue, le professeur Frene. Le professeur l'impressionnait un peu, il enseignait à l'université.
Il était venu dans l'appartement du professeur Ferne quelques vendredis soirs, le seul jour de la semaine où le professeur et sa femme sortaient jusqu'à minuit et où Margaret gardait les deux enfants.

Il accompagnait le couple le plus souvent au théâtre, mais leurs relations gardaient une distance certaine, se limitant à des conversations d'experts.
Une nuit, à leur retour, le professeur et sa femme lui avaient paru plus accessibles que les autres fois. Margaret n'était pas non plus pressée de repartir ce soir-là, et une conversation plus légère s'était installée entre eux quatre, autour d'un bon porto. Bosmans avait déjà remarqué Margaret, sa blondeur, sa grâce discrète. Elle faisait des études de littératures comparées et c'était une étudiante du professeur Ferne. Naturellement Bosmans raccompagna Margaret et c'est en marchant la nuit dans les rues de Paris que leur histoire commença. Margaret avait un côté réel que les femmes d'avant n'avaient jamais eu. Elle était bretonne. Ils faisaient des projets, cherchaient un appartement. Mais cette fois encore son amour lui échappa ou il ne sut le retenir.

Leur relation était fusionnelle, un peu trop au goût de Margaret. Lorsque l'été arriva , elle lui annonça que le lendemain elle partait pour deux semaines à la montagne, "pour respirer le grand air," ajouta-t-elle. Il sentit que sa décision était prise et qu'il n'y pouvait rien. Il se consola en flânant dans les rues de Paris déserté. L'air du soir était doux et il était presque apaisé quand il alla la chercher au train.

Elle était arrivée à la gare de Lyon vers sept heures du soir.

Mais elle était accompagnée. Un homme la tenait fermement par le bras, elle portait des lunettes de soleil. Il l'interpela « Margaret ! » lui saisissant l'autre bras, mais elle se dégagea en disant : « Mais enfin Monsieur ! ». L'homme, également lunettes noires et chapeau , très chic, rajouta vivement « Vous faîtes erreur Monsieur,ma femme ne s'appelle pas Margaret ! ». Le couple s'éloigna d'un bon pas.

Bosmans resta sidéré. Une fois de plus il laissait son amour le quitter sans protester. Il continua à marcher la nuit dans Paris pour aussi échapper à un rêve récurrent qui le torturait : Une fille marchait devant Bosmans, en poussant une voiture d'enfant, et elle avait la même silhouette que Margaret.

Bosmans revoyait le professeur Ferne au lycée, mais, aussi bien l'un que l'autre, ils évitaient de parler de Margaret. Un autre collègue, professeur d'allemand, avait aussi connu Margaret chez le couple Ferne : André Pontrel. Bosmans, en traînant son spleen dans les rues de Paris, avait fini par rencontrer une nouvelle jolie blonde un peu écervelée. Il avait évité de la présenter à ses collègues, la conversation avec elle étant sans issue. Cependant les chemins se croisent et des deux collègues ce fut André Pontrel qu'ils rencontrèrent en premier.

AEV1819-20 patrick-modiano-lhorizon 3 jean HarlowPontrel était moins discret que Ferne et, la conversation à peine commencée, Pontrel lui apprit le plus naturellement du monde qu'il avait croisé Margaret poussant un landau !

Ce jour là marqua pour Bosmans la fin de quelque chose. Il prit un rendez-vous avec une psychanalyste mais, bien qu’elle soit mince et blonde, après deux séances d'élocution difficile, il renonça à comprendre le mécanisme de la répétition de ses amours de blondes et de ses renoncements aussi faciles. Il partit à Berlin.

C'était l'été à Berlin.
Il traîna dans les rues de Berlin et retrouva sa libraire préférée, mince et blonde.
Rod Miller lui avait dit qu'elle laissait la librairie ouverte très tard.

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5 mars 2019

Rechercher Marilyn M. / Jean-Paul

Ils ont détruit l’hôtel de Verdun. Quelle idée aussi, au pays du Saint-Nectaire et des volcans éteints, d’évoquer ainsi les taxis de la Marne, l’ossuaire de Douaumont, les tranchées dans le lard d’une génération et la guerre préférée de Georges Brassens, celle de 14-18 ? J’y avais habité quelques temps à mon arrivée au Mont-Dore, au pied du Puy-de Sancy. Puis j’avais trouvé une pension de famille, moins chère, baptisée « Les Tilleuls ».

Que faisais-je à dix-huit ans dans cette station thermale réputée ? Eh bien, comme tout le monde, je m’y embêtais à cent sous de l’heure, sans idée de ce que serait mon avenir, de ce que je ferais plus tard, sans envisager le moins du monde qu’un jour je reviendrais, dans ce cœur de l’Auvergne, chercher le souvenir de Marilyn M.

150718 B 049

***

Elle était assise dans le hall de l’Hermitage, sur l’un des grands canapés du fond, et ne quittait pas des yeux la porte-tambour, comme si elle attendait quelqu’un. Quand je suis entré elle s’est levée, s’est approchée de moi. Elle faisait star de cinéma, gravure de mode comme le sont toutes les jeunes filles aujourd’hui mais cela ne m’impressionna pas.

- C’est vous qui êtes envoyé par l’agence Westminster ? Je suis Mademoiselle Modiano.

- Enchanté, Madame. Comme vous le voyez, nous ne sommes pas difficiles à identifier grâce à notre uniforme de groom jaune pétant et notre chapeau à la Spirou sur lequel le nom de l’agence est inscrit en lettres dorées. « C’est étudié pour » comme dit un comique local.


- Suivez-moi, nous allons monter dans ma chambre. Je vais vous présenter Trésor et Trésor.

AEV 1819-20 Domergue 1 76Nous prîmes l’ascenseur dans lequel le garçon, lui aussi sanglé dans l’uniforme de l’hôtel, me jeta un sale œil. Je n’étais pourtant pas venu lui piquer sa place à ce gros naze. Moi mon boulot consistait à promener dans la ville les clébards improbables de ces cocottes de la haute. Tant pis pour lui s’il devait se contenter de voir monter les poules de luxe sans les approcher plus.

Nous nous engouffrâmes dans le couloir. Une moquette à motifs orientaux étouffait le bruit de nos pas. Elle sortit sa clé et ouvrit la porte de la chambre 13.

A l’Hermitage elle disposait non seulement d’une chambre mais aussi d’un salon meublé de trois fauteuils à tissus imprimés, d’une table ronde en acajou et d’un divan. Un vieux type au crâne dégarni était assis à cette table. Il faisait du tri dans une montagne de correspondance et de dossiers divers. Un petit bichon tout blanc avec un nœud rose entre les oreilles était venu frétiller de la queue et respirer mes pompes quand nous étions entrés.

- Comment vous appelle-t-on, Monsieur de Westminster ?

- Vous pouvez m’appeler Patrick, Madame Modiano.

- Eh bien Patrick je vous présente Trésor et Trésor. Le Trésor plein de poils s’appelle Trésor et le trésor sans poils sur le caillou s’appelle Jean-Philippe Meinthe. C’est mon secrétaire.

- Enchanté ai-je répondu.

- Vous viendrez chercher Trésor et le promènerez le matin de 11 heures à 12 heures. Puis, c’est convenu ainsi avec votre agence, de 18 h à 19 h.

- C’est aussi ce que j’avais noté.

- Si vous n’y voyez pas d’inconvénient je vais vous accompagner pour la première promenade. C’est aussi inscrit dans le contrat.

La cliente est reine. Je n’ai pas tiqué. J’étais prêt à tout accepter de ces foldingues en villégiature. Je n’étais pas en mesure de réclamer quoi que ce soit dans ce boulot de larbin. C’était mon premier contrat de travail à temps partiel. De 9 h à 10 h je sortais le lévrier de madame Simenon qui résidait au Grand hôtel des Thermes. De 14 h à 15 h c’était le caniche noir de la princesse Troubetzkoï. Le reste du temps je bouquinais dans le parc s’il faisait beau ou dans ma chambre aux Tilleuls les jours d’intempérie.

***

Il suffirait que je retrouve l’un des programmes édités par le syndicat d’initiative, couverture blanche sur laquelle se détachaient en vert le casino et la silhouette d’une femme dessinée à la manière de Jean-Gabriel Domergue pour que, immédiatement, parce que c’était elle sur le croquis, je retrouve son parfum, son charme et sa désinvolture.

Etait-ce le prestige du ridicule uniforme jaune ? Etait-ce ma juvénilité empreinte d’une totale naïveté ? Fut-ce un caprice de star, une lubie du mannequinat, un besoin irrépressible dû à une nymphomanie chronique ? Toujours est-il que quelques jours plus tard j’ai quitté les Tilleuls pour habiter avec elle à l’Hermitage.

Le soir nous prenions sa Facel Vega, la Facellia, cette voiture qu’on a appelée ensuite « le piège de cristal »et nous nous rendions dans un café de La Bourboule qui s’appelait « L’Âne rouge ». C’est elle qui conduisait à l’aller avec Meinthe à la place du mort et moi à l’arrière. Au retour le secrétaire prenait le volant tandis qu’à l’arrière de la berline nos lèvres se touchaient et nos mains se baladaient.

Quand nous sommes entrés la première fois dans ce bistrot typiquement auvergnat Meinthe a regardé attentivement l’homme en imperméable qui rangeait les verres derrière le comptoir. Puis il lui a serré la main et il a plaisanté.

- Je suis désolé, Colombeau, mais j’ai embouti votre 403. Je vais vous envoyer la facture du garage. C’est à vous de la payer. Vous étiez stationné en zone bleue et votre disque était absent du apre-brise.

- Qu’est-ce que je vous sers, madame Modiano ?


- Tu peux l’appeler Marilyn, toi aussi, si tu veux. Et on dit mademoiselle aux actrice. Quelque chsoe de léger.


- Une Suze ?


- Un porto.


- Un Saint-Pourçain blanc ?


- Un porto, le plus clair possible, mon petit, répète Meinthe.

Je trouvais bizarre que ces gens de la haute, enfin, des superstructures de la haute société, viennent s’acoquiner tous les soirs avec des prolétaires du coin dans cette gargote typique du début des années soixante. Il y avait derrière le comptoir, outre les cartes postales des clients, des photos de Louison Bobet, Jean Stablinski, des trophées de courses cyclistes, une coupe hideuse que le patron ou quelqu’un de sa famille avait dû gagner dans les boucles des gorges d’Avèze ou lors d’une ascension du Puy-de-Dôme.

Cette coupe, où se trouve-t-elle maintenant ? Si l’hôtel de Verdun n’existe plus, le bistrot « L’Âne rouge » n’a pas dû survivre bien longtemps lui non plus. J’irai le vérifier demain à La Bourboule.

Le temps a enveloppé toutes ces choses d’une buée aux couleurs changeantes, tantôt vert pâle, tantôt bleu légèrement rosé.

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***

C’est arrivé un soir simplement. C’est son troisième porto clair. Meinthe et Colombeau jouent au 421.

Elle m’embrasse goulûment et je n’en peux plus d’être ici avec une érection incandescente qui ne s’éteindra… jamais.

De son sac elle sort une enveloppe volumineuse et me la remet sans un mot. Puis elle sort, seule, et on entend la Facel Vega qui démarre.

***

Ce fut à peu près à cette époque-là que Marilyn Monroe nous a quittés.

Et Marilyn Modiano aussi. Je ne l’ai jamais revue, je n’ai plus entendu parler d’elle. On aurait dit une sentinelle qui rapetissait, rapetissait. Un soldat de plomb.

AEV 1819-20 Domergue 2

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