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L'Atelier d'écriture de Villejean
1920-25 inconnu·e·s
7 avril 2020

Le Communiant / Jean-Paul

Le premier communiant inconnu

Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour l’obtenir, cette montre !

Ce jour-là, passe encore ! On l’avait habillé en dimanche, chemise blanche, cravate, pochette et jolie veste. Il avait fait comme si c’était le carnaval, qu’on avait décidé de déguiser les enfants en hommes, un peu comme, autrefois, on habillait les mômes en costume de marin. Ca viendrait assez vite, d’ailleurs, qu’on leur fasse endosser le costume de soldat. Il était trop jeune pour ça pendant la guerre de 39-45 mais il aurait pile-poil l’âge pendant « les événements ». Mais on n’en savait rien encore de l’Algérie en ce temps-là dans ce coin-là.

La cravate lui serrait un peu le kiki, les gants blancs étaient un peu trop grands et ce chapelet, franchement, comment le tenir, qu’en faire… Le pire c’était ce brassard énorme dont Cédric Villani dont on ne parle plus beaucoup se serait volontiers servi comme d’une lavallière.

Voilà, le petit chrétien angélique avait été immortalisé par P. Martin, photographe à Carvin (Pas-de-Calais). Il y avait de l’innocence dans le portrait, toute une porte ouverte dans le regard sur un avenir aux normes, bien encadré par les rites de passage, la communion, la première clope, la conscription, le premier bal, les fiançailles, le mariage à l’église, le «Croissez et multipliez», l’épouse, les enfants, le travail, la messe, les enterrements…

La montre mesurerait tous ces temps-là. Il faudrait juste oublier qu’avant de l’obtenir on s’était déguisé en fille, on avait enfilé une robe ! La honte de sa vie !

- On appelle cela une aube, Guillaume ! avait dit l’abbé Mouret comme s’il avait entendu ce que le petit garçon taciturne pensait dans sa caboche de Ch’ti.

***

Oui, je vais l’avoir, la montre. On va tous en avoir une, même les cousins Hervé et Pierre, dont le père est pourtant syndiqué à gauche, mais moi j’ai prévenu papa :

- Ce sera une Rolex ! Ou sinon…
- Sinon quoi, espèce de petit « trop de gueule » ?
- Sinon je vous explique pourquoi je suis toujours le dernier à sortir du catéchisme !
- Eh bien dis-le pourquoi tu arrives toujours en retard !
- Et j’aurai une Rolex ?
- Abats ton jeu et je te dirai si ton coq a les pattes cassées ou pas !
- L’entraîneur, au foot, Monsieur Zola, il nous a dit de faire sanctionner toutes les fautes. Carton jaune, carton rouge, coup franc, penalty.
-  Je ne vois pas le rapport entre le football et l’abbé Mouret ?
- Quand il y a faute, moi je fais comme monsieur Zola, j’accuse !
- Ca veut dire quoi, ça, Guillaume ?

***

Je l’ai eue, ma Rolex !

L’abbé Mouret va être muté à Aix-en-Provence. En attendant il ne me caresse plus les cheveux. J’ai horreur qu’on me décoiffe quand je suis bien peigné.

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7 avril 2020

H comme Henryk / Adrienne

L'inconnu par Hauchard de Lens

A la fin de la guerre, Henryk a décidé de ne pas rentrer en Pologne. Sa ville avait été ravagée deux fois, par les Allemands et par les Russes. Plus rien ne l’appelait là-bas.

Pas une vieille maman.
Pas une petite amie.

Il resterait en France. Il travaillerait. Comme maçon ou comme mineur, tout ce qu’on voudrait, tout ce qu’il trouverait.

Mais rien n’est simple en ce pays.

Ses derniers sous, il a dû les consacrer à de la paperasserie administrative et à des photos d’identité.

Au numéro 13 du boulevard des Ecoles, il est entré chez Hauchard. Ça lui a crevé le cœur de ne même pas avoir de chemise blanche et de cravate à mettre pour la photo. Il a vérifié sa raie, s’est recoiffé et a pris la pose.

Sans sourire.

Avec cet air déterminé qui ne le quittera plus.

***

J’étais devant le type du guichet, nom et prénom, qu’il m’a dit, alors évidemment quand je lui ai répondu Wieczorek Henryk, ça l’a fait flipper, je commence à avoir l’habitude, je peux m’estimer heureux si on reste poli, vous pouvez épeler ? il a dit en soupirant, alors j’ai épelé du mieux que j’ai pu, j’aurais pu lui expliquer qu’on n’a pas le même alphabet, en polonais, mais je me suis retenu, ça aurait encore tout compliqué, ce qui fait que quand il m’a remis le papier à signer, j’ai vu que désormais je m’appellerais Henry Vizorek, et je me suis dit qu’aucun compatriote ne me retrouverait plus dans ce pays, si l’un d’entre eux en éprouvait l’envie un jour.

7 avril 2020

Madame Numérosept / Maryvonne

La lectriceBonjour Madame, nous avions rendez-vous mardi soir assez tard et je n'ai pu encore honorer cette rencontre car elle est pour moi assez énigmatique. Enfin aujourd'hui je me décide sans hésitation à faire le choix de mon interlocutrice. Sur la photo votre visage de bonne maman, un peu à la Françoise Dolto, m'a tout de suite attirée. Face à votre petit bureau éclairé par le soleil, vous lisez un long courrier de 3 pages.

A votre sourire je suis certaine que c'est votre fils Jean Paul qui vous écrit, Les mères aiment par-dessus tout les lettres de leurs fils. Allez-savoir pourquoi ? Peut-être parce qu'elles sont rares.

Après de brillantes études il a quitté votre giron, Vous souriez parce qu'il écrit bien, le bougre, et moi qui aime tant les relations épistolaires, je vous envie. Tous ces mots étalés là et enveloppés comme des bonbons vous les savourez des yeux. L'enveloppe justement n'est pas déchirée à l'arrache comme je le fais parfois avec mon pouce, elle est soigneusement découpée aux ciseaux, ils sont encore sur la table, et vous avez tellement raison. Ce moment d'ouverture, ce rendez-vous intime est tellement délicieux. Il faut le soigner.

Oh ! Ce n'est pas que du sucre, quelques dragées au poivre vous rappellent que vous n'êtes pas une mère parfaite et quelques caramels mous colleront à la dent que vous avez contre lui quand il se fâche. Mais le reste de la journée vous sucerez les compliments en forme de fleurs, bonbons coquelicot ou violette qui se vendent en bocaux à l'épicerie et que vous mettrez en conserve (les compliments) dans votre panthéon des meilleurs moments.

Il vous dit regretter votre riz au lait que vous portiez dans le four du boulanger. Il est bien serviable, le boulanger. A la ville où il est maintenant c'est impossible, d'ailleurs le pain n'est pas aussi bon. La confiture « Bonne Maman » est une appellation mensongère, ce sont les vôtres qu'il aime, surtout la rhubarbe. Le matin quand il se lève personne ne lui a fait son café ni n'a réchauffé une tranche de brioche. Voilà un bon fils n'est-ce pas ?

Passons à la réalité :

Je m'appelle Germaine Marette et, bien qu'originaire d'Auvergne, je vis dans le Nord. J'ai 60 ans et je les porte bien. Je viens de recevoir une longue lettre mais ne vous trompez pas ce ne sont ni ma fille, ni mon fils qui m'écriraient si longuement. Ces ingrats se contentent de quelques lignes de temps en temps et souvent pour des banalités. D'ailleurs je n'ai jamais de « Chère maman ». C'est pourtant le plus joli mot dans toutes les langues. Quand j'étais « la femme à deux cœurs » comme on appelle ici les femmes enceintes je rêvais de me faire appeler maman à tout vent et que l'écho le répétait à loisir.

De leurs amours ils ne me parlent pas non plus, sans doute une pudeur extrême entre nous. Pourtant je brûle de leur parler de ce courrier qui pourrait incendier ma vie. Apparemment le boulanger n'est pas insensible à mes miches et j'en souris intérieurement, même, disons-le, ouvertement. Il a remarqué que j'étais allée chez le coiffeur et que cela était bien seyant. Il a du vocabulaire, notre maître en boulange. Il y a longtemps que je n'avais pas eu tant d'éloges sur mon physique et sur mon humour, ça fait un bail que mon mari ne rit plus de mes blagues. Lui, mon nouvel amoureux, il s'en tape sur les cuisses à en faire voler la farine de son pantalon.

AEV 1920-25 Maryvonne affiche-du-film-de-marcel-pagnol-la-femme-du-boula

Physiquement il n'est pas mal non plus, il a une petite brioche de bon vivant qui le rend sympathique alors que chez moi il y a une planche à pain : sèche comme une baguette rassie.

Il me rend souvent des services ; dans son four je porte à cuire mes rôtis et mon riz au lait, la teurgoule. Mes tartes sont parfaites ; même s'il en vend il n'en prend pas ombrage.

Quand je lui porte les plats, je traîne un peu dans la boulange, je caresse sa chatte Pomponnette, il adore les animaux comme moi mais mon mari est allergique.

Maintenant c'est vous qui devez me trouver un peu tarte à mon âge. Mais on n'a qu'une vie et maintenant que mes enfants sont partis j'ai envie de la dévorer par les deux croûtons.

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