Contes de Lannion à réécrire
L'animateur a participé à un stage de conte qui avait lieu à Lannion. Il a ramené sept enregistrements de contes qu'il a transcrits sur le papier. Il demande que chaque écrivant(e) réécrive le conte qu'il reçoit "à sa sauce" pour le restituer aux autres participant(e)s.
LA GRAND’MERE DU PAYS DE PLUIE
Il était une fois une petite grand-mère qui vivait dans un pays de pluie fréquente.
Elle est bien tranquille chez elle à tricoter au coin du feu quand soudain on entend des coups à la porte. Elle va ouvrir et se trouve nez à nez avec un cheval tout trempé.
- Ma pauvre bête ! s’écrie-t-elle. Mais tu vas attraper la mort. Fais le tour de la maison ! Viens dans la grange, je vais te bouchonner et tu resteras-là le temps que la pluie cesse.
Elle fait ainsi puis va se réinstaller près de son foyer, reprend son ouvrage. Une maille, deux mailles, dix mailles. Toc toc toc ! Rebelote ! Cette fois c’est une chèvre. Même discours.
L’opération se renouvelle avec un chien, un chat, puis un pigeon qui tape au carreau.
A la fin elle va se rasseoir mais elle entend un remue-ménage pas possible dans la grange.
Elle va voir mais impossible de comprendre ce qu’ils veulent. Alors le vieux tracteur prend la parole et dit :
- Etre au sec c’est bien, mais recevoir de la chaleur et de l’amitié, c’est mieux !
Alors la petite vieille les fait entrer dans la maison et les animaux calmés se posent autour du feu.
Au lieu de reprendre son tricot elle leur dit : Je vais vous faire la lecture. Elle prend un grand livre et commence : « Il était une fois une petite grand-mère qui vivait dans un pays de pluie fréquente…
BÉBERT
C’est Bébert. L’innocent du village, le cantonnier, le traîne-savates. Quand il a quelques sous il va rejoindre les autres au bistrot « On est mieux ici qu’en face ». Oui, celui qui est en face du cimetière. Quand il n’a plus de sous il chine le patron ou les autres clients pour avoir un verre gratis. Ce jour-là il dit au patron :
- Si tu me payes un verre, je te montrerai ce que j’ai dans ma poche gauche.
Le patron se doute bien qu’il va sortir un mouchoir crasseux ou une autre bêtise mais il cède.
Bébert sort alors de sa poche une minuscule cage à oiseau. Dedans un oiseau de paradis miniature se met à siffler une chanson tellement belle que tout le bistrot s’immobilise et vient écouter au comptoir.
Quand l’oiseau a fini, Bébert remet sa cage dans sa poche.
Le patron sidéré veut acheter l’oiseau mais Bébert refuse. Discussion à n’en plus finir, à la fin de laquelle Bébert dit :
- Si tu me payes encore un verre, je te montrerai ce que j’ai dans la poche droite.
Le patron offre un deuxième verre et Bébert sort une petite boîte d’allumettes. A l’intérieur il y a un piano minuscule et une petite souris qui se met à jouer et à chanter un rock endiablé. Tout le monde danse dans le bistrot. A la fin du morceau même discussion que précédemment. Même refus.
Puis Bébert s’en va. Sur la grand’ place du village il sort la boîte d’allumettes et dit à la souris.
- Moi, te vendre à ces ignares ? Jamais ! Ils n’ont même pas vu que tu étais ventriloque !
LE CHIEN
Ce conte-ci est rythmé par la berceuse bretonne Toutouig :
Toutouig la la va mabig
Toutouig la la
C’est une petite grand-mère qui vit toute seule dans la dernière maison au bout du village. Elle est veuve mais elle est heureuse parce qu’elle a un mignon petit chien. Il n’a pas le droit de monter sur son lit mais elle lui a installé un panier au pied de son lit et le soir après avoir fermé la lumière elle laisse pendre son bras et sur le bout de ses doigts le chien passe sa langue douce, chaude et humide et ça l’apaise, ça la rend benaise et elle s’endort heureuse.
Toutouig…
Parfois elle se réveille la nuit. Elle tend l’oreille mais ce n’est rien que le vent dans les volets ou une branche qui casse à cause du vent. Elle se rallonge laisse pendre son bras et sur le bout de ses doigts le chien… idem.
Toutouig…
Cette nuit-là elle se réveille et ce qu’elle entend c’est plic plic plic. Elle se dit : j’ai dû mal fermer le robinet de la salle de bains. Bon, je vais pas me lever pour ça, je vais essayer de me rendormir. Le bras, la langue du chien…
Toutouig.
Un peu plus tard rebelote. Tourne, retourne, bras langue du chien, Toutouig.
Et puis maintenant ce qu’on entend c’est ploc, ploc, ploc, plus fort, plus lentement.
Alors là elle se lève, contourne la corbeille pour ne pas réveiller le chien puis va à la salle de bain.
Là elle découvre que le robinet est fermé et ne goutte pas. Elle se dit « C’est peut-être la pomme de douche ? » Elle écarte le rideau et là, horreur » elle découvre son chien, pendu par les pattes de derrière, la gorge tranchée et ce qui fait ploc ploc ploc c’est le sang qui vient frapper le carrelage blanc de la douche.
Toutouig…
Et c’est alors qu’elle se demande : Mais… tout à l’heure… Quand j’ai laissé pendre mon bras, qui a léché le bout de mes doigts de sa langue douce, chaude et humide ?
Toutouig…
LE MEUNIER ET LE KORRIGAN
Ici, près des ruines de ce moulin, j’ai rencontré un meunier en pleurs qui m’a raconté son histoire.
« Autrefois, j’étais meunier ici. J’avais une femme et sept enfants, on tirait le diable par la queue mais les choses se sont arrangées à la naissance de mon huitième. Très bizarrement. Je descendais au village pour aller chercher un parrain pour le nouveau-né quand sur le chemin j’ai rencontré un korrigan. Il ne faut jamais contrarier les korrigans. Il m’a demandé ce que j’allais faire et je lui ai dit. Il a répondu : je veux bien être le parrain de ton fils, moi ! J’ai été forcé d’accepter. Ma femme n’a pas été contente. Pensez, un korrigan pour parrain ! moment-là nos affaires ont prospéré, j’ai eu des clients jusqu’à Lannion, dans toute la presqu’île du Trégor. Le korrigan venait tous les ans rendre visite au filleul. Bref on était très heureux.
Et puis un jour que j’allais livrer ma farine, j’ai rencontré le korrigan sur la route. Il m’a dit :
- Ma femme vient d’avoir un bébé. On veut que ce soit toi le parrain. Viens voir ton filleul.
- Mais j’ai ma farine à livrer…
- Viens, je te dis !
Il ne faut pas contrarier les korrigans. Alors on est entrés dans l’allée couverte de l’Ile grande et au bout, il y a une petite trappe. Comme le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, le korrigan s’est engouffré dedans. Je l’ai suivi tant bien que mal et heureusement après avoir rampé cinq minutes la galerie c’est élargie et je suis entré dans un réseau de grottes. On a traversé une salle dans laquelle il y avait plein de coffres ouverts. Ils étaient emplis de bijoux, d’émeraudes, de rubis . Dans la salle suivante c’étaient des pépites d’or. Et puis enfin on est arrivés dans la salle du banquet où tous les korrigans bâfraient, bâfraient. On m’a présenté mon filleul. Qu’il était laid, mais laid ! J’ai dû l’embrasser. Je me suis mis à table avec eux, j’ai mangé, j’ai bu et puis comme ça s’éternisait, j’ai dit qu’il fallait que j’aille livrer ma farine.
- OK a dit le parrain de mon huitième, je ne te raccompagne pas parce que j’ai encore faim, tu connais le chemin. Donne le bonjour chez toi, embrasse mon filleul.
En partant j’ai traversé la salle avec les pépites d’or. Il y en avait tellement, une de plus une de moins. J'en ai fauché une. Dans la salle suivante il y avait des bijoux, des diamants, des rubis. Un de plus un de moins…
Et puis j’ai rampé et je me suis retrouvé sous l’allée couverte. Mais là, sur le chemin, ma charrette avait disparu ! Plus de cheval, plus de farine. Je suis quand même descendu au village mais je ne reconnaissais plus les maisons. Il y avait des grosses machines étranges avec quatre roues devant chacune d’elle et de drôles de machines de guerre sur les cheminées des maisons. J’ai fait demi-tour en courant et j’ai regagné mon moulin. Mais là, il n’en restait que des ruines. Depuis je suis assis et je pleure.
[On peut chanter « The fool on the hill » des Beatles ]”
Voilà, ce que m’a raconté le meunier. Aussi, si vous aussi un jour vous rencontrez un homme qui pleure devant les ruines de son entreprise en ruines (Bernard Tapie devant Adidas ?) avant de compatir, demandez-vous d’abord si cet homme-là n’a pas, une fois dans sa vie, contrarié un korrigan !
MAMADOU
C’est un pêcheur africain. Il s’appelle Mamadou. Il mène une vie tranquille. Il aime sa femme, sa femme l’aime. Il a des amis, ses amis l’aiment bien. Le matin il se lève, il met sa barque à l’eau, il va pêcher une heure ou deux. Dès qu’il a pris assez de poisson pour assurer le repas de midi et celui du soir, il ramène sa barque sur le rivage, va donner les poissons à sa femme puis il l’aide à entretenir leur petit bout de jardin. L’après-midi, ils font la sieste – crapuleuse ou pas – puis ils vont écouter les palabres sur la place du village, ils rentrent manger le poisson avec les légumes du jardin, ils font ou ils refont l’amour et le lendemain c’est un autre jour tout pareil au précédent.
Un jour il y a un étranger qui arrive au village. Un Chinois. Il explique ceci à Mamadou.
- Mamadou, tu es doué pour la pêche. Tu ne reviens jamais bredouille, m’a-t-on dit. Tu connais tous les coins où le poisson pullule. Si nous nous associons, je peux te payer un bateau plus gros que le tien, avec un moteur et des filets plus grands. Tu pêcheras plus longtemps. Le poisson on le vendra aux gens du village. Avec ce que nous aurons gagné en un an, nous achèterons un deuxième bateau, nous embaucherons de la main d’œuvre à bas prix. Nous vendrons le poisson aux gens de la ville parce que nous aurons acheté une camionnette. Un an après nous achèterons un troisième bateau, un camion frigorifique et nous livrerons à la capitale. [Et ainsi de suite jusqu’à devenir une multinationale qui livrera dans le monde entier].
- Mais, demande Mamadou, qu’est-ce que je gagne dans cette histoire ?
- Eh bien tu seras riche et dans vingt ans tu pourras profiter de ta retraite avec ta femme, tes amis et l’argent que tu auras gagné. Tu feras la sieste quand tu voudras, tu ne seras plus obligé d’aller travailler pour gagner ta vie, tu feras la fête avec tes copains...
Mamadou a regardé le Chinois, l’air dépité et il lui a dit :
-Si je comprends bien tu as fait tous ces kilomètres pour venir me vendre la promesse de vivre dans vingt ans comme je vis déjà aujourd’hui ? Désolé, je ne marche pas.
Mamadou est retourné s’allonger dans son hamac. Le Chinois est reparti. Il paraît qu’il a trouvé d’autres gens, ailleurs, qui avaient moins d’aptitude que Mamadou au bonheur immédiat. Les gens qu’il a trouvés et à qui il a vendu son système, c’est peut-être nous ?
LE CHAUFFEUR DE CAR ET LE POPE
C’est Mikhail. Il est chauffeur de car à Kémérovo, de nos jours dans la Russie de Poutine. C’est un conducteur un peu brute dans sa conduite comme en tout mais il est apprécié de sa hiérarchie. Ce jour-là on l’appelle au téléphone. La compagnie, par Dieu sait quelle astuce ou pire encore, a acquis un nouveau car Mercedes tout neuf. Mais il faut d’abord que Mikhail aille faire un stage d’une journée pour maîtriser le nouveau véhicule. C’est aujourd’hui qu’il y va, à Novosibirsk, avec sa vieille Volga qui date de l’URSS.
Là bas, il y a Vladimir. Lui c’est un pope de l’église orthodoxe. Il n’y a plus grand monde à fréquenter son église, mais il faut bien entretenir les traditions et avoir la foi en un avenir meilleur, là-haut au paradis, et entretenir les ouailles dans cette idée. Lui il fait le chemin en sens inverse, de Novosibirsk à Kérémovo car il va au pot de départ en retraite du frère Pavel. Pour une fois, ils vont faire un peu bombance, bien manger, bien boire mais raisonnablement, hein.
Sur la route au moment où les deux vont se croiser, il y a un troisième personnage qui intervient. C’est Bambi, le chevreuil. Il a décidé de traverser la route juste au moment où les deux se croisent. Ouf, il est passé de justesse… parce que chaque véhicule a fait un écart sur la gauche et… ils se sont rentrés dedans.
Mikhail et Vladimir meurent sur le coup. Ils montent direct au Paradis. Là il y a Saint-Pietr. Il les fait entrer dans la salle d’attente. Enfin, non, il fait entrer le pope dans la salle d’attente et dit à Mikhail :
- Viens tu es attendu. Il veut faire ta connaissance
Une heure après, Saint Pietr vient rechercher Wladimir. Celui-ci est énervé et demande :
Enfin, je ne comprends pas ? C’est moi le pope, le serviteur du seigneur et Mikhail c’est un mécréant. Il boit, il jure et il a même sa carte au Parti communiste !
- Oui, c’est vrai, Vladimir. Mais toi… Il n’y a plus grand monde à venir dans ton église. Tandis que lui, chaque fois qu’il prend un virage ou conduit avec un verre dans le nez, tous les passagers du car se signent et invoquent le Seigneur ou la Vierge Marie. Ca mérite bien de passer en priorité, non ?
MARCEL ET LÉON
Les conteurs sont-ils des passeurs de mots, des menteurs ou des guérisseurs de maux ?
Ca se passe dans une maison de retraite. Il y a deux vieux qui partagent la même chambre. Il y en a un qui peut encore marcher, il s’appelle Marcel et son lit est près de la fenêtre.
L’autre s’appelle Léon et il ne peut plus bouger. Il passe son temps près de la porte, on vient lui faire des soins, le nourrir, il ne peut regarder que le plafond. Toute la journée Marcel raconte à Léon ce qu’on voit par la fenêtre. La ronde des saisons, le temps jamais pareil qu’il fait chaque jour. Les travaux dans les champs, les travaux dans la rue, les gens qui passent, l’école d’en face [faire une description de tout cela à des jours différents]. Malgré ses misères, Léon le paralytique est heureux parce que tout ce que Marcel décrit, il le visualise au plafond et ça agrément ses journées.
Et puis un jour, Marcel ne dit rien. Plus rien.
Quand l’infirmière arrive Léon demande pourquoi Marcel se tait. Elle lui explique de Marcel est mort dans la nuit.
Bien sûr Léon est triste, il pleure, il passe la journée la plus sinistre de son existence. Le lendemain, il demande s’il peut déménager à la place de Marcel, plus près de la fenêtre. On lui accorde cela et on déplace le lit. Léon ne voit que le plafond mais le lendemain, titillé par le manque, il essaie de tourner la tête, de lever le cou. Il fait des efforts exceptionnels et il arrive même à s’asseoir sur le bord du lit, avec les pieds par terre. Et puis carrément, ça fait des années qu’il n’a pas fait ça, il se lève, il marche et il va à la fenêtre.
A ce moment l’infirmière entre et elle crie « Mon Dieu Léon, mais c’est un miracle, vous marchez ! »
Mais Léon l’entend à peine. Il est en larmes et n’arrête pas de marmonner :
- Mais c’est pas possible ? Pourquoi ont-ils fait ça ? Pourquoi ont-ils fait ça ?
- Quoi donc, Léon ?
- Pourquoi ont-ils construit ce grand mur devant l’école, les champs, la rue, les travaux ?
- Mais Léon, ce mur a toujours été là ? Avant même l’a construction de l’hôpital
- Mais Marcel me racontait tout ce qu’il voyait par la fenêtre, la voisine d’en face qui se déshabillait le soir, les bagarres des mômes à la récréation…
- Mais, Léon ? Marcel ne vous l’a jamais dit ?
- Quoi ? Qu’est-ce qu’il aurait dû me dire ?
- Qu’il était aveugle ?
Les conteurs sont-ils des passeurs de mots, des menteurs ou des guérisseurs de maux ?
A vous de voir !