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L'Atelier d'écriture de Villejean
16 février 2021

Ah ! C’qu’on est bête ! / Liliane B.

AEV 2021-19 Liliane - La ChâtreC’était l’été de mes dix ans, en août 1964 pour être plus précise. Comme chaque année, je passais les grandes vacances chez ma grand-mère à La Châtre. Vous ne connaissez pas ? Ça ne m’étonne pas, c’est un trou paumé pas loin de Châteauroux dans l’Indre.

Ce n’était pas vraiment ma grand-mère, c’était la marâtre de ma mère. Elle se prenait pour une reine sur son trône. Elle avait réussi à se faire épouser par mon grand-père, tendre bûcheron naïf. Elle l’avait si bien charmé avec ses appâts. À quarante ans, elle n’était pas encore trop abîmée. Même si je la trouvais très vieille. Vous l’aurez compris, je la haïssais avec tout l’entêtement et toute la passion dont une gamine jalouse est capable.

Ce mois d’août était interminable et brûlant. À la radio les Parisiennes chantaient « Ah ! C’qu’on est bête !». Vingt fois par jour, c’était entêtant. Pour tromper mon ennui, je faisais le tour du jardin en sautant à cloche-pied et en chantant « Ah ! C’qu’on est bête ! ». Sans arrêt. Je voyais bien que ça l’embêtait, la vieille. Oui, dans le secret de ma tête, je l’appelais la vieille. J’aimais bien attiser son côté acariâtre. J’attendais qu’elle se fâche vraiment. Que je lui gâche la vie ! Je voulais la détrôner dans le cœur de Papy. J’aurais voulu qu’elle explose de colère et se déchaîne contre moi. Comme ça, mon bêta de grand-père aurait dû me défendre. Il m’aurait prise sur ses genoux pour me câliner. J’aurais beaucoup pleuré et il se serait fâché contre elle. Elle n’était pas si bête, elle avait compris mon manège et savait se contrôler. 

AEV 2021-19 Liliane - Mémoires d'un âneDans le pré, à côté de la maison, il y avait un âne. Son âne ! Elle l’idolâtrait ! Il était bête, têtu, il bâfrait le foin et rêvassait à longueur de temps. Quel bâtard ! Quand elle ne regardait pas, je lui collais des coups de bâton. Le projet m’est venu de le faire disparaître. Un soir, après dîner, j’ai discrètement ouvert la clôture. Le lendemain, il n’était plus là et la porte de l’enclos était entrebâillée. Elle était blême d’angoisse. Je m’appliquais à garder mon air le plus innocent, mais j’étais drôlement contente.

C’est le garde-pêche qui l’a retrouvé sur le bas-côté d’une route. Comme il faisait très chaud, il a fallu très vite l’enterrer. On n’allait quand même pas en faire un ragoût. C’était drôle. On lui a fait un monument sous le grand chêne. Grand-père a fabriqué une pancarte sur laquelle il a écrit : « Ci-gît Gaston mort accidentellement le 13 août 1964 ». Eh oui ! Elle l’appelait Gaston, moi je l’appelais Gâteux. En secret bien sûr. Elle a beaucoup pleuré et moi, infâme, j’ai pleuré aussi. Pour le dire crûment, je ne m'étais jamais aussi bien amusée.

Je crois qu’elle m’a soupçonnée mais il n’y a pas eu d’enquête. Elle ne m’a pas fait de gâteau d’anniversaire cette année-là. Tant mieux, je détestais ses forêts-noires plâtreuses, ses desserts douceâtres, ses crèmes sans goût et ses crêpes farineuses. Beurk ! Dégoûtant !

En tous cas, je n’y suis plus jamais allée en vacances et ça, c’était la fête ! Ah ! C’qu’on est bête !
 

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