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L'Atelier d'écriture de Villejean
11 décembre 2018

Elvire Jouvet 40, Oscar Detour 15

Hélène Builly - 23 Incertain Monsieur Tokbar

Le rideau se lève sur un coin de verdure où coule une rivière mais en fait c’est plutôt un fleuve puisqu’il s’agit du Rhône. On est en plein Lyon, pas loin de l’entrée du parc de la Tête d’or. Oscar a planté sa tente Quetchua dans un petit bosquet entre le Rhône et les deux pistes parallèles réservées, l’une aux cyclistes, l’autre aux piétons, les trottinettes, électriques ou pas, ayant le droit d’hésitation-transgression pour l’instant. Il est venu là sur une motocyclette antique dotée d’un habitacle latéral (side-car) dans lequel il a mis ses maigres bagages. Il a sorti sa valise mais ne l’a pas ouverte. Il a sorti d’un coffret rouge son vieux violon et le racle. La nuit est tombée car on est en décembre et on aperçoit, dans un ciel forcément sans nuages, des étoiles et un beau croissant de lune. Il arrête de jouer, se tourne vers le public et entame son monologue en regardant le sol devant lui.

- Et alors, mes sauterelles ? Vous êtes contentes de retrouver votre ami Oscar le musicien? Je n’avais pas prévu de venir vous voir mes belles mais tous les hôtels étaient pleins ! Il parait que c’est la Fête des lumières ces jours-ci à Lyon ! Et moi je voulais voir cet événement-là au moins une fois dans ma vie. C’est que voyez-vous, il y a trop de tranquillité dans les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes. Pour tout dire et pour parler franc sans pour autant donner dans la lamentation, on s’y emmerde ferme. Très vite on n’a plus qu’une seule idée, faire le mur !

Et pour jouer la grande évasion, rien de mieux que ma vieille motocyclette ! Steve McQueen n’a qu’a bien se tenir !

Elvire ne sait pas que j’ai conservé une clé de ma maison. Elvire, c’est ma fille. Elvire Jouvet, née Detour. Epouse de Kevin Jouvet. Rien à voir avec Louis, le théâtreux qui trouvait bizarre que l’on dise bizarre !

Et justement, c’est très bizarre, les EHPADs ! Ils sont comme nos gouvernants, ils nous prennent un peu pour des cons là-dedans. Oui, c’est vrai, on est dépendants. On nous a mis là parce qu’on n’est plus en état d’aller faire les courses, de s’occuper de notre cuisine. Mais quel intérêt de cuisiner quand il suffit d’appeler Hubert Yeats ? Mais si vous connaissez, Hubert Yeats, le poète de la tambouille ! Le Yehudi Menuhin de la livraison de plats chauds à vélo. Mais il paraît que c’est payant tout ça et que ma petite retraite ne suffisait plus à couvrir mes caprices de consommateur. Moi vous savez, j’ai toujours été comme le Belge qui met sa carte bleue dans le distributeur et qui tire de l’argent liquide. Chaque fois que je gagne, je rejoue !

Mais je m’éloigne de mon sujet. On est dépendants mais on n’est pas cons. On sait encore lire et observer. J’ai bien vu comment faire pour se barrer tranquillement de leur hospice à la noix. D’autant que c’est comme le port-salut : c’est écrit dessus : « Tapez les quatre chiffres de l’année en cours suivis de la lettre A ». Une fois qu’on a fait ça la porte du sas s’ouvre. Yapuka entrer dedans et attendre qu’elle se referme. Et là on a la suite du mode d’emploi : «Tapez ABCD suivi de *étoile ».

Là c’est la porte extérieure qui s’ouvre sur le cosmos, sur la liberté retrouvée et hop, en route pour un road-movie dont on espère qu’il ne virera pas au mauvais trip. De toute façon ce ne sera jamais pire que la soupe à la courgette ou les cours de tricot !

Il reprend son violon.

Tiens je vais vous jouer un concerto de Vivaldi, les filles !

Il joue en fait quelques mesure d’une tarentelle puis il range son violon et son archet dans le coffret rouge.

Dépendant ! Dépendant ! Moi, vous avez vu, je ne suis même pas dépendant d’une partition ! Je le connais par cœur ce morceau. Et s’ils croient que j’ai du yoghourt dans les neurones, ils se gourent. Je l’ai retrouvé tout seul le chemin de la maison. Coup de chance, Elvire n’a pas encore réussi à la vendre. J’ai mis tout ce qu’il fallait pour un long voyage dans la valise, j’ai pris la tente au cas où et j’ai retrouvé Pétrolette dans le garage. La pauvre se morfondait dans l’étrangeté grise de cet abri désert. J’ai tout refermé derrière moi et on est allés faire le plein avant de filer sur la route. En route pour une promenade onirique ! Mais si vous saviez ce que c’est devenu cher l’essence ! Et en plus, tout le long du trajet, des travaux partout ! Je ne sais pas si c’est à cause du passage à 80 km/ h qu’ils modifient les carrefours mais sur tous les ronds-points y avait des travailleurs de chantier en gilet jaune !

(Rideau) ou (à suivre ?)

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