Mauvais apôtre / Jean-Paul
Ô, ne laissez jamais aux autres
Le soin de conter le voyage !
Ils sont restés, mauvais apôtres,
Jaloux, pâles, sur le rivage.
A vous d’écrire tous ces riens,
Ces aventures d’aujourd’hui,
La prose du Transsibérien…
Ce train, sait-on qui le conduit ?
Où croiser l’âme de Pouchkine ?
Où a disparu Leningrad ?
On est au pays de Poutine,
On va en prendre plein son grade :
Tintin au pays des soviets !
Où chercher sans trouver d’écho,
Photo sortie de sa serviette,
Nathalie qu’a chantée Bécaud ?
On a beau lire cyrillique
C’est le pays des étrangères.
Avant de croire à l’idyllique
Il faut déblayer les congères :
Tout est blanc de neige et d’oubli
Du voile jeté par-dessus.
L’ordre est à peine rétabli
Qu’on te vole ton pardessus !
Sur les anneaux d’or d’une chaîne
Le chat – kochka – marche en dormant.
Il fait trois fois le tour du chêne,
Dédaigneux de tous les amants.
Il conte l’ondine, la plaine,
Il chante les mille chemins
Qu’éclairera la lune pleine,
Où danseront tous les sylvains.
Avant d’attraper la migraine
On cessera son odyssée.
Qu’irions-nous chercher en Ukraine ?
Toutes les nations sont blessées.
On a couru la prétentaine,
On a cueilli des catastrophes,
Rencontré le croquemitaine,
Rédigé mille et une strophes…
Ô ne laisse jamais aux autres
Le soin de juger ton voyage :
Ces aventures sont les nôtres
Et tant pis si c’est un naufrage,
Nul n’est obligé d’être Ulysse,
Nul à la perfection tenu.
S’il faut un rapport de police
Disons que tout est advenu ;
Les uns ont salué l’Oural,
Les autres ont fait l’imagerie,
Il n’y a plus de mer d’Aral,
Il y eut bien des saloperies.
Mais je ne dirai pas aux autres
La route aux milliers de virages :
Je suis resté, mauvais apôtre,
A versifier sur le rivage.