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L'Atelier d'écriture de Villejean
19 novembre 2013

Yushi /Dominique

On était au mois d'avril, c'était le début du printemps : un printemps un peu froid, où les cerisiers et les pruniers avaient fleuri malgré le gel.

Il y avait encore de la glace, le matin, dans le bassin du jardin, pourtant la source coulait toujours. Les carpes dorées restaient cachées au plus profond de l'eau.

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Chaque matin, Yushi sortait sur la terrasse en bois, frottait soigneusement le plancher. Puis, elle s'arrêtait et attendait un moment, appuyée légèrement sur son balai. Elle observait son souffle devenir un léger brouillard dans l'air froid du matin. On n'entendait que la rivière, en bas de la colline, et parfois les craquements de la glace. Hormis le cri des corbeaux, il n'y avait pas encore de chants d'oiseaux.

Ce matin là, elle portait son kimono jaune. L'an dernier, à la même époque, elle portait un kimono bleu avec des papillons brodés, et l'année précédente, le kimono vert avec des fleurs de pivoine rouge.

Le voisin qui l'observait, aurait pu décrire chaque détail du kimono, et les petites perles de ses épingles à cheveux, la couleur de ses sabots en bois, et même les fils d'argent, qui, chaque année davantage, irisaient son chignon.

Il ne l'observait pas directement. Il avait mis au point un stratagème. Chaque matin, en se rasant devant son petit miroir, il observait sa joue couverte de mousse blanche, et, en même temps volait quelques reflets de la belle Yushi.

Ils ne se parlaient pas. Ils ne s'étaient jamais parlé. Lui ne connaissait pas le son de sa voix. Autrefois, quand il était venu habiter dans cette maison, loin de la ville, il avait entendu le rire de la petite Yushi, comme un grelot, il avait entendu les appels de sa mère, et le bégaiement d'une petite chèvre noire et blanche. La mère avait dû mourir, la petite chèvre s'était enfuie, ne restait plus que Yushi dans ses beaux kimonos. Yushi qui attendait.

Une nuit, il y eut de la tempête et du vent. La rivière charriait des glaçons qui s'entrechoquaient. Le voisin fit un rêve, il y avait un orchestre qui jouait, des flûtes et des tambours. Quelques crapauds sonneurs et même des grillons étaient de la partie. Lui-même avait rajeuni. Il dansait. Il n'était pas seul. Il y avait une femme près de lui.

Le lendemain matin, il alla dans sa réserve, une cabane en bois derrière les forsythias, et remplit un petit panier en osier. Puis, il traversa le jardin, et se présenta à la porte de la véranda de Yushi. D'où lui venait soudain cette nécessité de lui rendre visite ? Il n'en savait rien.

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Elle ouvrit la porte et s'effaça pour le laissez entrer.

- Asseyez vous, dit-elle. Je vais faire du thé.

Elle disparut, dans le bruissement de son vêtement. Même, en rêve, il n'avait jamais entendu une telle voix : c'était le bruit de la cascade, le bruit du vent dans les branches de pin, le chant des alouettes et celui des grives tout à la fois. Elle revint bientôt, et s'assit en face de lui. Personne n'entendit ce qu'ils se sont dit. Mais il revint, le lendemain, le surlendemain et tous les jours suivants.

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