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L'Atelier d'écriture de Villejean
17 février 2013

Le livre sans titre / par Jean-Paul (Consigne du 12 février 2013)

Le béton qui coule dans nos veines nous rend durs comme des robots. Nous courons dans les rues de la cité maudite et notre cavale qui dure depuis six mille nuits ne nous laisse que rarement tout seuls avec notre silence. Malgré tous ses progrès le monde est toujours à feu et à sang quelque part, à croire que nous subissons, dans la forêt des égarés, le châtiment des hommes-tonnerres.

Mais chaque vendredi soir je quitte la fourmilière. C’est l’heure de la révolte, la guerre des boutons : j’éteins tous les écrans, je ferme la radio. 

MIC 2013 02 11 Livre sans titre

Sur la couverture du livre, la photo de l’auteur, Rodrick Nosferas, me hèle tranquillement et m’invite à pratiquer le retour à l’état sauvage de l’enfance.

Bien calé dans le canapé j’ouvre le livre magique dans lequel Rodrick fait sa loi. La prunelle de mes yeux s’écarquille à ce décollage immédiat : dès que j’ai lu quelques lignes je sais que j’ai ce soir le monde dans la main. Très vite, à suivre l’aventurier, l’innocent de Palerme que j’étais pénètre dans les mystères de la forêt. Les arbres de l’imaginaire laissent tomber des lianes magiques. J’en oublie « Les mille et une nuits » et une peur express monte en moi : arriverons-nous avant la tempête à sortir de la forêt de bouleaux, à regagner le fleuve ? L’ombre de la mort plane et mille dangers nous séparent encore de la demeure d’Anka. Chez elle on est vraiment dans le cœur des deux mondes et les papillons de la Léna nous invitent à l’embrasement.

C’est à ce moment-là que mon épouse crie « A table ! ». Je délaisse le clone de Lara Croft à chevelure poil-de-carotte chez qui Rodrick – a-t-il du cœur, cet homme-là ! – m’a amené puis je vais retrouver le silence de Nélio, ma douce cuisinière et la réalité des corps qui se sustentent alors que l’esprit flotte.

Lorsqu’après le repas je retourne à mon livre l’intrigue est devenue toute autre. Je suis maintenant dans le journal de Fanny. L’encrier maudit de Rodrick est tellement divergent que son livre contient tous les livres qui n’ont jamais été écrits. Fanny est fantastique. Elle dit en incipit de son carnet de bord de grégaire bavarde : « Ma sœur vit sur la cheminée depuis qu’un mauvais génie l’a transformée en cigogne. Cela n’aurait rien de gênant si nous habitions en Alsace mais ma sœur et moi habitons Plounéour-Menez, en Bretagne, dans les Monts d’Arrée. Cela fait jaser dans le bourg et du bruit jusque dans Landerneau. »

Ce conte à dormir debout me tient éveillé jusqu’à ce que Nélio, maintenant allongée dans notre lit, me propose de goûter à d’autres joies.

Le samedi matin le livre de Rodrick s’est fait recueil de poèmes. Il a pour titre « La chanson des enfants perdus » et cela me va bien au teint.

Dimanche il me fera entendre la voix des rois en me content les légendes de la dynastie des Tout An Café 0405. Ce livre formidable, je ne le lâche plus. Il est l’héritage ou la crypte des âmes que Rodrick Nosferas a dû racheter à Gogol, voler à Jack London ou subtiliser à Shakespeare, allez savoir. Il ne semble exister qu’un seul portrait de cet auteur mythique et le livre que j’ai entre les mains, acheté à un bouquiniste à Lyon, est peut-être un exemplaire unique. Il n’a pas d’achevé d’imprimer et ne figure pas au catalogue BN-OPALE de la Bibliothèque Nationale.

Une seule chose est sûre pour moi : chaque lundi matin c’est l’opération gerfaut (comme un vol de… hors du charnier natal !). C’est à nouveau le passage en outre-monde, ce retour vers les liens maudits à surveiller, la soumission aux listes de tâches bureaucratiques et idiotes que la petite terreur de Glimmerdal, mon chef de service, me fait parvenir par courriel alors qu’il est en réunion ou chez lui. Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes. Un jour, là où j’irai, j’effacerai tous ces gens avec un revolver, sauf Nélio évidemment. Ce sera Waterloo Nécropolis adieu, dernière station avant le désert. Je ne ferai plus rien alors que lire tout mon soûl comme quand j’étais enfant.

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