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L'Atelier d'écriture de Villejean
28 mars 2013

Les Pâques du gardien d'immeuble / Dominique

Le gardien d'immeuble se plaignait de douleurs aux épaules. Porter son aspirateur dans le dos lui devenait difficile. Le médecin du travail découvrit deux rougeurs légèrement protubérantes en haut des omoplates et nota dans sa fiche de visite « à surveiller ».

 Le gardien d'immeuble devenait rêveur, il ne faisait plus beaucoup le ménage et s'arrêtait brusquement en chantonnant, oubliait de porter les colipostes urgents à leurs destinataires. Rosemonde, sa femme s'inquiétait de plus en plus, ce qui la rendait acariâtre. Lui, au contraire, avait perdu son caractère soupe-au-lait. Même les vieilles propriétaires avec lesquelles il s'était fâché, qui surveillaient à longueur de journée son travail, notaient ses retards, se plaignaient de son incapacité à faire le ménage aussi bien qu'elles, n'arrivaient plus à le faire sortir de ses gonds. Il se levait à cinq heures chaque matin, et lisait un psaume dans la traduction d'André Chouraqui. Puis, il sortait les poubelles, faisait le ménage et disparaissait vers onze heures. L'après-midi, il arpentait les rues de Rennes, de la fac de Beaulieu à la prison de Vézin, de la piscine de Bréquigny à celle de Villejean. Il recherchait les quartiers en hauteur, les collines où l'on peut voir de loin et s'élancer.

 Le soir, quand il se couchait, sur le dos, dans son lit, il sentait les deux petites boules sous les omoplates. Elles grossissaient, c'est sûr, bientôt il serait obligé de dormir sur le côté. Au bout de quelques semaines, il sentit une grosse gibbosité dans son dos. Pâques approchait. Il savait qu'il devrait être bientôt prêt.

 Rennes n'offrait pas de belles collines. Il se renseigna sur la région. Cela faisait seulement quelques mois qu'il résidait en Bretagne. Il avait fui le Nord et son chômage, il savait que l'amiante de son ancienne usine textile ne lui laisserait pas un long répit.

 Un matin de très bonne heure, il prit le train pour Saint-Brieuc. On lui avait dit que du haut du pont d'Armor, on pouvait voir un beau panorama. C'était compliqué d'atteindre ce pont. Il n'avait l'air fait que pour les voitures. Le parapet était surélevé, - à cause des suicides sans doute-. Il fallait beaucoup de courage pour l'escalader, et il était bien vieux. Il enleva sa veste, puis son tee-shirt. Le vent froid le surprit. Il sentit son dos craquer, et entendit le bruit léger et doux des plumes qui éclosaient de dessous sa peau. Puis, il sentit les grandes rémiges s'extraire peu à peu, se tendre. Il s'élança alors. Au début, il tomba de quinze mètres et eut très peur. Il réussit dans un grand effort à se mettre à l'horizontal et à planer. Il lui fallait apprendre à utiliser ses grandes ailes blanches toutes neuves. Il s'y essaya de plusieurs façons. Finalement, il comprit qu'il devait les déplacer très lentement, sans à coup. Son plaisir était immense. Il ouvrit grand les yeux. Le vent froid les faisait pleurer. Il se laissa tranquillement pousser par le vent d'Ouest. Il longeait la côte et comptait les îles. Bientôt, il atteignit le Mont-Saint-Michel.

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21 mars 2013

Le roman de Monsieur Crépinet/Dominique

Le 19 mars 2013

 

Tous les soirs Marcel Crépinet, écrivain sans grand renom, se mettait à sa table de travail et écrivait quelques pages de son grand roman, qui sûrement allait le rendre célèbre, et lui faire quitter la vie légèrement ennuyeuse de comptable dans l'entreprise « Salaisons et Hosties bio » de Bécon les Bruyères. Le début avait été laborieux. Monsieur Crépinet ne connaissait pas toutes les ficelles du métier : comment bâtir une intrigue, où situer l'action, comment enchaîner les chapitres. De jour en jour cependant, le personnage principal, Simon, prenait de la chair, de la réalité. Il le voyait parfaitement maintenant : joufflu, la cinquantaine, avec sa casquette et ses cigarettes, ancien champion régional de judo, mais déjà un peu essoufflé par le tabac.

Toutes les nuits, il se couchait fatigué et fébrile, et, dans ses rêves, Simon venait lui rendre visite. Au réveil, sur son calepin, il notait vite quelques idées nouvelles que ses rêves lui avaient suggérées, et qu'il développerait le soir même. Puis, il partait en hâte rejoindre son entreprise « Salaisons et hosties bio ».

Il en était au quatrième chapitre, où le héros devait faire enfin la rencontre amoureuse qui bouleverserait son existence. Serait-ce dans l'autobus, dans un café, ou dans les couloirs de l'entreprise du héros ? L'entreprise du héros ressemblait fort à celle de M. Crépinet, en plus jolie, seul le nom changeait : « Semences de pommes de terre et produits anti-doryphores ».

Quand la nuit vint, les sommeil de Marcel Crépinet fut agité. Simon se révoltait contre le rôle de voyageur de commerce que Monsieur Crépinet lui faisait endosser. Il ne voulait pas, non plus, vendre des produits contre les doryphores. Le lendemain, Marcel Crépinet reprit une partie de l'histoire afin qu'elle convienne mieux à son héros.

 Mais les nuits suivantes, Simon se manifestait encore, et critiquait de plus en plus violemment son auteur. Monsieur Crépinet arrivait pâle et fatigué à son travail. Un jour, il fit une erreur. Pour un comptable, c'est impardonnable ! Il fut mis à pied une semaine. Son médecin lui conseilla de partir en voyage. Le changement d'air serait sûrement bénéfique à son travail d'écrivain. Effectivement, les premières nuits, il dormit mieux. Un nouveau personnage, Esmeralda, prenait corps dans le chapitre cinq et il se laissait guider par les douces extravagances de l'héroïne. 

La quatrième nuit, Simon se manifesta à nouveau. Il était jaloux d'Esmeralda, voulait avoir le premier rôle dans chaque chapitre et n'imaginait pas tomber amoureux de la dulcinée. Le chapitre six était donc sérieusement compromis.

 Monsieur Crépinet envisagea toutes les issues, et bien que cela lui répugnât, décida qu'il fallait sacrifier le héros. Cette histoire devenait trop difficile et il fallait en finir maintenant. Une mort violente. Accident de voiture ? Empoisonnement à l'arséniate de chaux utilisé contre les doryphores ? Les idées ne lui manquaient pas, il fallait mettre cela en scène.

La dernière nuit avant son retour à Bécon les Bruyères, il dormit très sereinement, et n'eut aucune visite dans ses rêves, ni d'Esmeralda, ni de Simon. Ces deux-là avaient peut-être réussi à se rencontrer et devaient régler leurs comptes. 

Il prit le train du matin pour Bécon les Bruyères. Finalement, il avait opté pour l'arséniate de chaux. Il se rendit directement au travail en sifflotant. Curieusement, il ne reconnaissait personne sur son chemin, ne rencontrait aucun collègue. L'usine de salaisons avait changé, la couleur rouge de la façade avait disparu, remplacée par deux teintes bistre et gris du plus bel effet. Le logo aussi avait changé. Quand il fut assez près, il put lire l'enseigne qui était bien étrange : « Semence des pommes de terre et produits anti-doryphores ». Je me suis peut-être trompé de rue ? Il était rue des genêts. Tiens, pensa-t-il, comme dans mon roman !

Il voulut rentrer dans son bureau de comptable. Celui-ci était occupé par un homme – il le voyait de dos- qui écrivait allègrement sur de grandes feuilles de papier blanc. L'homme se retourna e tle plaqua entre deux feuilles. Il eut à peine le temps de reconnaître Simon.

18 février 2013

Anka / Dominique (séance du 12 février 2013)

oiseau de paradis

Dans l'encrier de la belle Anka apparurent soudain toutes sortes d'images. L'encre était bleue mais la surface faisait comme une loupe où se formaient et disparaissaient des papillons évanescents, des fourmis peuplant une fourmilière, une forêt peuplée d'oiseaux de paradis, des animaux retournés à l'état sauvage et puis finalement un message en signes cabalistiques qu'elle recopia soigneusement sur un buvard.

 Elle alla trouver la voyante Léna afin d'interpréter le message qui, sûrement devait décider de sa vie future. La voyante resta longtemps en silence, comme si le message était non pas difficile à déchiffrer – elle avait été agent secret pendant la dernière guerre et le chiffrement et le déchiffrement étaient pour elle un jeu d'enfant – mais plutôt difficile à faire entendre à cette petite innocente.

voyante

- Oublie les mille et une nuits, lui dit-elle. Le message ne dit rien dans ce registre-là. Je ne voudrais pas te faire une peur express mais il s'agit d'un passage en outre-monde.

- Non ! s'écria Anka qui sentait la révolte la gagner. Ce n'est pas possible. J'en reviens de l'outre-tombe. Ce message parle-t-il du passé ou du futur ? 

- Il ne s'agit pas d'outre-tombe, mais d'outre-monde !
Les deux femmes devinrent très pensives. Léna devait-elle traduire la fin du message à Anka ? Anka était-elle capable de le comprendre ? Elles buvaient un café 0405, en fait un expresso avec du Tranxène que Léna réservait à ses clients difficiles.

Anka devait s'équiper pour un décollage immédiat vers la Sicile. Elle y rencontrerait l'innocent de Palerme : un jeune homme que la mafia cachait soigneusement. Jeune, il ne l'était peut-être plus, car le message disait – mais, il y avait une petite tache sur le buvard à cet endroit et cela introduisait un peu d'ambiguïté – que cela faisait déjà 6000 nuits qu'il avait disparu ! Cet innocent connaissait semble-t-il le cœur des deux mondes et serait donc capable d'emmener Anka outre-monde. Léna ne put en dire plus, mais à Palerme, Anka aurait d'autres informations sur la suite de son voyage.

Anka monta en tremblant dans l'avion. C'était la fin de l'après-midi. La tête calée contre le hublot, elle regardait l'embrasement du ciel avant la nuit. Son esprit était vide. Le soir tombé, elle se reprit. Il me faudrait un petit carnet pour tenir mon journal pensa-t-elle. L'hôtesse de l'air lui fournit gracieusement le carnet de bord de Greg, le commandant de bord, et un stylo aux ailes de la compagnie. Le carnet de bord était déjà bien rempli et contenait d'autres messages cabalistiques ressemblant fort à celui de son encrier. Elle comprit qu'elle n'aurait même pas besoin de rencontrer l'innocent de Palerme. C'est le commandant lui-même qui l'emmènerait outre-monde.

L'atmosphère dans l'avion était un peu spéciale. Ils n'étaient que trois passagers, plus l'hôtesse de l'air et le commandant Greg. Un des passagers avait un air de vieux parrain, l'autre était une passagère, habillée en bonne sœur mais pourvue de grosses lunettes qui lui mangeaient les trois-quarts du visage. Elle voulut déchiffrer les nouveaux messages, mais le sommeil la gagnait et elle se sentait sans force.

montalcino-italie-2006

Quand elle se réveilla, il faisait tout à fait nuit. Le parrain et la bonne soeur s'étaient assis à ses côtés. Ils firent des mots croisés, en français et en italien, et burent du vin de Montalcino. Tout cela était très joyeux. C'était vraiment une bonne façon de commencer ce voyage ! Après l'atterrissage, ils sortirent sur le tarmac. Il y avait, au pied de l'avion, un petit groupe en guise de comité d'accueil. Il faisait noir. Elle n'y voyait rien, mais l'un du groupe parla. Elle en était sûre, c'était la voix de son père. Elle ne l'avait plus entendue depuis vingt-deux ans. 

17 février 2013

Bref ! Je sais pas dire non / Dominique (séance du 29 janvier 2013)

blouson-cuir-agneau-rose

Bref ! Je ne sais pas dire non.

La semaine dernière, c'était les soldes. Je cherchais un nouveau manteau noir. Je suis revenue avec un blouson rose.
Il plaisait à ma copine : ça change un peu tes couleurs.
Il plaisait à la vendeuse : il vous va vraiment très bien, c'est la mode des blousons moulants.
Moi, je ne l'aime pas. Mais, je ne sais pas dire non.

Beirut_Museum

Au mois de novembre, près du musée ethnographique de Beyrouth, j'attendais le car pour Byblos. Celui pour Tripoli est arrivé.
Le chauffeur m'a dit :
- Vous montez, madame ?
Je sais pas dire non, je suis montée.

L'an dernier, j'emmène ma nièce au cinéma. Le film que l'on a choisi passe dans deux heures. Mais dans trois heures, elle doit retourner à l'internat. Celui qui passe en ce moment est interdit au mois de 16 ans. Ma nièce a 14 ans. Elle a fort envie de voir un film interdit. Je sais pas dire non.

A l'hôpital, le chirurgien me dit « Alors, madame, on vous enlève cette vilaine tumeur au pied ?». Il me sourit dans sa tunique bleue, il a des yeux assortis. J'ai souri aussi, j'ai dit oui. Pourtant, je n'ai pas de tumeur au pied.

Bref ! Je sais pas dire non.

10 janvier 2013

Chats et chiens / Dominique

« La personne qui convertit les chats en chiens dans notre quartier est instamment priée de cesser son manège ».

Il venait de lire cette annonce sur le panneau en liège de la boulangerie, à côté des offres de baby-sitters pleines d'expérienceou des jeunes diplômées de langues étrangères qui proposaient des cours de soutien en italien, estonien ou tchétchène.

Dans la queue devant la caisse, plusieurs dames à chevelure violette et cannes à pommeau dorées en parlaient à mots couverts.

- Vous vous rendez compte ? « Convertir un chat en chien » mais ce devrait être interdit par la loi ! Je me demande où « ils » font ça. "
« Ils », bien entendu, car ce ne pouvait être l'oeuvre que de plusieurs.

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Imaginez un peu : un chat de gouttière, saisi en pleine maraude, au bord d'un toit ou dans un jardin, le pauvre animal, bâillonné, ligoté, emmené de force dans une chapelle. Oui, il s'agit de la chapelle des « chiens innocents », et là, obligé de pratiquer un culte impie, revêtu d'une voilette violette, muselé, la queue coupée, car les chiens se différencient des chats par la petite taille de leurs queues, obligés de faire des ablutions, or les chats n'aiment pas l'eau, baptisé par un chanoine à l'eau de « chien-Yorre », ce qui lui fera perdre la tête.

Et, on ne sait pas tout. Personne n'a pu vraiment épier jusqu'au bout leurs cérémonies initiatiques. Qui sait si les chats les plus rétifs, les chats laids ou les chats lents, ne sont pas tout simplement transformés en chapelure ou en brosse à chiendent ?

- Je connais un chasseur dans le quartier.
- Moi, aussi.
- On devrait leur demander de faire une expédition punitive, un soir de temps de chien. Revêtus d'une chasuble, et cachés sous leur chagoule, armés de leurs vieux chassepots, et de quelques pots de peinture noire, ils pourraient recouvrir la chapelle d'inscriptions chagrines : « Non aux conversions forcées !», « Stop à l'invasion canine !», « On n'est plus chez nous !», « Vive les félins nationaux !», « Supprimons l'espace de chienne-gen !».
- Ma chère, vos menaces sont bien trop charmantes. Moi, je serais moins charitable. Il nous faut un vrai charivari avant les élections. Faisons sauter la chapelle des chiens-innocents !".

 Il se trouvait maintenant devant la caissière. C'était une jeune femme, très douce et très jolie, qui se prénommait « Shalom ». Il était très inquiet de toutes ces conversations entendues. Il craignait que l'ambiance en ville ne se dégrade encore à l'approche des élections. Il savait qu'il allait se faire chapitrer par son secrétaire général. Que se passera-t-il quand descendront dans la rue des escadrons de chats bleu marine, tatoués, vaccinés ? La jeune femme était résolue à l'aider. Tout d'abord, il fallait retirer cette petite annonce du tableau. Mais une inscription identique, ils le savaient, se trouvait dans la supérette et à la poissonnerie. Il fallait agir discrètement. Ne pas alerter ce fou qui activait de telles rumeurs, laisser toute cette agitation retomber. Mais maîtrise-t-on une rumeur ? Maîtrise-t-on une rumeur en période de crise ? Elle avait quelques amis courageux, certains étaient d'émérites graffeurs, plus agiles que des chats de gouttière, plus artistes que des Chagall. Il fallait lancer une campagne de tags sur les murs et les toits. Cent chats bien portants allaient fleurir et s'épanouir, crier au monde leur authentique bien-être et leur bonheur d'être des chats tigrés, des chats noirs, des chats rouges ou des chats verts.

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Rasséréné, il paya ses croquettes, et s'en revint à pas lents chez lui. La caissière était fort jolie, il lui aurait bien parlé d'autre chose que de chats et de chiens. Mais il était timide et ne savait pas aborder les gens, sauf sous l'angle professionnel. Il en avait presque du chagrin. Arrivé chez lui, il s'aperçut qu'il n'avait pas besoin de croquettes puisqu'il n'avait ni chien, ni chat. En revanche, il avait oublié ses châtaignes. Il était encore temps de retourner à la boulangerie.

 

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