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L'Atelier d'écriture de Villejean

13 septembre 2022

Amitié / Josiane

A l’arrêt « Se le dire enfin », j’étais attendue. Fallait-il y voir un quelconque signe de celle que j’allais retrouver ?

Il faisait triste sur ma ville ce jour là et le parapluie était de mise. Certains imprévoyants se pressaient pour échapper au flux continu qui se déversait avec un mélodieux clapotis. Mélodieux à nos oreilles car l’été avait été particulièrement sec et cette ondée bienfaisante était attendue.

2223-01 Josiane - Se le dire enfin

Je sautai dans le bus N°4 à l’arrêt joliment nommé « Le premier jour du reste de ma vie ». Quelle belle idée avaient eu nos élus de suivre les bibliothécaires de la ville et de renommer les arrêts de bus et de métro à l’occasion de l’ouverture de la Ligne B de ce dernier ! Cela ne simplifiait pas la vie de ceux qui ne connaissaient pas la ville ou n’avaient pas le sens de l’orientation, mais cela mettait dans nos vies de citadins un peu de poésie.

Je jetais un oeil à ma montre : midi pile. Elle m’avait dit : « Sois à l’heure, nous avons tant de choses à nous dire ! ». Il est vrai que nous nous étions perdues de vue depuis plus de vingt ans.

Pourquoi avions-nous décidé de nous revoir après un si long silence ?. Il est des décisions qui n’ont pas d’explication, sinon, l’âge venant, la peur d’un rendez-vous manqué, d’une séparation définitive.

Le bus avançait inexorablement vers ma destination et je commençais à ressentir ce pincement qui précède un rendez-vous important. C’est alors que je la vis. Elle n’avait pas changé, tout au plus quelques rides. Je sautai vivement sur la chaussée pour la rejoindre et nous avons couru l’une vers l’autre.

2223-01 Josiane - Se le dire enfin 2Tout naturellement nous avons bavardé, nous nous sommes racontées ; vingt ans, il s’en passe des choses en vingt ans. Et puis, cette phrase : « C’est drôle, c’est comme si nous nous étions quittées hier ! ». Et c’était vrai, l’amitié était intacte, le plaisir d’être ensemble aussi.

- Tu sais, il faut que je te dise, tu m’as manqué, mais je savais pourquoi ce silence et je l’ai respecté.

Voilà, en quelques mots elle définissait le mot Amitié.

Nous avons eu envie de poursuivre ces moments précieux, nous avons parlé de nos vacances communes, de la Crêperie des Petits miracles où nous avions nos habitudes, de l’heure bleue photographiée rue du Jerzual à Dinan, des algues vertes qui gâchaient nos séjours en Finistère, de la poule Coucou offerte pour un anniversaire. Il y avait tant à se dire.

Nous avons omis les galères, nos descentes aux enfers, ce serait pour plus tard peut-être. C’était si bon de se retrouver, ne pas gâcher ces instants, s’abandonner à vivre et que ne durent que les moments doux.

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13 septembre 2022

La Crêperie des Petits miracles / Jean-Paul

2022-09-11 - Nikon 16

La Ballade avec Brassens, c'est la crêperie des petits miracles bretons ! Elle est ouverte tous les deux ans à Rennes, derrière l'église Saint-Hélier, et les jours où je m'y rends tout le bleu du ciel m'accompagne, comme si Rennes était devenue Sète, comme si Georges Brassens n'avait jamais chanté « L'orage », « Le Parapluie » et « Le Petit cheval dans le mauvais temps ».

Ce jour-là on lui pardonne, au plus célèbre des Sétois, sa soupe à la grenade anarchiste, ses formules misanthropes : « Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on est plus de quatre on est une bande de cons ». On passe sur ses gros mots, sa ronde des jurons, ses grivoiseries et sa soit-disant misogynie.

On peut se le dire enfin cet adage par lui pondu selon lequel « Tous les morts sont des braves types ». Effectivement on oublie très vite qu'ils ont mangé de la vache enragée, les poètes, qu'ils se sont peut-être trompés en allant mourir pour des idées, les hommes, et on souhaite que ne durent, pour toutes et tous, que les moments doux de leur existence. Il les a bien chantés, ceux-là, l’oncle Georges : sa reconnaissance envers la Jeanne et l'Auvergnat, ses amours d’antan et de maintenant comme celui de cette petite poupée, Püppchen, devant laquelle il s'est fait si petit qu'il lui a écrit une presque LewisCarrollienne non-demande en mariage. Joyeux non-anniversaire monsieur Georges ! Vous auriez eu cent-un ans le mois prochain si la camarde, qui n’a jamais rien pardonné à personne, ne vous avait emmené retrouver l’oncle Archibald et le vieux Léon au pays des fantômes tremblants et troublants. Comme cadeau pour commémorer cela, la promenade qui porte votre nom à Rennes a pris ce dimanche des allures de pays des merveilles.

Toutes les dames qui sont montées sur la scène pour vous chanter avaient le sourire des fées sur les lèvres, ravies qu'elles étaient de se mettre en bouche les mots crus du gorille de l'impasse Florimont.

***

2022-09-11 - Nikon 52

Je ne suis pas là pour raconter ma vie mais, sachez-le, vous qui me lisez, je suis tombé amoureux de l'une d'entre elles hier ! Amoureux de sa voix, de sa diction et quand nous nous sommes trouvés côte à côte à chanter ensemble les paroles d'une autre chansonnette devant un groupe nommé Les Modestes, ce fut comme une communion, un moment de grâce ; nous nous sommes jetés un regard en douce et peut-être a-t-elle pensé comme moi « Va où le vent te berce ! Propose à ce frère - cette sœur – en Brassenssitude de passer le premier jour du reste de ta vie a te gratter le ventre en chantant des chansons ou, à tout le moins, demande lui si ça l'intéresserait de former un duo musical !".

Elle n'a pas osé. Je n'ai pas osé non plus, de peur qu'elle ne me réponde : « Désolé, je suis attendue ! » et c'est ainsi que j'ai pu vérifier la justesse des observations d'Antoine Pol sur les instants secrets pendant lesquels on aime ces belles passantes.

13 septembre 2022

L'incident de la ligne C 5 / Jean-Paul

2223-01 Jean-Paul A TerminusBelz-site

Au commissariat :

- Elle est montée dans le bus numéro C5 à "Midi pile". Il était 19h.

- Qu'est-ce que c'est que ce charabia ? Qu'est-ce que vous racontez là ?

- "Midi pile", c'est le nom de l'arrêt du bus. Depuis qu'on a donné le pouvoir aux bibliothécaires ils ont renommé toutes les stations de toutes les lignes de bus comme de métro.

- Monde de fous ! C'est bon, continuez !

- À la station "Fils de dragon" est monté un type déguisé en chevalier Saint-Georges.

- Avec son cheval ?

- Non, il l'avait oublié au casino. À la station « Y a plus de place » sont montées des bonnes sœurs en grand nombre, si bien qu'il n'y avait plus de place dans le bus mais elles sont descendues à l'arrêt suivant « L’Imagier tic toc ». C'est là que sont montés les frères siamois dont l'un avait une jambe de bois.

- Ils étaient combien ?

- Trois paires !

- Tic Tic, Tic Tic, et Tic et Toc, c'est ça?

- C'est ça ! Ensuite...

- Ne me dites pas qu'à "L'Heure bleue" Laure Adler est montée à bord ?

- Elle lui ressemblait, en tout cas ! Ou alors c'était Kathleen Evin ? Je ne me souviens plus très bien des visages des gens de radio ! J’ai parfois la mémoire qui flanche !

2223-01 Jean-Paul B TerminusBelz-site- Et les ours déguisés en Marilyn Monroe, c'était où ?

- C’te question ! A "Poupoupidours" bien sûr ! Après le bus c'est arrêté à « Occupé » mais les WC étaient fermés de l'intérieur donc personne n'est monté, personne n'est descendu. À "Pop Ville" on a embarqué les musiciens.

- Et alors l'incident a eu lieu où?

- C’est vous qui appelez ça incident ! À « Rois et reines de Babel » ! Tous les chauffeurs de bus de toutes les lignes s'étaient donné rendez-vous devant la boîte de nuit qui est là et qui s'appelle le « Terminus Belz » pour le grand bal costumé permanent. Ils y sont toujours, avec tous leurs passagers ! Ça fait cinq jours et cinq nuits et ce n'est pas prêt de s'arrêter !

- Et donc si on veut circuler dans la ville maintenant ?

- Il ne vous reste plus que les deux lignes de métro sans chauffeur ! Mais pourquoi voulez-vous circuler ? Faites comme tout le monde, commissaire ! Venez faire la fête au Terminus Belz !

 

14 juin 2022

Consigne d'écriture 2122-33 du 14 juin 2022 : Y'a pas d'hélice, hélas ! C'est là qu'est l'os !

Y’a pas d’hélice hélas ! C’est là qu’est l’os ! * 

 

 Composez une chanson dans le style de Boby Lapointe, un poème ou un texte dans lequel un maximum de mots de ce tableau sera inséré : 

asse esse isse osse usse autres
hélas blesse hélice véloce complusse Lens
Stanislas diablesse délice colosse plus Lance
place drôlesse Place des Lices molosse déplusse silence
Callas faiblesse police Pangloss Luce indolence
calasse gentillesse réglisse Délos élusse insolence
collasse liesse mélisse Loos (ville du Nord) plusse alliance
lasse mollesse calice Biblos prévalusse ambulance
délace vieillesse Brennilis Carlos résolusse balance
délasse aloès Galice   voulusse bienveillance
filasse Périclès malice   valusse contrebalance
hélasse Thalès complice   angélus corpulence
mollasse   milice     défaillance
mêlasse   La Palice     dissemblance
extrapolasse   pelisse     élance
pilasse   ramollisse     Valence
poilasse   salisse     équivalence
ralasse   silice     excellence
salace   avilisse     féculence
soûlasse   lisse     invraisemblance
las   Alice     lance
Wenceslas   cilice     malveillance
glace   coulisse     alliance
Lovelace   déplisse     mésalliance
matelasse   éclisse     nonchalance
mélasse   glisse     opulence
populace   plisse     pestilence
remplace   polisse     pétulance
replace   supplice     relance
verglace   Ulysse     ressemblance
déplace   amaryllis     somnolence
brise-glace   héliopolis     surveillance
enlace   lis     vigilance
désenlace   Persépolis     violence
entrelace   siphylis     virulence
          vraisemblance

* « Y’a pas d’hélice hélas ! C’est là qu’est l’os ! » est un extrait de dialogue du film « La Grande vadrouille » de Gérard Oury

14 juin 2022

Mariage princier / La Licorne

Quand Alice épousa Stanislas
Toute la populace 
Se massa sur la place
La foule était en liesse
Devant la jolie princesse
Et le beau prince russe
Qui célébraient Vénus
 
On loua la sveltesse
Et la folle jeunesse
De ce couple dont l'alliance
Allait soutenir la France
Quelle chance qu'elle lui plusse
Quelle chance qu'elle le susse
Que sonne l'angélus !
  
Prise dans l'allégresse
La mignonne princesse
Son Stanislas embrasse
Mais aussitôt grimace...
Mon dieu, pas d'ivresse !
Y'a pas délice hélas,
C'est là que le bât blesse...
 
La belle n'est pas bécasse
Elle refuse qu'il l'enlace
Et lui dit : "Mon altesse,
Avant la fin de la messe
Je dois vous faire une confidence
D'une grande importance  :
Je souffre, hélas, d'herpès..
 
Le prince d'un coup s'affaisse
Puis dégrisé, s'empresse,
Avec délicatesse 
De jeter la blondasse :
"Votre cas m'embarrasse,
Chère princesse Alice...
Nous étions si complices...
 
Même si c'est un supplice
Pour moi et une grande tristesse
Je ne puis risquer, pour une caresse,
Ou pour une fleur de lys
De contracter la syphilis
Laissons là le rêve et tous les us
Pour nous, c'est le terminus...
 
Et c'est ainsi qu'Alice
Avec un brin de malice
Délaissa Stanislas
Les strass et les palaces...
Et qu'elle épousa en grandes noces 
Son vieil ami Carlos...
Qui lui fit trois beaux gosses ! 
 
 
P-S : Tout cela se passait, bien entendu, 
en des temps lointains...
bien avant tout conflit...
franco-russe
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14 juin 2022

Quatre variations sur l'absence d'hélice / Jean-Paul

PÉNÉLOPEGATE

Si le jour tu plisses
Et la nuit déplisses
Tu ne laisses pas de traces :

Y’a pas d’Ulysse, hélas !
C’est là qu’est l’os

2122-33 JK - Pénélope

***

Mais que fait la police
Pour que, place des Lices,
Cesse
La Malveillance
De ce bandit véloce
Qui toujours se déplace
Parmi la populace,
Y sévit sans mollesse
Et s’efface
Malgré sa corpulence ?

Au pos-
Te de police,
Y aurait-il des complices
Veillant sur son négoce
A Rastapopoulos ?

2122-33 JK - Rastapopoulos

***

L’agent d’assurance
Se peut-il qu’on puisse
Lui faire confiance
S’il s’appelle « Persépolis » ?

2122-33 JK - Persépolis

***
2022-04-14 - Nikon 336

Place
Stanislas
J’attendais Alice.

J’attendis longtemps.

Q’eût-il fallu que je fasse (ou fisse) ?
Que je résolusse de rentrer chez moi ?
Que je pestasse contre son indolence ?
Sa défaillance ?
Sa propension à la somnolence ?
Sa tendance à confondre un rouleau de réglisse avec un agenda ?
Que je me ramollisse comme fond la banquise devant le brise-glace ?

Mettant fin au supplice
Je traversai la place,
Entrai à l’opéra
Ecouter la Callas.

J’y fis la connaissance
Du gardien des coulisses,
Un nommé Wenceslas,
Garçon empli de grâce
Brillant d’intelligence
Et dont la bienveillance
Me fit vite oublier
L’indicible drôlesse
Qui m’avait plus tôt
Posé un lapin,
Lui même toujours en retard !

7 juin 2022

Consigne d'écriture 2122-32 du 7 juin 2022 : Trente et un mots et quatre incipits

Trente et un mots et quatre incipits

 

Avec les mots suivants :

averse – boire- calendrier - cesser - ciel bas - couvent - craindre - crayon - cueillir - emplir - fenêtre - hésiter - interroger - maisons - malles - nuit - oublier - passer - petit-carton - pluie - rafales - rêver - rues - ruisseaux - s’apercevoir - s’éclaircir - sac - sembler - sonner - terre - toits

composez le début d’un récit et poursuivez-le.

Vous pouvez également utiliser l’un des quatre incipits ci-dessous puis insérer des mots de la liste  dans votre texte :

1) Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce qu’on sait où l’on va ?

2) Jeanne, ayant fini ses malles, s’approcha…

3) Le petit Poucet était malin comme un singe. Chaque matin il partait à la chasse à l’ogre. Chaque soir il revenait avec un ogre dans sa gibecière pour nourrir son papa, sa maman et ses six frères.

4) C’est pas difficile, ils l’ont ratée leur ville moderne. Et toute leur grande ceinture parisienne idem. On est bien placés pour en parler. On y habite.

Consigne empruntée à C. Peyroutet – La Pratique de l’expression écrite. - Paris : Nathan, 2005.

2122-32 Consigne La-pratique-de-l-expression-ecrite

7 juin 2022

Partir / Anne J.

Jeanne ayant fini ses malles s'approcha de la fenêtre : le ciel était bas et ne semblait pas vouloir s'éclaircir, l'averse et les rafales secouaient les volets, la pluie durait depuis le matin.

2122-32 Anne J

Jeanne ouvrit la fenêtre et pointa son doigt vers l’astre qui venait d’apparaître entre deux gros nuages. Non elle n’irait pas sur la lune en empilant des commodes comme dans ce conte qu’on lui avait raconté petite, elle avait pris un aller simple pour une de ces navettes nouvelles entre la Terre et la Lune : elle aurait aimé qu'elle ressemble à la fusée rouge et blanche des albums de Tintin et qu'un capitaine Haddock l'accompagne mais elle s'embarquerait seule pour cette aventure, dans une banale capsule décorée de publicités.

Partir pour la Lune, était ce bien une bonne idée ? Trop tard pour hésiter ou s’interroger et pourtant des questions elle avait un plein panier !

Pouvait-on cueillir des roses sur la lune ou en cultiver ?

Rencontrerait-elle le petit Prince et sa rose bien aimée ?

Y avait-il des aubes et des crépuscules sur la nouvelle planète ?

2122-32 Anne J

Y avait-il des calendriers éphémérides dont on arrache la page chaque matin ?

Dans la ville lunaire, trouvait-on une rue Gagarine ou une rue Amstrong ?

De là-haut, entendait-on sonner les cloches des églises et pouvait on apercevoir les toits des couvents ?

Jeanne voulait rêver et le rêve n’avait plus sa place sur cette vieille Terre. Elle n’y croyait plus à ces lendemains qui chantent des chants révolutionnaires. Fini pour elle le «  Debout, les damnés de la terre ».

Ce matin elle avait glissé son petit carton dans l’urne. Elle n’attendrait pas le 2ème tour.

- NUPES, Ensemble, Patriotes ou Reconquête, allez au diable, je pars sans retour pour la Lune ce soir !

7 juin 2022

I comme intempéries / Adrienne

Comment s’étaient-ils rencontrés alors qu’ils vivent selon des calendriers si différents ?
Par hasard, comme tout le monde.
Une nuit d’averses en rafales et de ruisseaux le long des rues.

Comment s’appelaient-ils ?
Que vous importe ?
L’essentiel n’est-il pas qu’en s’apercevant ils n’ont pas hésité ?
Qu’ils n’ont pas passé leur chemin sous prétexte de pluie ?

D’où venaient-ils ?
Du lieu le plus prochain, de ces maisons sombres aux fenêtre à peine éclairées et aux toits pentus sous le ciel bas. De ces maisons aux greniers emplis de malles, de petits et de grands cartons que personne n’ouvre jamais.

Où allaient-ils ?
Est-ce qu’on sait où l’on va ?
Ne s’interroge-t-on pas sans cesse, où, quand, comment, pourquoi ?
Ne devrait-on pas plutôt craindre d’oublier de rêver ?
D’oublier de cueillir l’instant présent ?

Et après ? vous demandez-vous, parce que vous attendez une histoire.
Sont-ils allés boire quelque chose de chaud ?
A-t-elle sorti un crayon de son sac pour noter les adresses, les numéros de téléphone ?
Se sont-ils empli les yeux de la vue l’un de l’autre au point d’oublier que les heures sonnent au clocher ?
Ou le ciel s’est-il éclairci et une promenade dans le parc leur a-t-elle semblé préférable, avec son odeur de terre humide et de feuilles ?

Après ?

Après, rien.
Elle est rentrée dans son couvent.

7 juin 2022

Le Royaume de l'ogre / Jean-Paul

2122-32 JK Mies-cover-02-992x560
Illustration tirée de Mies, bande dessinée de Agustin Ferrer Casas

C’est pas difficile, ils l’ont ratée, leur ville moderne. Et toute leur grande ceinture parisienne idem. On est bien placé pour en parler. On y habite.

Place de l’Averse, dans le vieux garage abandonné pour la bonne et simple raison qu’il n’y a plus de voitures ni de bus à circuler. Cette place pourrait être pratique s’il y avait des bancs pour que les amoureux puissent s’asseoir, s’embrasser et rêver d’aller cueillir des fleurs à la campagne. Mais il n’y a plus de campagne et il n’y a plus rien sur cette place, que deux petits cafés, des succursales de banque – ça il y en a encore !- et l’agence d’intérim.

Il y a quatre rues qui partent de la place. La rue des Rafales de pluie s’en va vers le Nord de la ville. De l’autre côté la rue de la Course en sac à l’échalote mène au quartier des écoles. Vers l’Est c’est l’avenue du Couvent sans oiseaux, rapport qu’effectivement, il n’y en a plus des volatiles. C’est vrai que ça fait peur, toutes ces histoires de déforestation croissante, de biodiversité qui s’en va vers la nuit du point zéro. Ça interroge, cet avenir de la Terre qui ne semble plus exister que dans une migration vers Mars.

Déjà qu’on ne prend plus jamais l’avion, tu nous vois dans une fusée ? On la trouverait violente qu’il faille monter dans une soucoupe et mettre un costume vert pour habiter la planète rouge. Ça craindrait un max, mon colon !

Mais il faut qu’on cesse de s’emplir la tête de ces angoisses. Pour oublier tout ça, pour s’éclaircir le moral et passer un bon moment mieux vaut aller vers l’Ouest, chez Riton et Rita qui ont leur troquet dans la rue des Petits ruisseaux.

Quand on en a marre du ciel bas et lourd qui plombe la cité et l’ambiance, je n’hésite pas ; j’y vais, je m’installe près de la fenêtre qui donne sur la rue, je commande à boire. Rita m’apporte un demi et le pose sur un petit carton qu’on appelle un sous-bock je crois. Puis je sors de mon vieux sac mon cahier et un crayon. Sans m’en apercevoir vraiment, je proustifie, je raconte le passé, je décolle, je m’envole par-dessus les toits. Tout devient plus léger, je me fais la malle et je remonte le calendrier avec mes questions maison.

Par exemple, Rita et Riton, depuis quand est-ce qu’ils cohabitent dans ce rade ? Quand est-ce que notre Henri a engagé Marguerite ? Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde ? D’où venaient-ils ? Où allaient-ils ? Comment s’appelaient-ils ? On ne demande pas leur nom aux patrons de bistrots sauf s’ils se prénomme tous Michel et portent un blase qui se ressemble : Delezenne, Delebarre, Delépine…

Les serveuses non plus, c’est juste un prénom ou un diminutif, et on ne s’enquiert pas de leur 06. Certaines, très susceptibles, ont vite fait de rabrouer vos ardeurs en vous renversant votre commande de boisson houblonnée sur le colback.

- Excusez ma maladresse, je suis très émotive !

Emotive et refroidissante ! Riton, complice en tout de sa protégée, tire un autre demi, vous l’amène et vous le sert en vous glissant à l’oreille :

- Je ne vous le fais pas payer mais vous savez que bien que c’est interdit par la loi de draguer comme un lourd, non ?

La tête du DSK de passage ! Nous à côté on rit sous cape et moi je fais le récit du double dérapage dans mon carnet à petits carreaux.

On y est bien, au Balto, chez Riton et Rita mais avec les poteaux on sait très bien qu’on va partir un jour. Ça demande de s’équiper super-sérieux, de s’armer de courage pour faire la route le long de ces rues labyrinthiques bordées d’immeubles de trente étages mais on le fera. Aller jusqu’au bout de la rue des Petits ruisseaux, enchaîner avec celle des Grandes rivières dans une autre ville, puis une autre. Il paraît qu’elles mènent en Bretagne et que là-bas il y aurait encore des maisons basses au bord de la mer. Et des plages sans goudron ni plastique. Il paraît. On ne peut pas savoir.

Personne n’en est jamais revenu. Parce qu’il y aurait aussi des petits Poucet qui chassent les ogres. Chaque jour ils reviennent chez eux avec un ogre dans leur gibecière pour nourrir leur papa, leur maman et leurs six frères.

On ne peut pas leur en vouloir, c’est la vie, c’est dans leur nature. Mais bientôt pour nous ce sera ça ou monter dans la fusée. Tant qu’à faire, « Qu’on se pende ici, qu’on se pende ailleurs, s’il faut se pendre ! », comme dit une très vieille chanson. « L’aventure commence à l'aurore » répond une autre.

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