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L'Atelier d'écriture de Villejean

13 décembre 2022

Fêtons Noëlle pour la 68ème fois ! / Anne J.

Je retourne piocher dans mes réminiscences anciennes d'une déjà bien longue vie pour vous en raconter quelques péripéties  !

AEV 2223-13 Anne J

La soirée du 24 décembre, on faisait des petites gâteries dans des collerettes de pâtissière, des dattes et des noix fourrées à la pâte d'amandes colorée en vert ou en rose et des tranches d'orange enrobées dans une substance sucrée, dorée, brûlante et resolidifiée par la température ambiante . J'aimais encore plus faire des truffes, roulées dans une poudre chocolatée et serrées dans une boite décorée. Toute cette activité pâtissière se faisait avec des chansons de Noël passées et repassées sans fin, mélodies mièvres, cantilènes religieuses et profanes chantant la gloire de Noël.

Ensuite c’était l'heure de mettre les filles sous la couette pendant que les grandes personnes s'affairaient à la préparation du décor : je me souviens de la rigolade de cette soirée à gonfler des baudruches et à les scotcher, avant qu'elles n'éclatent, sur la partie la plus haute de la pièce, sans doute l'année de ma huitième fête de Noël.

Ensuite c'était l'heure de la messe et la merveilleuse brioche trempée dans une boisson chocolatée qui suivait.

AEV 2223-13 Anne JToutes les aubes du 25, pour l'ouverture des surprises offertes pour l’occasion, il nous fallait attendre l'autorisation et l'heure convenable : je me souviens de cette année où mes sœurs et moi avons reçu une paire d'étranges semelles de fer montées sur quatre roulettes que nous avons aussitôt voulu essayer sur la piste goudronnée la plus proche, avec une flopée d'autres gamines, dont certaines avaient reçu une bicyclette. La piste était proche d'une clinique qui a vu arriver en quelques heures épaules démises et chevilles foulées, quand ce n'étaient pas des faces écrabouillées.

La torture rituelle arrivait avec la ripaille dans la parenté de ma mère et spécialement avec le mari de ma grand-mère qui essayait de me convaincre, chaque année :  « Tu vas voir, les huîtres c'est tellement bon ! » . Après la bouchée déglutie avec peine et la nausée inévitable, je me précipitais pour vomir cette chose gluante et verdâtre que j'avais dû avaler sous la contrainte.

Bien plus tard arrivait la journée de l'épiphanie et la galette des Rois, dégustée chez ma grand-mère paternelle ; on l'arrosait d'une liqueur sucrée et alcoolisée qui nous collait la bouche et nous donnait soif.

AEV 2223-13 Anne JQuand j’ai eu une vingtaine d’années, j’ai regardé avec nostalgie ces coutumes et mœurs de mon enfance et même parfois avec un peu de condescendance…et pourtant j’aimerais voir arriver cette soixante-huitième fois avec la même impatience, la même candeur, les mêmes étoiles dans les mirettes et accueillir les boîtes enrubannées avec les « Oh ! » et les « Ah ! » de circonstance .

Il ne me reste plus qu’à fredonner « Douce Nuit, sainte Nuit ». Ça y est, vous y êtes…c’est Noël !

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13 décembre 2022

R comme Réveilon(ne) / Adrienne

Cette invention américaine est bonne pour les personnes sans foi ni loi, a décrété la mère.

Ici, on n’accorde sa confiance qu’à la mitre et à la crosse : on dit oui à la barbe blanche et à la tenue rouge, à condition que ce soit avec une croix dorée brodée dessus et une bague épiscopale à la main gauche.

Alors bien sûr, faisons la fête, mais uniquement avec une grande table, une nappe blanche, des bougies, des assiettes de fine porcelaine qui dorment dans l’armoire toute l’année, des huîtres, des bouchées à la reine, une dinde farcie, des croquettes de pommes de terre, des airelles, une bûche à la crème et la messe de minuit.

 

13 décembre 2022

Fêtons Noëlle ! / Jean-Paul

2022-12-11 - Nikon 31

Revoici la fin de l'année ! L'autre vieille baderne mythologique à barbe blanche et casaque rouge a de nouveau envahi avec sa trogne rubiconde toutes les vitrines de la ville. Les rues sont encombrées de bonnes gens qui font leur courses, entrent dans les boutiques, s'arrêtent devant les cabanes en planches blanches au pied de la grande roue et et achètent de quoi garnir la chaussette ou les chaussinettes impatientes que l'on dispose le 24 décembre en soirée devant la cheminée.

Revoici la fin de l'année ! Qu’est-ce qu'ils vont m'offrir, Emmanuel et Brigitte, ou plutôt Élisabeth reine du 1000 bornes qui pose des cartes 49.3 à toutes les séances ? Une prime en raison de la faible utilisation que je fais de mon automobile ? Une attestation de bonne conduite écologique établie d'après l'usure des semelles de mes godasses de marche ? Remballez vos offrandes, gens de la Renaissance ! Je vis sans vous et je n'ai pas attendu vos revendications de fin de l'abondance qui font suite à vos moqueries sur la décroissance pour être sage. Je rigolerai bien, voilà tout, quand vous-mêmes serez victimes de coupures d'électricité.

2022-12-11 - Nikon 52Revoici la fin de l'année ! Mes préoccupations sont plus naturelles. Aurons-nous de la neige à la Noël ? Saurai-je être sage et ne pas abuser de cette boisson pétillante qu'on produit en Champagne ? Réussirai-je à replacer ma recette d'huîtres chaudes recouverte de pâte feuilletée, spécialité culinaire que, semble-t-il, je suis le seul à apprécier dans ma famille ?

Revoici la fin de l'année ! Quelle quantité boulimique de photographies prendrai-je encore de la prestation illuminante de la société « Spectaculaires » ? Ces projections sur la façade de la mairie seront-elles encore une fois de toute beauté ? Comment sera la route pour aller à Redon ? Ma belle-sœur ramènera t elle sa clarinette ? Pourvu que non ! La cousinade réunie dans l'ancestrale demeure se lancera-t-elle, sous la véranda, dans de grandes rigolades dues à des parties de cartes endiablées ?

2022-12-11 - Nikon 51
Fêtons Noël ! Fêtons Noëlle ! C'est la fête de la dinde qu’accompagnent les châtaignes, les farces et les sauces et tant pis si l'oie blanche, celle qu'on appelle Isaure, fait la gueule dans sa toile à l'institution muséale ! "Fi des cuvées millésimées !" clame t elle. "Votre masse corporelle est déjà trop chargée ! Buvez de l'eau gazeuse ! Mangez des clémentines plutôt que des pralines !"

Fêtons Noël ! Fêtons Noëlle ! Fêtons même Sandrine Rousseau ! Virons la masculinité, la mâlitude, la virilité, la beauferie de nos pages ! Offrons-lui une plancha et de belles poésies dont les rimes seront toutes féminines où féministes !

Fêtons surtout le fait d'arriver aux vacances : pendant deux ou trois semaines, je vais vivre en toute tranquillité sans cette menace hebdomadaire d'être accusé de cruauté mentale en raison des consignes sadiques que j'amène depuis plus de vingt années maintenant dans la salle Mandoline !

13 décembre 2022

Ma lettre à la mère Noëlle / Laura

AEV 2223-13 Laura - Noel_0214827

J’ai une chambre à moi. Cela dit, il n’y a plus que moi, donc, toutes les pièces sont à moi.
J’ai une bouillotte pour ma frilosité.
J’ai de la nourriture : des salades, une soupe d’endives, des pommes (de terre), des poires.
J’ai de la presse, de la lecture.
J’ai des bibliothèques, des salles de cinéma.
J’ai des rames de tramway, des locomotives.
J’ai eu de la chaleur que j’aime, de la pluie qui nous ressource, de la glace qui m’effraie.
J’ai des absences, des chutes.
J’ai une discopathie, des douleurs aux épaules, aux mains, à la tête.
J’ai la fatigue.
J’ai trop d’œuvres d’art, de vues, de villes et d’expositions par rapport aux journées à vivre.
J’ai des bagues, des boucles.
Je mets des couleurs au quotidien.
J’ai la curiosité.
Je suis une femme, féministe qui ne se reconnaît pas dans la vague Metoo
Je ne me vois pas comme une victime.
Au contraire, je me vois comme la responsable, la coupable de ma solitude que j’aime sauf…
J’ai la marche qui repousse le handicap, l’activité physique qui bataille contre la souffrance.
J’ai l’écriture.

Alors Mère Noëlle, je vous demande de la confiance, de l’audace, de la force commerciale pour vendre ce que j’écris et financer mes passions, tout ce qui fait l’existence plus que la survie.
Un peu de tendresse, quelques caresses pour le piment.
Je vous demande les mers, les plages, les pinacothèques, les cascades.
Je vous demande la grâce de vivre, de lire au chaud, de voir et d’écrire.
Je veux bien vous donner en échange ma joie, ma flamme, ma fougue, ma franchise, ma hargne, ma violence.
Je vous chanterai mes chansons et vous montrerai mes danses.

6 décembre 2022

Consigne d'écriture 2223-12 du 6 décembre 2022 : Photos de groupes

Photos de groupes

 

Vous avez hérité d’une photo de groupe sur laquelle figure quelqu’un·e de votre famille. Dites qui c’est, resituez son contexte, faites parler un des personnages de la photo ou livrez vos propres pensées philosophiques, littéraires ou anodines en utilisant au moins deux des phrases ci-dessous extraites du jeu « C’est à moi que tu causes ? » 

La nostalgie, c’est le cinéma du pauvre. C’était mieux avant, mon cul, oui ! Si tu ouvres ton coeur à un étranger, tes secrets voyageront anonymes
Ça ne se passera jamais C’est vrai, apprendre à vivre demande plus qu’une vie
Y a plus de place ! Personne n’est à l’abri
Laisse tomber, y’a la queue aux toilettes ! On ne va pas en faire un fromage
Il suffit de trouver sa place dans la vie Personne n’est vraiment dupe
La constance, y’a que ça de vrai Tu crois qu’on va y arriver ?
Il faut croire aux miracles Vous avez une tête à garder vos chaussettes
Arrêtez de me regarder comme un poisson rouge Allez, allonge ton blase, on va pas y passer la journée
Ce soir, c’est le grand soir Vous savez, le temps dévore tout
Même pas en rêve Tu as vraiment une gueule de bon élève
A force de s’adapter à tout on finit par disparaître Avec un peu de chance, tu l’auras ton étoile sur Hollywood
Parfois il suffit d’un ami Au fond de vous, êtes-vous un marginal ?
On se croirait dans un film de Rohmer Nous n’avons plus rien en commun

 Cliquez sur les photos pour les agrandir S.V.P.

 Groupe d'élèves du Lycée de garçons du Mans en 1935-36 (recadrée)

 Groupe d'élèves d'une école privée vers 1935-36 à Saint-Brieuc

 Groupe d'élèves d'une école privée vers 1935-36

 Groupe d'enfants redonnais déguisés en Pierrot

 Groupe d'enfants redonnais à Noël

 Cortège historique char de mineurs 1946

 Groupe de collégiens 1964-65 réduite

 Groupe de collégiens 1965-65

 Groupe de danseuses du début des années 50

 Groupe de militaires à Sissonne en 1954-5

 Groupe d'inspecteurs des Impôts en 1933

 Groupe d'inspecteurs des Impôts en 1947

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6 décembre 2022

P comme parfois... / Adrienne

AEV 2223-12 Adrienne - Knokke

Parfois il suffit d’un ami qui a une automobile et d’un autre qui a une villa à Knokke-le-Zoute : tu sers de contact entre l’un et l’autre, ce n’est pas plus compliqué que ça pour t’offrir un week-end princier !

C’est vrai qu’apprendre à vivre demande plus qu’une vie et, vous le savez comme moi, le temps dévore tout, alors il s’agit de ne pas le perdre et d’aller vite.

Moi, depuis toujours, je mets les bouchées doubles et je vais de l’avant.

Comme dit mon ami Robert, "Toi tu as vraiment une gueule de bon élève ! Avec un peu de chance, tu l’auras, ton étoile sur Hollywood !".

Je sais qu’il se moque légèrement et il sait que mon but n’est pas Hollywood, de nous quatre personne n’est vraiment dupe et bien sûr personne n’est à l’abri d’un revers de fortune… Mais il a raison, la gueule de bon élève, ça m’a bien aidé.

Alors si tout passe et tout casse, c’est une raison de plus, selon moi, pour ne pas tergiverser.

La question à se poser n’est pas « Tu crois qu’on va y arriver ? » mais plutôt « Qu’est-ce que je dois mettre en place pour y arriver ? ».

6 décembre 2022

Lourdes / Adrienne

AEV 2223-12 Adrienne - Cirque de Gavarnie

Il faut croire aux miracles.

C’est pour ça que tant de gens vont à Lourdes, n’est-ce pas ?

Et ici le premier miracle a déjà eu lieu avant qu’on ne parte : que mon épouse accepte de quitter sa maison pour plus de huit jours !

– On pourrait partir tous ensemble, lui avais-je dit il y a quelques mois, toi et moi, notre fille, notre gendre, ses parents et sa petite sœur, qu’est-ce que tu en dis ?

– Même pas en rêve ! qu’elle m’a répondu.

Ah ! Je ne vous dis pas le nombre de fois que j’ai dû entendre « Ça ne se passera JAMAIS ! », mais elle a fini par céder quand je lui ai annoncé que le but du voyage était Lourdes.

La constance, y a que ça de vrai.

Bref, un événement que je tenais à immortaliser par une belle photo et l’occasion s’en est présentée au cirque de Gavarnie.

On est descendus du bus, les jeunes mariés, mon épouse et moi, les parents et la petite sœur de notre gendre… et là, PAF ! Trois olibrius à lunettes sont venus se poster à côté de nous, des gens avec qui on avait à peine échangé un bonjour ou un bonsoir !

La moutarde m’est montée au nez – oui, je suis comme ça et mon épouse me connaît bien, elle a réagi au quart de tour – elle m’a dit un truc dont je ne me souviens même pas, genre « On ne va pas en faire un fromage », mais en plus convaincant.

Alors on a tous pris la pose et fait un beau sourire, même les trois olibrius, à qui mon épouse tourne légèrement le dos, histoire de bien montrer que nous n’avons rien en commun.

6 décembre 2022

Le Petit rat / Anne J.

Anne J

Vous voyez la maigrichonne au bout de la rangée a gauche ? Oui la deuxième en partant de la gauche avec des gambettes de canari ? Eh bien, c'est moi ! Personne n'est à l'abri du ridicule, je l'avoue !

Quand j'ai eu une dizaine d'années, ma mère m'a demandé si je voulais faire quelque chose en dehors de la classe, une activité extrascolaire comme on dirait aujourd’hui. Je ne me souviens pas avoir eu vraiment de désir, et elle m'a proposée la danse ou le piano, activités classiques dans une famille bourgeoise, je vous l'ai dit, cela partait d'une bonne intention !

Mes sœurs ont fait de l'équitation mais moi j'ai toujours eu peur des grosses bêtes. Elle ne m'a pas vraiment encouragée pour le piano, elle même avait détesté ça et dans un appartement avec cinq gamins, ça paraissait compliqué, alors j'ai choisi la danse classique avec le Conservatoire !

Là il faut vraiment croire aux miracles ! Même avec un justaucorps rose et des chaussons à pointes, je n'avais aucun mais vraiment aucun don pour la danse : pas gracieuse, avec des bras et des jambes maigrichonnes et un corps trop raide, mal coordonnée et n'ayant aucun sens du rythme, je pense que la professeure a dû s'arracher les cheveux !

De plus il me fallait garder mes lunettes si je ne voulais pas tomber dans la fosse du théâtre. Mais quand même, j'ai dansé sur la scène du théâtre de Rennes !

Depuis j'ai goûté au piano et j'aime vraiment ça, bien que là non plus je ne sois pas vraiment douée. Alors je joue en catimini quand personne ne m'écoute et je me prends pour Rubinstein. Il suffit de trouver sa place dans la vie !

6 décembre 2022

The End / Anne J.

Groupe de danseuses du début des années 50

Vous savez, le temps dévore tout. Qui pourrait imaginer, en voyant la vieille femme que je suis aujourd’hui, que je suis la belle fille au centre de cette photo ? La seule chose que j'ai gardée, ce sont ces beaux cheveux foncés mais pour cela je dois aller toutes les semaines chez le coiffeur, maintenant.

AEV 2223-12 Anne J - Médaillon danseuse

Je suis née le 25 mars 1924, j'ai donc 98 ans et je peux vous le dire, apprendre à vivre demande plus qu'une vie. Mes parents habitaient Nantes et j'ai été élève à Blanche de Castille. Ma passion c'était le piano et je peux dire sans me vanter que j'étais assez douée . Personne n'est plus là pour dire le contraire ! Nous passions nos vacances d'été, ma sœur et moi, à La Bernerie avec nos cousins et cousines.

Avant la guerre, mes parents ont déménagé pour Rennes sans doute à cause du travail de mon père qui travaillait aux Papeteries de Bretagne et c'est là que j'ai fini mes études puis entamé des études de sage-femme car pour mon père, les études de médecine, ce n'était pas pour les femmes. Ma sœur, pour les mêmes raisons, est devenue assistante sociale et je crois qu'elle a toujours regretté de ne pas pouvoir devenir médecin. Les hasards de la vie ont fait qu'elle est devenue femme de médecin et mère de mes cinq neveux et nièces.

Belle comme j'étais avec mon petit minois, j'ai eu bien des prétendants, surtout après ce spectacle donné un dimanche de carnaval dans la salle paroissiale. Regardez bien, on se croirait dans un film de Rohmer mais je suis restée célibataire, peut être parce que j'avais trop d'exigences, que j'étais trop maniaque et indépendante, ou bien à cause de mon métier qui m'occupait beaucoup et que je faisais avec beaucoup de cœur et d'obstination.

Et puis, je le reconnais, j'ai aussi un sacré caractère et c'est pour cela que je résiste encore à 98 ans.

Aujourd’hui je m'étonne tous les matins de me réveiller encore mais je le sais bien au fond de moi même, l'immortalité est un mythe et un soir ce sera le grand soir, le spectacle sera fini et quelqu un écrira sur l'écran de ma vie : « the end ».

Enfin... le plus tard possible et avec une musique entraînante pour la dernière danse !

6 décembre 2022

Lisette et André / Jean-Paul

Cortège historique char de mineurs 1946

Arrêtez de me regarder comme un poisson rouge ! C'est vrai, je jure dans le paysage, pas seulement parce que je suis le seul à porter des lunettes mais surtout parce que j'arbore une cravate, un col blanc et un air détaché voire désolé au milieu de cette mascarade festive.

Quand on retrouvera cette photo on ne pourra pas en dire grand-chose. Je veux dire on n'aura pas beaucoup d'indices pour resituer son contexte. Le grand-père de Joe Krapov dont on reconnaît, au verso, l'écriture anguleuse et penchée à droite a simplement écrit au dos de l'image : « Cortège historique 1946 ». La photo a peut-être été prise à Carvin où Libercourt - c'est là qu'il résidait - et les deux villes n'en faisaient qu'une à l’époque. En tout cas l'architecture de la maison à l'arrière avec ses briques et ses tuiles ne fait aucun doute : on est bien dans le Nord-Pas-de-Calais.

Maintenant ce slogan « Les gueules noires font les matins radieux » on ne va pas en faire un fromage mais c'est sans doute une allusion à la « Bataille du charbon ». Quand a-t-elle eu lieu celle-là ? 1945 ? 1946 ? Au lendemain de la seconde guerre mondiale il fallait tout reconstruire, relancer l’économie. Du coup les syndicats et le Parti communiste ont remisés au placard leurs promesses du type « Ce soir c'est le grand soir ! ».

En ce temps-là, personne n'est à l'abri d'un rêve d'union sacrée. C'est le temps du Conseil national de la résistance, des ministres communistes, d'Ambroise Croizat, du général De Gaulle chef du gouvernement…

Alors qu'est-ce qui ne va pas pour moi ? Pourquoi suis-je le seul à ne pas m'étonner de ce soleil radieux dans les yeux des protagonistes, de ces « gueules noires » bien propres, bien lavés, de ces lampes astiquées comme jamais ?

Eh bien je vais vous le dire et tant pis pour l’anachronisme : c'est qu'on se croirait dans un film de Rohmer ! La petite lampiste avec son fichu à pois sur la tête, je me suis pris un de ces râteaux tout à l'heure en lui proposant de l'emmener au bal à la salle des fêtes ce soir !

AEV 2223-12 JK - Médaillon Lisette

- C'est à moi que tu causes ? a-t-elle demandé.

- Oui ! Parfois il suffit d'un ami, d'avoir un ami, pour que la vie devienne plus jolie

- Et tu veux devenir mon ami ?

- Oui !

- Même pas en rêve ! Tu as vraiment une gueule de bon élève, mais moi je préfère danser la polka avec mon copain Stanis !

- Mais ça n’engage à rien une invitation au bal ! Qu'est-ce que vous me reprochez au juste ?

- Ta tronche d’acteur intello ! Avec un peu de chance, tu l'auras ton étoile sur Hollywood ! Tu crois qu'on va y arriver, rien qu'en dansant le fox-trot, à réduire à néant nos différences de classe ? Déjà le fait que tu me vouvoies,tu vois, ça me glace !

- Mais c'est simplement du respect, de la politesse. Si vous voulez vous pouvez aussi me vouvoyer, Lisette, histoire qu'on soit sur un pied d'égalité !

AEV 2223-12 JK - Médaillon André- D'accord André ! Je vais vous dire : il faut croire aux miracles mais pas rêver de m'emmener au septième ciel. Ça ne se passera jamais comme vous l'espérez !

- Mais pourquoi ?

-Parce que, voyez-vous, je l'ai perçu tout de suite : vous avez une tête à garder vos chaussettes !

- Mais enfin... C'est pour économiser le chauffage !

- Vous savez, le temps dévore tout. A la longue on peut passer sur bien des choses mais garder ses chaussettes il n'y a pas mieux comme tue l'amour immédiat ! Allez, descendez de la plateforme  ! Vous voyez bien qu'il y a plus de place et que vous jurez dans le paysage !

***

Nous n’avons plus rien de commun, les gens du Nord et moi. A force de s'adapter à tout on finit par disparaître. Moi j'ai fait ma vie dans le Sud mais eux non plus n'existent plus ou alors très mal. En fait de matins radieux eux ou leurs enfants vivent dans un monde où l'extraction du charbon dont ils étaient si fiers est devenue un abominable crime de lèse-climat ! « Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard » chantait leur copain Louis Aragon. Et c'est vrai : apprendre à vivre demande plus qu'une vie.

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