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L'Atelier d'écriture de Villejean
9 novembre 2021

Cinéma étudiant / Dominique H.

2021-09-12 - 285 80

Il était une fois, en 1967, un étudiant de dix sept ans qui émigra de son Centre-Bretagne natal vers la métropole régionale, Rennes. Sa destinée allait changer et l'immensité des possibles le faisait rêver. Bien-sûr, il était là avant tout pour les études, il ne devait pas trop dérailler, il était boursier. Cependant, il était intimement convaincu que les cent kilomètres qui le séparaient de ses parents allaient lui permettre de déployer enfin ses ailes, tant physiquement que mentalement. Son cerveau bouillonnait, son corps fourmillait et de tous ses pores les désirs suintaient. Il devait agir.

Les premiers jours ont concerné la logistique, le repérage géographique, la petite épicerie du coin, le trajet pour aller de la cité universitaire Boulevard Sévigné à l'amphi Donzelot près de la Place Pasteur, en traversant le Thabor ou encore au restaurant universitaire de la rue de Fougères, juste à côté de la cité universitaire des filles rue Jules Ferry.

Une de ses priorités était évidemment les filles. Rien de plus normal, il venait d'atteindre l'âge moyen du premier rapport sexuel, il était temps qu'une fille le déniaisât. Bien que s'imposant, la perspective de cette étape lui donnait quand même un peu le vertige. Heureusement, le corps a ses raisons et bientôt, le désir aidant, il osa. La fille, aussi jolie que peu farouche se révéla experte de surcroît. Ainsi l'affaire fut faite et bien faite et il y eut dans cette histoire la juste dose de sentiment pour qu'elle fût plaisante, courte et légère pour les deux partenaires. Le voilà donc rapidement libéré sur le plan sexuel et, en prime, le voici confiant en ses charmes et expérimenté en clitoris et en préservatifs.

Il nouait facilement de nouveaux liens, tant à la faculté avec ses voisins d'amphi que dans la lente montée de l'escalier du restaurant universitaire où les queues étaient la règle. Au début, tous les étudiants lui paraissaient sympathiques. Puis il prit conscience de l'existence de groupes et des tensions qui les tiraillaient. Il se fit courtiser d'ailleurs par les uns et les autres. Saisissant mal les enjeux, tout en ayant l'envie réelle de rejoindre une bande, il resta sur le bord quelques semaines, le temps d'observer et de peaufiner son jugement. Comme souvent, dans ces périodes de réflexion, il appliquait à ses inclinaisons vers les uns ou les autres la carte mentale de la théorie mathématique des ensembles : elle l'aidait vraiment à faire ses choix, à repérer ceux avec lesquels il partageait des valeurs communes . Et ce n'était pas chose facile de choisir entre les groupes.

Il y avait d'abord les « polards » , ceux dont la seule préoccupation était d'être les premiers. Il ne se sentait pas bien dans ce groupe pas très marrant et ce d'autant moins que certains usaient de méthodes peu catholiques pour évincer les concurrents. Lui, voulait bien travailler, même dur par moment, mais il ne voulait pas y perdre ni son âme ni sa santé.

Il y avait aussi les « cathos », plutôt accueillants, mais pas assez exotiques à son goût ; il les connaissait déjà par cœur et ils lui rappelaient trop ses parents. Il avait passé sa classe terminale chez les Frères de l'instruction chrétienne de Ploërmel. Il avait espéré que le cours de philosophie lui ouvrît l'esprit. Hélas le frère enseignant ne s'était guère aventuré dans le champ des idées subversives... Heureusement le frère chargé de la littérature était allé du côté de chez Paul Eluard en s'attardant au poème «  j'écris ton nom Liberté ! ». Cette ouverture lui apporta une vraie bouffée d'oxygène.

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Il y avait aussi les cinéphiles qui fréquentaient le ciné-club «La Chambre Noire » rue Poullain-Duparc puis émigraient dans les bistrots après la séance et passaient la nuit à faire, défaire et refaire le monde. C'est là qu'il découvrit entre autres le cinéma de Bergman avec « Les fraises sauvages ». Ce groupe lui plaisait, il assurait la continuité des soirées ciné-club de ses années lycée : « Orphée » de Jean Cocteau avec Maria Casarès et Jean Marais, les mutinés de la Mer Noire du « Cuirassé Potemkine ». Mais ils s'écoutaient trop parler et finissaient par le fatiguer.

Il y avait les fêtards noctambules qui commençaient à boire rue Saint-Malo au « Sympatic bar » et tiraient leur piste de bistrot en bistrot jusqu'au petit matin « Chez Annick», place Sainte Anne.

A la fac de lettres il y avait les gauchistes divers et variés, anarchistes, les trotskystes, les maoïstes, les situationnistes. Il lisait leurs tracts et réfléchissait. A la fac de droit il y avait les fachos, les membres d'Occident, il dédaignait leur prose et sentait ses poings se serrer à leur approche.
C'était vraiment difficile de s'orienter dans cette mosaïque humaine. Heureusement Mai 68 est venu donner un coup de pieds dans la fourmilière, et il a pu choisir son camp, coaché par quelques bons amis : en deuxième année, il est devenu marxiste convaincu mais néanmoins travailleur et aussi fêtard. Des années plus tard, même si la fougue de la jeunesse s'amenuisait, les études terminées, la vie professionnelle commencée, les enfants nés, les amis de la fac étaient restés de vrais amis pour la vie.

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