Rapport de filature du Nord / Anne J.
Cher monsieur
Il y a déjà deux semaines que vous avez confié à mon cabinet la mission de surveiller votre épouse lors de ses vacances à Petit Fort Philippe où celle-ci s’est rendue pour la troisième année consécutive. Vous vous étonniez de son obstination à se rendre dans cette station balnéaire peu connue et peu fréquentée et m’avez fait part de votre suspicion à son égard.
J’ai donc effectué cette mission avec tout le soin que vous attendiez de moi. Madame votre épouse a longuement arpenté la plage du chenal lors du premier jour et y a pris un coup de soleil sur le nez qui lui laissera des traces car elle avait omis de prendre son ombrelle. Le dimanche suivant elle s’est rendue à l’église pour la messe du dimanche et s’est brûlé le bras avec la cire de son cierge. Lors de sa promenade pour visiter la chapelle des marins elle s’est foulé la cheville gauche ; il faut dire qu’elle a fait la balade avec des bottines à talons. Le jour où elle s’est rendue sur la jetée il faisait grand soleil et un vent à décorner les bœufs ; elle s’est donc levée le lendemain avec une conjonctivite qui l’a empêchée de faire la promenade en mer qu’elle avait prévue, ce qui était audacieux car elle souffre du mal de mer.
Elle a donc dû prendre rendez-vous chez le vieux médecin de la rue de l’Eglise qui lui a prescrit le nécessaire à prendre chez le pharmacien. Ce sont les seuls hommes qu’elle a rencontrés à ma connaissance jusqu’à aujourd’hui.
Mais depuis elle passe ses journées sur le banc devant la mer, près de ce vieux marin que vous voyez sur la photo ci-dessous, et elle se livre avec lui à d’interminables parties d’échecs qu’elle perd toujours.
Sans doute le goût pour ce jeu et un certain masochisme à ramasser des raclées expliquent son attirance pour Petit-Fort-Philippe.
Je puis en tout cas vous rassurer totalement sur sa moralité.
Veuillez agréer, monsieur et bla et bla…
Nestor LE GARLANTEZEC, détective privé