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L'Atelier d'écriture de Villejean
17 mars 2020

Fin du monde ! / Dominique H.

Alors, je suis Félix le Breton, né le 12 janvier 1949, donc septuagénaire fragile, célibataire donc vulnérable, mon adresse est au 37 rue du Bono 35700 Rennes, quartier vert, propriétaire, retraité avec des revenus assurés donc privilégié.

1er Préambule : Consigne ouverte ou fermée ? Démesurément ouverte parce que autant de scénarios possibles que d'individus, vu que nous sommes tous concernés. Mais l'embarras du choix n'aide pas, il n'y a pas assez de contrainte, de même que sept jours c'est long et propice à la procrastination. Je préférais de loin le confinement de deux heures dans la salle Mélodie ! Alors pour commencer et retrouver l'ambiance de contestation rituelle du début de nos séances,  je vais reformuler la consigne à ma façon : « Racontez le confinement de qui vous voulez » , ou « imaginez le confinement de quelqu'un » (un homme, une femme, en ville, à la campagne, en Europe, en Afrique, en famille, en couple, seul, jeune ou âgé, en bonne santé ou malade, riche ou pauvre, dans 9 mètres carrés ou dans un pavillon avec jardin, en liberté ou déjà emprisonné, optimiste ou angoissé, ou dépressif, ou même violent). Quel vertige ! C'est trop pour mon cerveau confiné !

Je pense que me limiter à mon confinement va me suffire comme contrainte pour m'inspirer. En même temps ça fait documentaire sérieux. Je vais quand même faire un petit pas de côté en modifiant quelques détails : mon prénom, me vieillir d'un an, mon sexe (petit détail), déménager d'une rue, et, pour préserver ma santé mentale, prendre le parti pris d'une adaptation positive . Voyons si Félix va me faire décoller.

AEV 1920-22 Fin du monde ! - Dominique

2ème Préambule : Déjà, je commence par contester la consigne pour tenter de recréer l'ambiance de la MQV et aussi pour stimuler mon système immunitaire. Ce n'est pas vrai que c'est la fin du monde, ce n'est qu'une pandémie liée à un virus. L'agent responsable est un Corona virus. Il n'a rien avoir avec la bière mexicaine, c'est seulement qu'observés au microscope électronique ces virus présentent une jolie couronne. C'est un nom poétique pour un intrus microscopique. Celui qui nous occupe est justement sorti de son confinement animal habituel pour s'aventurer clandestinement chez l'homme. Il n'a pas respecté les gestes barrière et s'est affranchi de ses hôtes habituels pour passer… au-delà de la frontière des espèces. Mais l'homme n'a à s'en prendre qu'à lui-même , c'est lui qui a transgressé en chassant l'animal sauvage et en le consommant. C'est ainsi que ce migrant d'un nouveau genre est passé de la chauve-souris à l'homme via peut-être le pangolin, à la chair délicate, paraît-il. Voilà pour l'approche écolo-historique.

AEV 1920-22 Dominique grippe-espagnole-940x627

Le mot pandémie est la première marche d'adaptation mentale positive, il permet d'accepter le mot confinement qui prend tout son sens : gagner des vies, tout ça pour ça. Il y aura, c'est certain, des millions de morts. Il n'est que de se souvenir que la grippe dite espagnole de 1918-1919 a fait environ quarante millions de morts. Au premier janvier 2020, la population mondiale était d'environ 7,7 milliards, avec une augmentation annuelle de 80 millions de personnes. Il y aura donc des milliards de survivants, ce n'est donc pas la fin du monde. Une façon de voir le verre à moitié plein.

AEV 1920-22 Dominique météorite

Alors pour prendre du recul avec le confinement, je me prends à imaginer un scénario d'une vraie fin du monde annoncée : par exemple des astrophysiciens qui auraient repéré l'arrivée d'une énorme météorite se dirigeant vers la terre. Celle qui a provoqué la disparition des dinosaures il y a 65 millions d'années à Chicxulub au Mexique mesurait 14 km. Au début, l'éloignement du géocroiseur permettait encore d'espérer qu'une variation d'un millième de degré de sa trajectoire épargnerait notre planète et qu'il ne ferait que la frôler. Mais depuis le 23 mars on sait que l'objet céleste numéro 23320, dénommé Clémence par les savants (c'est l'année du C) est en approche de collision. Les derniers calculs de la NASA sont formels : la météorite va croiser l'orbite terrestre, pénétrer dans l'atmosphère et sera happée par le champ gravitationnel. Ce sera inéluctable, l'attraction terrestre étant irrésistible. La trajectoire rencontrera la Terre au niveau de l’Antarctique. Quand ? Au prochain équinoxe le 21 septembre 2020. Il va d'abord faire fondre toute la calotte glaciaire et le niveau des eaux va monter de cent mètres, inondant vingt-cinq pour cents des continents et noyant pour commencer cinquante pour cent de la population soit trois milliards huit cents million d' habitants. Clémence est très grosse : vingt-huit kilomètres de diamètre, soit deux fois plus que l’astéroïde de Chicxulub et donc neuf fois plus lourde. Elle se déplace à la vitesse de vingt kilomètres par seconde. En vertu de la loi physique E= mc2 , le cratère d'impact sera gigantesque, d'un diamètre de cinq cents kilomètres et d'une profondeur de cinquante kilomètres. La vague du tsunami fera 2500 m de haut et fera le tour de la terre, se propageant à tous les océans, noyant encore trois milliards d'habitants. Evidemment ces calculs ne pourront pas être contestés puisqu'il n'y aura pas de survivants. L'impact se communiquera aux plaques tectoniques qui, toutes, s'entrechoqueront, les volcans se réveilleront les uns après les autres sur tous les continents avec des raz de marée secondaires . Des incendies se déclencheront dans les forêts restant encore émergées. Une épaisse couche de cendres se répandra dans l’atmosphère, installant une nuit définitive puis une glaciation généralisée. Ceux qui n'auront pas été noyés seront incinérés ou congelés. L'espèce humaine comme toute vie sur Terre sera anéantie.

Vous l'avez compris, il est inutile de vous mettre à creuser votre petit abri anti-atomique perso rikiki. Non, il vous faut tout simplement trouver des vrais dérivatifs et le confinement est finalement un bon entraînement qui aide à prendre un peu de hauteur avant le tsunami mondial.

Félix (il entre enfin en scène !) l'a bien compris, mais ça devient de plus en plus difficile de jour en jour.

AEV 1920-22 Dominique fritz the cat

Mardi, J1, il a vraiment passé une bonne journée. Il faisait soleil, il a pris son vélo pour aller voir Béatrice sa copine préférée : vingt-trois kilomètres aller-retour. Elle avait eu en plus la délicate attention de l'inviter à déjeuner et il savait qu'en digestif ils s'offriraient une sieste coquine. Bien sûr il s'était muni de son attestation de déplacement dérogatoire. Il a hésité pour choisir la bonne case. Il a même pensé cocher les quatre dernières cases. La deuxième est un peu discutable parce que les prestations de Béatrice ne sont pas tarifées. La troisième convient : santé sexuelle. La quatrième convient aussi : il est une personne vulnérable (septuagénaire) qui se déplace pour un motif impérieux vers une personne qui va l'assister, le nourrir. La cinquième est incontestable : activité physique.

Mercredi, J2, il a pu appliquer le même programme tout en pressentant que cette belle vie n'allait pas durer.

Pour jeudi J 3 il a alors commencé à assurer ses arrières et a envoyé vers midi par WhatsApp une vidéo à Julie avec juste un subtil message subliminal érotique. Il lui fallait être délicat, ça faisait des mois qu'il ne lui avait pas donné de nouvelles et il ne voulait surtout pas qu'elle subodore qu'elle était un plan B. Elle avait l'avantage d'habiter à trois cents mètres de chez lui et puis il avait quand même de bons souvenirs avec elle. Par contre il passerait prendre deux pizzas au centre commercial parce que Julie n'est pas ce qu'on peut appeler un cordon bleu. Le couvre-feu ne fait que couver pour l'instant et le dîner aux chandelles est encore permis . Et avec une bouteille de rosé de Provence, l'affaire sera faite. Là, pour l'attestation, il ne s'est pas compliqué la vie, il a rempli la cinquième case : deux fois trois cents mètres de marche rapide.

AEV 1920 22 Dominique biocoopscarabee_biocoop_03527800_104629454

Vendredi, J4, ne pouvant compter sur Julie pour s'alimenter, il s'est organisé pour ses courses et bien que rentré tard de chez Julie, il est parti dès neuf heures chez les petits producteurs à 5 km de chez lui. Le magasin était ouvert depuis cinq minutes quand il s'est garé et il y avait déjà une queue de vingt-cinq personnes. Alors Félix a mis son i-phone sur silencieux avant d'activer son appli Duolingo et a fait de l'italien pendant une heure. Le temps a passé vite. Il a quand même eu un moment un peu difficile. C'est là qu'il prend son cidre bio et comme il n'avait pas l'intention de revenir de sitôt il allait devoir sortir ses deux cartons de six bouteilles vides devant tout le monde et surtout la pharmacienne en retraite. Il lui a fait un joli sourire distancié mais s'est senti un peu honteux. La suite du circuit était la bio-coop de Saint Grégoire, même scénario, une queue de vingt-cinq bo-bios bien disciplinés. Re-cours d'italien mais cette fois pendant une heure et-demie. C'est bien organisé, une employée souriante règle aimablement le flux (ou la jauge). Cependant un autre employé, un cadre apparemment, vient scotcher trois fois la même affiche répartie sur les cinquante mètres de queue. Félix finit par réussir à lire le message « Merci de rester courtois avec le personnel et avec les autres clients ». Il regarde ses voisins bien propres sur eux qui patientent calmement au soleil. Que se passe-t-il à l'intérieur du magasin ? Est-ce la foire d'empoigne pour s'arracher le dernier paquet de pâtes ? Voilà que Félix se sent contaminé par la fébrilité de la pénurie. Lui il vient d'habitude les mardi et vendredi matins chercher son pain préféré et aujourd'hui il compte bien en prendre le double pour une semaine entière. Dès son entrée dans le magasin il se dirigera en premier vers le rayon pain. Voilà c'est son tour. Il commence par montrer patte blanche avec le nouveau rituel «merci de vous désinfecter les mains avant d'entrer». Comme prévu, il va droit au rayon pain : ouf , il y en a autant que la semaine dernière. Il rentre chez lui fatigué, il est midi.
Cet après-midi, sieste, lecture et écriture.

Et puis demain samedi J5, Julie.

Tiens , depuis quatre jours, Félix n'a pas eu le temps de penser à la fin du monde !

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