Deux oreillers, un polochon / Eliane
Deux oreillers s'aimaient d'amour tendre.
Les jeunes époux dont ils soutenaient les rêves dormaient enlacés, les oreillers se serraient donc l'un contre l'autre.
Cela dura quelques années, puis tout se brouilla, les amants enflammés d'hier se tenaient désormais chacun à un bord du lit en se tournant le dos. Les oreillers s'éloignèrent.
Ce n'était pas encore très grave, les mouvements involontaires des dormeurs les rapprochaient souvent.
Mais ils commencèrent à se quereller, chacun accusant l'autre d'être à la source de ce malaise. Le malaise laissait toutefois place à la tendresse quand il leur arrivait fortuitement d'être rapprochés, voire de se chevaucher.
La mésentente des époux gagna encore quelques degrés et, comme il n'y avait qu'un lit dans l'appartement, ils décidèrent de délimiter la place de chacun pour dormir à l'aide d'un polochon.
Ce polochon trônait royal au milieu du lit séparant les deux oreillers à tout jamais.
La frustation les fit devenir ennemis, chacun accusant l'autre de vouloir pactiser avec le nouveau venu.
Et, tandis que le polochon s'épanouissait à l'aise, chacun des oreillers se renfrognait, le froissait, se tirebouchonnait.
Bref, chaque matin le lit ne ressemblait plus à rien.