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L'Atelier d'écriture de Villejean
16 octobre 2018

Couleur café / Maryvonne

Moi c'est Mimose, mon prénom est créole. Ce matin je suis contente. Je sautille gaiement sur le chemin de l'école. Je souris même à la femme à la fenêtre qui me regarde chaque jour avec ses yeux d'acras frits sans doute parce que ma peau est marron. J'ai une grande nouvelle à annoncer à mon amie Héléna. C'était un peu la révolte chez moi hier soir quand j'ai annoncé fermement à ma mère que je ne retournerais pas chez la coiffeuse antillaise pour la longue séance de tressage de mes cheveux. Si encore c'était la tresse unique comme certaines de mes amies ou même les deux tresses comme celles qui encadrent le doux visage d'Héléna. Mais non ! Ce sont de nombreuses petites tresses très serrées qui tirent sur le cuir chevelu et qui nécessitent de longues heures de pose sans bouger ni se dandiner quand j'ai a envie de faire pipi.


Voilà, j'ai été ferme, je ne veux plus être entre deux mondes. Je veux entrer de plain-pied dans celui de mon amie et pourquoi pas commencer par aller chez la même coiffeuse. Je sais bien que je ne serai jamais à son image. Les cheveux crépus c'est vraiment une ombre au tableau.


En sortant de l'école, Héléna va venir avec moi prendre rendez-vous. Ce sera peut-être mercredi et je sais déjà que je vais demander une coupe très courte.

La coiffeuse un peu maladroite dit à Héléna : «Elle est jolie ton amie pour une noire». J'ai bien entendu. D'abord je ne suis pas noire je suis marron. Je sais aussi que j'ai de grosses lèvres mais je sens qu'avec ma nouvelle coupe ça ira déjà mieux, j'aurai un nouveau look,comme disent les grandes.

AEV 1819-06 Tif Annie


Le mercredi quand je sors de chez «TIF' ANNIE» je me trouve légère et toute moderne et je sais que ce soir je n'aurai pas mal à ma tête sur l'oreiller. Voilà je suis la nouvelle Mimose.


Demain à l'école je vais épater les copains surtout Isidore et les autres qui m'aiment bien mais qui me chahutent tout le temps en me donnant des noms comme Bamboula ou La Noiraude. Je ne suis pas noire, je suis marron. Héléna proteste : «Dis plutôt Couleur café c'est plus sympa !».

Quand je rentre à la maison avec ma nouvelle coiffure ils sont tous très occupés dans une grande discussion. Ils parlent d'un monsieur qui a dit que pour être français il fallait avoir un prénom français. N'importe quoi ! Moi je sais que je viens d'un département français alors où est le problème? Tout le monde proteste sans oublier mon père qui en profite pour rappeler nos traditions. Bla, bla bla ! Du temps des maîtres et esclaves on baptisait les Antillais du nom du saint du jour de naissance, si bien que les filles pouvaient se retrouver avec un prénom de garçon et vice versa. Plus tard les Antillais mixaient les prénoms des deux parents, cela donnait des choses étranges comme Edouarlise ou Felixine. Je les laisse discuter entre adultes ; pour l'instant rien d'autre sur terre ne compte plus que ma nouvelle coupe de cheveux. Je file dans ma chambre. Je me sens tellement libre.

Le jeudi matin à l'école, les premiers à me voir sont les frères Lehman. Je ne les aime pas, ceux-là. Ils vont se moquer de moi et ça ne manque pas : « Alors c'est carnaval noir aujourd'hui?». Ah ! Les sales gosses ! D'abord je ne suis pas noire, je suis marron ! Euh ! Couleur café et ce qui compte c'est l'avis d'Héléna.

Elle me saute au cou et plonge ses mains dans ma tignasse afro. Quel plaisir ! Je vois dans ses yeux qu'elle me trouve jolie. Nous sautons de joie dans les bras l'une de l'autre. Encore et encore et badaboum, nous nous retrouvons au sol, les genoux écorchés. Même pas mal ! Nous nous regardons en riant: «Tiens, regarde, nos sangs ont la même couleur !». La maîtresse veut nous mettre un petit sparadrap. Celui d'Héléna est de la couleur de sa peau. Le mien se voit trop, comme le nez au milieu de la figure. La maîtresse est désolée, il n’y a pas de pansement noir à l'école. Ah ! Marron, j'ai dit marron. Alors Héléna sort son crayon feutre marron et colorie mon petit sparadrap. Je me dis que tant qu'il y aura des Héléna il y aura un monde à portée de main.

Un monde d'écoute et de partage.

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