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L'Atelier d'écriture de Villejean
18 mars 2019

L'Héritage d'Emile / Jean-Paul

Quand l’oncle Augustin a cassé sa pipe, c’est à moi qu’on a demandé de vider sa maison. Jamais de ma vie je n’avais vu un tel bric-à-brac. Sa demeure était située en plein centre de la petite ville d’Orgères, en Ille-et-Vilaine. C’était un ancien presbytère dans lequel il avait effectué de nombreux travaux en vue de le rendre praticable. Il y avait même fait installer un ascenseur mais une fois sorti de la cuisine équipée et de la salle de bains hypermoderne, tout le reste n’était qu’un amas de vieilleries innommables, bibelots, tableaux, médaillons, albums de photographies, trophées et souvenirs ramenés de ses nombreux voyages. 

Le seul intérêt que j’ai trouvé à ce souk breton c’est que tout était parfaitement étiqueté, décrit et daté. J’allais peut-être enfin, grâce aux travaux d’archivistes du tonton flingué que je connaissais très peu, reconstituer l’arbre généalogique de la famille Laverdure, cette branche maternelle avec laquelle Maman avait coupé les ponts. Elle n’en parlait que très peu et papa restait muet sur sa belle-famille. 

Les parents d'Emile

Augustin est le frère aîné de ma mère, Brigitte Laverdure. Maman a épousé Emmanuel Tanguy et je suis né tout de suite après. Ils ont quitté la Bretagne et se sont installés à Paris où ils sont toujours et où je vis moi aussi. J’ai trouvé dans le salon de l’oncle un double médaillon qui les représente « habillés en dimanche », sans doute le jour de leur mariage ou de leurs fiançailles. Mes parents avaient déjà sur cette photo la jovialité et la rondeur voire les rondeurs que je leur ai toujours connues. Cela n’a pas été facile pour moi de faire mon chemin dans la vie en tant que fils unique d’ un couple aussi uni, aussi fusionnel, toujours porté sur la bonne chère et la rigolade, sans cousins ni cousines de mon âge. Fils d’émigrés provinciaux honteux de leurs origines, je suis peut-être un fruit conçu dans l’ascenseur social des trente glorieuses ! Et je porte sans doute des valises emplies de secrets indicibles ou vides de sens ! 

Grand-père AmédéeJe pense que je ressemble plus à mon grand-père Amédée, l’officier de marine marchande qu’on voit dans ce petit tableau carré, saisi de trois quarts de face avec sa grosse moustache blanche et son air sévère. Lui avait deux frères marins-pêcheurs, Joseph et Désiré, qui sont restés à Concarneau à faire des ronds dans l’eau et des virées dans les bistrots de la ville close, quand il y en avait encore et que ce n’était pas encore devenu un lieu touristique paradisiaque pour les bobos de Rennes, de Nantes, de Paris et d’ailleurs.


 Joseph et Désiré
Désiré et Joseph

 

 Irma et Marie

 

Marie et Irma

Dupondt marins

J’ai découvert que l’oncle Désiré avait épousé Irma Kermarrec et qu’ils avaient eu deux jumeaux, Jean-Thierry et Jean-Roger. Tous deux étaient entrés dans la marine nationale. Même plus âgés on ne les distinguait l’un de l’autre que par une toute petite différence, sans doute volontairement entretenue au niveau de la moustache. Une astuce mnémotechnique du genre Jean-Thierry Je Tombe, Jean Roger Je Rebique. Un tableau les représente dans un costume folklorique grec. Ils portent une chéchia locale et… une jupette ! 

Dupondt en jupette

Dupondt en melonPeut-être est-ce au mariage de mes parents qu’ils ont été photographiés avec un chapeau melon et une canne dignes de Charlie Chaplin ? Ou bien il s’agissait peut-être d’un bal masqué. L’oncle Augustin a failli, pour le coup. Ces deux photos-là ne sont pas annotées au verso. Peut-être ont-elles été reçues par la poste, après coup. Il y avait sans doute déjà dans toutes les familles un fou de la photographie qui vous inondait de ses clichés pour que vous souveniez de lui, plus tard, comme de « l’oncle paparazzi » ?

Augustin semble avoir gardé de bons rapports avec ses oncles et avec le reste de la famille. En témoigne le tableau représentant  la tante Marie, l’épouse de Joseph, déguisée en cantatrice d’opérette.

Castafiore

Haddock en monocleHaddockUne chose dont je suis absolument certain c’est que le dénommée Archie, un barbu à l’air bourru portant parfois le monocle et fumant très souvent la pipe n’appartient pas à notre famille. Qui était-il pour l’oncle Augustin ? Un ami d’enfance ? Un copain de régiment ? Un collègue de navigation ? Car mon oncle était commandant de bord sur un paquebot de la compagnie Paquet.

Pub Compagnie Paquet 3

Ce qui explique sa présence en tenues exotiques dans sa photothèque. Il semble avoir fait escale en Ecosse, dans les Andes, en Amérique et même en Chine.

 Tintin en Ecosse

 Tintin dans les Andes

 Tintin cow-boy

 Tintin et Tchang

Mais je crois que je vais refermer l’album de famille. A considérer tous ces barbus, ces moustachus pour lesquels il n’a noté qu’un prénom, un nom et une note sur 20, à le voir poser le bras affectueusement sur l’épaule de jeunes garçons, à constater l’absence effective de sujets féminins dans ses fréquentations, je réalise que j’appartiens peut-être à une famille d’homosexuels. Les cousins en jupette, les costumes de Maharadjah, de princes consorts, tous ces travestissements en militaire ou en chef indien, ces images d’efféminés à gomina me font penser au groupe musical Village People. L’oncle Augustin était peut-être une drag-queen ?

 Maharadjah

 Prince

 Chef indien

 Efféminé à gomina

féticheJ’ai appelé Maman au téléphone pour lui poser la question. Bien sûr, comme d’habitude, elle a éclaté de rire.

- Ce n’est pas grave si tu n’as pas trouvé la photo de tes tantes, Milou ! Ne t’embarrasse pas l’esprit avec toutes ces vieilles images. Elles ne parlaient plus qu’à mon frère. Tu fais venir un antiquaire pour les meubles et tu fourgues tout le reste chez Emmaüs. Ca ne vaut pas tripette !

- Tu es sûre, Maman ? Il me semble bien avoir repéré un fétiche Arumbaya. Il a bien une oreille cassée mais je suis sûr qu’il est authentique. Et ce tableau mi-figuratif, mi-abstrait qui représente Archie. Il est signé R. G.

- Ecoute, mon Milou, ne perds pas ton temps avec toutes ces vieilleries. La seule chose qui a de la valeur, c’est le presbytère dont tu me dis qu’il n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat. Tu vides la baraque et tu la vends. C’est toi le seul héritier après nous. L’oncle Augustin, Jean-Thierry, Jean-Roger, Archie et les travestis d’Orgères, c’est comme mon amant de Villejean. C’est du passé ! N’en parlons plus !

Hadock abstrait

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