6 anagrammes pour lire dans les pensées / Jean-Paul
Polisseur de lentilles,
Gendarmeur de haricots,
Dresseur de carottes,
Tuteur de salades,
Bourreau des cœurs de céleri-rave,
Echec et mateur de betteraves,
Correcteur d’artichauts,
Tortionnaire de bonzaïs,
Tu n’obtiendras jamais
Les aveux des iris,
La force de l’épinard
(Spinach en Angleterre)
Que Spinoza cultive
Dans son jardin secret
Avec les fleurs du rêve,
Les bijoux du secret,
Les colliers d’hypothèse,
Les bagues de silence
Et les perles d’illusion.
« RÉPUBLIQUE FRANÇAISE »
On avait apposé ces deux mots incongrus
A l’entrée d’une case qui servait de mairie,
A l’entrée d’un enclos construit artistiquement
Autour d’un baobab.
Nul n’y palabrait plus
Et l’instituteur blanc
Apprenait aux enfants à peau noire
Qu’ils avaient des ancêtres
Gaulois et réfractaires.
Il avait grandi là,
Mamadou Banania
Et rêvé de la France
Et voulu voir la neige
Il y était allé,
Sortant du Sénégal
Pour voir en tirailleur
Les obus de Verdun
Et la boue des tranchées.
Il aurait bien voulu
Mourir et devenir
Le soldat inconnu
Sous son arc de triomphe
Il avait survécu
Et trouvé du boulot
Dans la publicité
Buvant leur chocolat
Quelques années plus tard
Les petites filles de France
Admiraient sa bobine
Et rêvaient, malicieuses
Et frondeuses
- Ou vicieuses
Comme on disait alors
Chez les vieux Pétainistes – :
« Quel Africain superbe ! »
Une brève de comptoir
Comporte de l’outrance, mais pas trop :
- Vous êtes deux à vouloir jouer au bridge ? Passez une annonce pour trouver un troisième ! Pour le mort je me fais fort de vous en dégoter un : y’en a plein au cimetière de l’Est !
Une brève de comptoir
Doit être graveleuse, mais pas trop :
- Ne passez pas une petite annonce pour monter un club de strip-poker ! Il n’y aura que des mecs pour répondre présent et ça c’est décevant !
Une brève de comptoir
Doit frôler la bêtise, mais pas trop :
- Vous allez chanter avec nous le refrain qui dit « Oh la la la ! C’est magnifique ! ». Et nous avons décidé ce matin de chanter cette chanson de Luis Mariano en roulant les « r » ! On va faire un essai : chantez donc « Oh la la la ! C’est magnifique ! » en roulant les « r » pour voir ?
Le Saint-Chinian aidant les langues se dénouent et des projets se montent : « Aller chanter à la maison du Ronceray » ; « Aller passer une journée à l’île Bailleron dans le golfe du Morbihan » « Participer à la Ballade avec Brassens de Saint-Quai Portrieux en septembre ».
Une brève de comptoir
Comporte bien du rêve !
Salon de Madame Verdurin, salon de Madame Guyet-Desfontaines, maman d’Isaure Chassériau, ou salon du duc de Chaulnes à Paris.
Il est tout à fait possible qu’en ces lieux très feutrés, un jeune comte un peu fou, fringant, plein d’avenir, soit tombé amoureux d’une jolie princesse russe qu’on a épousée pauvre à seize ans et demie et qu’on a enfermée dans un rôle de mère en un château sarthois où elle subit la coupe d’une duchesse austère, la mère de son mari, proche de religieux de l’abbaye voisine et papesse en puissance.
Il se peut que la jeune femme, native du signe du scorpion, ne soit pas restée insensible à l’entregent de ce jeune homme. J’entends d’ici monsieur Aurélien Scholl, journaliste railleur jouer avec les mots et parler d’entrejambe plutôt que d’entregent.
Il se peut que plus tard le jeune comte de D. lui casse un peu la gueule pour s’être ainsi moqué et, quatre années plus tard, pour cause de récidive, le reblesse en duel.
Nous n’en sommes pas là dans ce joli salon. Et pas rendus non plus dans la ville de Florence où l’officier italien offrira à la jeune princesse un poème recopié qui servira de preuve à ce que n’imaginent pas les parvenus de province : aucune loi d’interdit de draguer au salon, de proposer la botte, de soûl sôul soupirer sous le balcon con con comme Roméo ou comme Christian dans Cyrano, bref de marivauder dans le monde !
La vraie vie est ailleurs.
« La ville où je suis né est idiote entre toutes les villes » dit Rimbaud. Il s’en va vers Paris. C’est encore la guerre et bientôt la Commune.
La vieillesse est un naufrage : la main à plume du jeune homme qui vaut bien la main à charrue a déjà écrit les plus beaux poèmes de la langue française et elle trouve la vigne austère sans la feuille. « Devenons vite le roi des poètes ou faisons autre chose ! »
La vraie vie est ailleurs mais la terre est une charogne cosmique et la religion qui ne console de rien n’est que cet os sacré que ronge l’être humain.
La vraie vie est ailleurs. Rimbaud marche. Sa vieillesse sera un naufrage. Sa jambe deviendra « La charogne cosmique » et très comiquement sera mise en musique un bon siècle plus tard ! Merci Hubert-Félix !
Pour l’heure voici Rimbaud devant un corps gisant. C’est celui d’un soldat dans un trou de verdure. Rimbaud, médecin-légiste d’un quart d’heure, note qu’il a deux trous rouges au côté droit.
On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Ô saisons ! Ô Châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?
Désolés, les enfants ! La vague sans fin modifiée emmène nos jeux de sable !
Rimbaud reprend sa marche. La voix de l’Inconnu et celles des Inconnus lui disent : « C’est ton des-tin ! ». Une voix chante : « Chacun sa route, chacun son chemin ». La rivière suit la vallée.
L’allégorie de la caverne, Platon, on nous en a fait tout un plat mais ça n’est jamais que la description d’une salle de cinéma ! On le sait bien que la salle est obscure, que c’est le projecteur qui est dans notre dos. Mais pourquoi est-ce qu’on irait chatouiller le mammouth quand on a payé sa place pour une heure trente de bonheur, sans compter la demi-heure de publicités et les pop-corns ?
Taquiner le brontosaure, faire des rentes aux actionnaires, les prolétaires sont là pour ça non ? Ils ont accepté contre un maigre salaire, certes, les risques du métier de chasseur-coupeur de biftecks. Pendant ce temps nous nous emplissons de rêve et contemplons King-Kong qui s’élève dans les hauteurs. Ce que nous voyons là, c’est l’art dans sa plénitude et le réel vacant le long de la paroi.