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L'Atelier d'écriture de Villejean
23 septembre 2014

Tonton Nestor et le Hezbollah / Dominique MD

Tripoli2

« Mon cher, dit-elle, vous êtes fou, j'ai deux mille ans de plus que vous ». Tonton Nestor n'en croyait pas ses oreilles. Lui qui avait mis la zizanie aux noces de Jeannette, lui qui avait mis un pinçon en son éminence charnue, lui qui n'avait pu, jamais, mettre un peu d'ordre dans sa tenue, ses propos, ses façons d'être, voilà qu'une statue, et pas n'importe quelle statue, une statue de reine, le tenait en respect, lui disait « pas touche !», l'enjoignait de garder ses distances, d'arrêter de maudire.

Deux mille ans, diable ! Qui pouvait bien être cette femme ? C'était refroidissant.

Il arpentait un ancien cloître glacial, un soir de décembre, au Liban, à Tripoli exactement. La neige était tombée depuis plusieurs jours sur le Mont Liban, c'était magnifique.

 

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Il s'était joint à un groupe de joueurs de cricket pakistanais, rencontrés dans l'avion Paris-Beyrouth. Eux poursuivraient leur route vers l'Est, lui remonteraient vers le Nord.

« Le temps, madame, que nous importe ! ». Voilà ce qu'il aurait voulu répondre. Mais il n'avait pas eu le temps. Déjà le groupe se déplaçait, il ne voulait pas perdre ses joueurs de cricket. Avec eux, il s'amusait vraiment. Certes, il ne parlait pas l'ourdou, et ne comprenait pas non plus leur anglais chantant parlé à la façon indienne. Lui ne connaissait tout au plus que dix mots de la langue de nos voisins. Mais curieusement, la statue lui avait parlé dans une langue qu'il avait comprise. Ce n'est pourtant pas la Pentecôte, pensait-il !

Les joueurs de cricket s'engouffraient maintenant dans un car qui devait les emmener au restaurant à Byblos. Il se fit tout petit, cacha son visage et ses bacchantes dans sa casquette et monta incognito dans le car. A Byblos, il regretta un peu son initiative. En effet, les joueurs étaient accueillis dans un restaurant luxueux. Dans l'entrée, on servait du champagne et des mezzés. Mais bientôt, il faudrait s'asseoir à table or sa place n'était pas prévue. Il pensait passer le temps du repas avec le chauffeur de car mais celui-ci était déjà reparti pour essayer de garer son engin quelque part dans les rues étroites de la ville.

Il alla alors se cacher dans les toilettes, le temps du repas des joueurs. Mais au bout de dix minutes d'enfermement, il entendit une voix semblable à celle de la statue : « Etranger, sauve-toi d'ici, ou l'on donne l'alarme aux chiens et aux gendarmes !». Les gendarmes, il en faisait son affaire, il avait toujours su leur parler. Il avait fait ses premières armes à la foire de Brive la Gaillarde, où il s'était interposé entre quelques dizaines de gaillardes et des gendarmes mal inspirés. Mais les chiens, il en avait une peur bleue. Des chiens arabes, qui plus est !

Il se mit alors à écrire fébrilement sur le papier de toilettes, qui s'effilochait un peu : « Fermé jusqu'à la fin des jours pour cause d'amour !», et réussit à suspendre son libelle à l'extérieur de la porte, pendant un instant où il était seul. Le temps passait, il n'entendait plus rien, il se mit à craindre que les joueurs ne fussent partis sans lui dans leur hôtel près de la route de la corniche.

Il sortit des toilettes. Il n'y avait ni chiens, ni gendarmes. Le restaurant s'était vidé. Il restait seulement un serveur endormi, au fond du restaurant une femme de ménage  magnifique, belle comme la statue du cloître, qui rangeaient les tables abandonnées par les joueurs de cricket, et,  attablé au bar, un vieil irlandais, ivre probablement puisqu'il lui dit : «  C'est toi que j'aime, et si tu veux, tu peux m'embrasser sur la bouche et même pire ». Puis il continua : « Cher Monsieur, vous êtes un autre !».

Tonton Nestor était dans une situation inédite. Lui qui venait de Brive-la-Gaillarde n'avait jamais été confronté à un vieil Irlandais ivre, gay de surcroît. Il se rappela les leçons de son grand-père qui avait fait la guerre de 1870 contre les Prussiens. Il garda son sang-froid, et répondit « C'est aujourd'hui que je le perds ! ». Au moins pour la nuit, il aurait une chambre et un lit et de la compagnie. « Venez ! » dit l'Irlandais, « je vous montre le chemin, et vous conduis at home ».

On ne sait pas ce qu'il advint de tonton Nestor mais pendant la nuit la femme de ménage rémunérée par le Hezbollah pour espionner tonton Nestor, qui était aux aguets dans la chambre à côté, entendit une des deux voix dire « Qu'est ce que tu fais là ?», et l'autre répondre « Pousse donc un peu !».

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