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L'Atelier d'écriture de Villejean
15 janvier 2013

Une préface à la vie de Berthoise / par Jean-Paul (séance du 15 janvier 2013)

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Ce n’est pas forcément une bonne idée de demander à un natif du Nord émigré en Bretagne d’écrire la préface à la biographie d’une Bretonne émigrée dans l’Oise ! Marie-Berthe de Chantilly-Ribot que tout le monde connaît d’avantage sous son pseudonyme de Berthoise écrit dans son roman « Il a plu »qu’elle est "Bretonne et Brayonne" à la fois. En vérité, nous sommes tous citoyens du monde et si nous nous sommes croisés dans nos trajets, elle et moi, c’est assez bizarrement au niveau de Lyon et en nous arrêtant, au parc de la Tête d’or, devant la statue du faune et de la centauresse qui s’embrassent. A part l’amour des bouchons lyonnais et des bières, surtout belges, Berthoise et moi avons un goût très commun et très surprenant pour les mots et les choses du sexe et, je n’en doute pas, elle a dû, elle aussi, s’interroger sur la manière de coïter de ces deux entités-là. Sur cette statue, du reste, force est de constater que chacun des deux partenaires a une queue de cheval. Au repos, certes, pour l’un, mais le fait est là, ne nous crêpons pas le chignon à propos de ce qui se passe sous la couette.

Dans son dernier ouvrage, paru aux éditions « Fée du logis » et qui a pour titre « Exercice-culotte » Marie-Berthe n’a pas craint non plus d’endosser la personnalité de la grande duchesse de Gérolstein. Ses variations sur « Ah que j’aime les militaires » ont pris la forme d’une véritable ode amoureuse au duc d’Aumale, un de ses ancêtres qui posséda jadis le château de Chantilly, dépendances et domesticité comprises, et qui n’avait qu’un mot à la bouche : « Rectifiez la position ! ». Dans le chapitre « Berthe, Henri et moi » on peut lire d’étranges phrases comme : « Craignant d’avoir été abusé par mes sens ensommeillés, je suis allé vérifier : la marquise gouttait ». Voilà ce que c’est quand on sort à cinq heures en chantant sous la pluie que « Tout va très bien » ! J’ai noté aussi : « Le chat ne se laisse jamais oublier ». Nous sommes loin ici des glauques étalages d’Henry Miller et Anaïs Nin auxquels, désastre des temps, ont succédé les bien pires encore "50 nuances de Grey". Chez Berthoise, aristocratie des ancêtres oblige, on ne manque jamais de tenue. La poésie naît justement des joies simples, naturelles, largement répandues et si leur pratique n’est jamais secrète elle n’est jamais ostentatoire. Tout est dit sobrement, en phrases courtes, posées et jouissives. De Marie-Berthe de Chantilly-Ribot on peut- dire ce que l’on disait déjà de son oncle Jean-Amédée Walrus : « Jamais laconisme ne fut plus parlant ».

Biographie Berthoise

En découpant en trois parties à peu près égales la biographie qu’elle consacre à notre amie commune, Adrienne Finzi-Contini ne pouvait mieux faire ni avoir une vision plus juste de la personnalité de l’artiste. La première partie est consacrée à la vie d’une diariste habitée par le doute. Elle s’intitule « Vitalité et vanités de la vie en Vexin pour Vénus ». Il fallait effectivement que lui fassent pendant « Le désir permanent du voyage » et « La musique adoucit les mœurs comme elle raffermit l’humeur ».

En cette époque troublée où trop de choses déliquescent, où je néologise à tour de bras, où l’administration pèse pour tout fonctionnaire zélé le poids d’un âne mort suspendu au plafond et nul ne sait ce qu’il pondra si on lui tire la queue, quand il pleut sur la ville close de Concarneau autant de seaux d’H2O qu’un curé pourrait en bénir, lorsque le vent remplace le soleil et les idées grosses de l’extrême droite celles de la droite pas fine au Nord du bassin parisien, on se dit qu’il y a une limite de tolérance à la connerie et que James serait en droit de faire un bond en disant « Schön ». Impitoyable plus encore que Clint Eastwood, l’envie d’aller voir ailleurs se fait alors pressante, surtout si le jardin ne donne rien en guise de fleurs jaunes. A croire que Berthoise n’est heureuse que quand elle a un souci et que sans cela elle est vacante et rêve de vacances, de larguer tous ces mômes accrochés à ses basques pour aller mettre la main au panier de Léon de Bayonne, là où vit le sous-marin jaune des Beatles et celui qu’elle préfère s’appelle George.

Partir, oui, mais comment ? La technologie la transporte malgré les difficultés qu’elle rencontre, comme tout un chacun, à décrypter le mode d’emploi de ces engins. Rien ne vaut le coucou suisse ou la pendule années 50 ! Et pourtant sa voiture rouge dispose, sans qu’elle le sache, d’un module d’auto-rétrécissement qui lui permettrait de doubler les camions de betteraves à 130 à l’heure en passant par-dessous leurs essieux. Son appareil-photo Lumix est doté d’une option « photo panoramique » mais elle peut d’autant moins la sélectionner que sa fille préférée, Poulette, a encore emprunté l’appareil pour photographier Dieu seul sait quoi, comme font tous les djeunns d’aujourd’hui qui se respectent (ou pas !) et déposent sur Facebook des horreurs insolentes qui ont le mérite de n’être drôles que pour des geeks comme eux. Mais de fait, eux comme nous, ne sommes-nous pas tous devenus des geeks ? Il nous faut connaître l’anglais pour travailler à la grandeur de la France alors que cette langue devrait servir à aller visiter Londres, à retourner en Inde, à expliquer à l’employé d’état-civil à Moscou qu’on est à la recherche de la cantinière russe qui est perchée dans l’arbre généalogique et ne voudra en descendre que pour accompagner Napoléon et son armée en France, jusqu’à Quimper ou Cayeux-sur-Mer s’il le faut, car elle a envie que son arrière-petite-fille puisse aller souventes fois à Paris où des expositions, des brasseries et des salons de thé LewisCarrolliens tendent les bras de leurs fauteuils à tous les affamés de la terre, oui, c’est bon, même si c’est très cher. L’essentiel est de rester (cul)turel ! Et du voyage, mon Dieu, gardons trace ! Des choses lues à Rouen, ne faisons pas bûcher. Dans la trentaine de romans que Berthoise a écrits il faut souligner, et nul n’est mieux placé qu’Adrienne pour le faire, la brièveté des séjours, l’enchaînement quasi alphabétique des petits événements, le peu de longueur des déplacements. A croire que rien ne vaut finalement le « Voyage autour de ma chambre au château de Chantilly » de Xavier de Maistre, le « Turlututu je suis reviendue » ou le « De la nécessité de la petite laine, de la bière qu’on sirote lentement, en la savourant jusqu’à ce qu’elle vous tourne un peu la tête » de Berthoise elle-même.

Je ne dirai rien du chapitre sur la musique qui s’étend de Rameau à Sanseverino, d’Offenbach à Bollywood. Le serpent, lui-même instrument de musique, se mord ici la queue car l’on revient au baiser du faune et de la centauresse. Comment comprendrait-on sinon l’hymne d’amour que constitue le best-seller de la dame : « Les mains de la chef de chœur ». Moi-même, si je n’étais pas secrètement amoureux de Lucie qui nous dirige, resterais je dans cette chorale où l’on bavasse presque autant que l’on ne chante ?

C’est là ce qui me plaît dans la vie et l’œuvre de Berthoise et qu’il convenait de définir avant que vous ne vous vous lanciez dans la lecture de cette foisonnante biographie. On est dans le quotidien, sur un marché aux puces, à un repas de famille, on cueille des champignons de toutes les couleurs, on s’engueule en voiture, au restaurant, on répond à mille questionnaires, on traverse la campagne en hiver, on visite une expo, on va à un concert, on photographie pour la centième fois le château de Chantilly, tout le monde a fait ça mais chez elle ce n’est jamais anodin ou inodore : il y a toujours, jusque dans ses silences ou ses phrases de trois mots et demie, quelque chose qui brille : une flamme intérieure.

Bonne lecture à vous.

P.S. J’aurais pu faire encore plus long mais, comme a dit Romain Gary, "il faut toujours connaître les limites du possible". Surtout quand on est soi-même un être impossible et pris par le temps : je dois m’en aller maintenant rédiger la préface au recueil de chansons de Joye traduites en bas-breton par Sklabez. Préfacier, ce n’est pas un métier facile. Il faut trouver la bonne longueur d’ondes et savoir stopper sa faconde. Maintes fois par le passé, quand je ne le fis pas, les émules de Gary me coupèrent !

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